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L’actualité des marques

Propos recueillis par Jérôme Marchand - Copyright Jérôme Marchand


Jacqueline Sala


La presse professionnelle constitue une mine de renseignements. Collant mieux au terrain que la presse généraliste, elle a les moyens de mener un décodage plus fin des variations conjoncturelles. Mais elle se doit, en contrepartie, de manifester un plus grand scepticisme vis-à-vis des discours officiels. Comment suit-on un marché spécialisé ? De quelle manière défait-on la désinformation usuelle des producteurs et des distributeurs ? A quels besoins semi-formulés tente-t-on de répondre ? Eléments de réponse par Jean-Luc Clouard, ancien de Libération, qui dirige la rédaction de SportEco depuis 1999.



L’actualité des marques
Comment définiriez-vous votre journal ?
Sport Eco est une publication professionnelle qui paraît sur un rythme bimensuel. Les créateurs à l’origine du projet sont allemands. Nous avons fêté il y a quelque temps le numéro 500. Dans l’esprit d’origine, le journal entendait défendre le commerce indépendant. Notre diffusion moyenne tourne autour de 3500 exemplaires, avec des pics nettement supérieurs au moment des manifestations spécialisées.

A qui s’adresse SportEco ? Qui sont vos abonnés et vos lecteurs ?
Notre coeur de cible est assez homogène. A la base, nous nous adressons aux propriétaires et gérants de magasins d’articles de sport, à leurs chefs de rayon et à leurs vendeurs. Nous ciblons aussi les fabricants de produits, les importateurs, les managers des structures coopératives, de type Sport 2000, Twinner ou Intersport. Nous sommes lus par les cadres des Grandes Surfaces Sportives, qui désirent entendre un son de cloche différent de celui produit par la Maison. Et puis nous alimentons la réflexion des responsables marketing, des agences de publicité, des sponsors qui patronnent tel ou tel sportif.

Comment recueillez-vous de l’information utile ?
Les salons professionnels constituent un excellent terrain de collecte. Il y a les salons spécialisés, consacrés au tennis, au golf, au vélo, au fitness. Et puis il y a les salons multisports, le plus connu étant l’ISPO, qui se tient à Munich chaque année et qui est la grand-messe mondiale. Le journal est présent à toutes ces manifestations. Pour moi, c’est une occasion de sympathiser avec les cadres dirigeants des entreprises qui fabriquent des articles de sport. Le milieu a ses bons côtés. La plupart des pros ont un passé sportif, ils ont le goût de la compétition, mais conservent en même temps du respect pour la concurrence. Ils se retrouvent le soir, mangent et boivent ensemble, échangent des impressions, organisent de petits challenges…On est loin des haines cuites et recuites du secteur militaro-industriel, tendance EADS-Clearstream.


Retours d'expériences

Et les entretiens directs ? Sont-ils éclairants ?
Les managers récemment évincés de leur poste représentent des sources précieuses.
En général, ils ne délivrent pas de scoops majeurs. Mais leurs justifications éclairent le contexte, elles permettent de comprendre des processus organisationnels, des infléchissements stratégiques, qui restent normalement masqués aux yeux des outsiders. Récemment, l’ancien patron d’une grande structure m’a fourni tout un lot d’explications qui permettent de reconstituer la stratégie des propriétaires et de comprendre a posteriori certains choix. Après, je peux appliquer les infos ainsi recueillies à d’autres entreprises faisant face au même genre de difficulté.
Sinon, les individus qui renoncent à exercer dans tel ou tel secteur sont eux aussi des sources intéressantes. N’ayant plus à défendre leur marque, ils se lâchent et expliquent volontiers pourquoi, à leurs yeux, tel ou tel concurrent mène une stratégie intelligente.

Et pour ce qui est des hommes et femmes de terrain ?
Sport Eco maintient des contacts étroits avec les gérants et les vendeurs des magasins de sports. Ce sont des gens qui sont en relation avec les consommateurs, et qui ont une influence sous-estimée sur la carrière des produits. Leurs réactions doivent être intégrées pour comprendre l’évolution des marchés.

Concrètement, qu’apprend-on à leur contact ?
Un exemple ? Vous vous rendez compte que les produits golf répartis sur des linéaires de 2 mètres, au sein d’un magasin multisports, c’est une impasse. Les ventes ne sont pas suffisantes pour dégager des profits intéressants. Aux marques de revoir leur stratégie de distribution en tenant compte de ce paramètre.

En résumé, vous occupez un poste d’observation spécial ?
Je pense, oui. SportEco a une bonne vision des tendances du moment. Nous sommes un excellent guide pour les entreprises étrangères désireuses d’optimiser leur implantation sur le marché français et dans certains pays limitrophes, comme la Belgique ou la Suisse.

Un marché pas tout à fait comme les autres

Le marché des articles de sport présente des traits spécifiques. Une bonne partie des produits satisfait les besoins utilitaires des pratiquants. Mais une autre partie répond à des demandes d’un autre type : consommation ostentatoire, effets de mode, restrictions budgétaires. Une grande partie des chaussures de sport vendues dans le monde sont portées par des gens qui ne font pas de running. Ce particularisme alimente la volatilité du marché. A noter également que la popularité des pratiques sportives obéit à des logiques générationnelles. Certaines activités de plein air, autrefois populaires, déclinent régulièrement. En contrepartie, de plus en plus de seniors se mettent à pratiquer pour retarder les effets du vieillissement.

Des hauts et des bas

Le secteur des articles de sport a connu un sensible rebondissement en 2007. Le marché français a connu une croissance de 2 % par rapport à 2006 et franchi le seuil des 9 milliards d’Euros. Les ventes ont profité de la météo et de la Coupe du monde de rugby. Au cours de cette même année 2007, les commandes sur internet auraient progressé d’environ 15 % (contre 12 % en 2006). Pour 2008, les paramètres semblent moins favorables. La hausse de l’inflation, la progression du chômage, l’instabilité des places boursières ont diversement contribué à restreindre la consommation.

Quels types d’informations publiez-vous ?
C’est variable. Nous répercutons les chiffres d’affaires des marques et des réseaux de distribution. Nous livrons une info régulière sur les produits en cours de préparation, ceux qui apparaîtront dans les linéaires dans un délai de 4-6 mois. Nous informons les gérants de magasins des fermetures ou ouvertures d’enseignes dans leur périmètre : grandes villes, périphéries, stations de ski. Nous leur signalons les marques qui ont la cote. Nous suivons de près les cessions d’entreprise, les acquisitions, les fusions, les liquidations judiciaires, les créations et suppressions de filiales. Et puis nous rendons compte des mouvements de personnel : qui remplace qui à la tête de telle filiale ? Qui va s’occuper du marketing ? C’est une occasion d’évoquer les changements de stratégie. Ou les problèmes relationnels.

Y a-t-il place pour des révélations-choc ?
Bien sûr. Mais nous ne sommes pas dans la presse à scandale. Certaines infos dites confidentielles le restent. Ce qui est apprécié de nos lecteurs ? Les papiers qui leur permettent de détecter les attaques de la concurrence. Voici quelque temps, j’ai interviewé le patron de Ski Republik, qui m’a détaillé son offre quelques semaines avant qu’elle ne soit présentée aux consommateurs. Grâce à cela, les magasins de location de skis ont compris que la saison allait se jouer dans un climat de baisse à outrance et que les pratiquants venus des grandes villes seraient une cible stratégique

S’agissant du marché des articles de sport, que valent les sources publiques ? Sont-elles fiables ?
Les infos diffusées par la presse généraliste et la presse financière manquent souvent de recul critique. Les grands journaux reprennent telles quelles les données fournies par les groupes. Les groupements de professionnels répugnent à fournir des chiffres fiables. On est loin de ce qui se passe aux Etats-Unis. Quant aux statistiques officielles établies par l’INSEE, elles sont sans grande valeur. Les nomenclatures de produits sont beaucoup trop généralisantes. Impossible de s’appuyer sur elles pour monter une stratégie pertinente. Même observation pour les données fournies par les PEE . Ce qui est accessible n’a aucune valeur pour aider une entreprise à élaborer sa stratégie export. Globalement, les données recueillies et transmises par l’administration française n’ont pas de portée pratique. Du moins pour une entreprise capitaliste.

Et les études de marché produites par les cabinets spécialisés ? Y trouve-t-on des choses exploitables ?

De mon point de vue, pas vraiment. Bonne présentation, mais trop de chiffres officiels, repris tels quels. Et puis ce sont souvent des données datées, remontant à 2 ou 3 saisons. Les marchés d’aujourd’hui sont très volatiles. Il y a des effets de mode, des renversements de tendances assez soudains. Un fabricant ne peut pas construire sa stratégie sur des infos périmées. Il lui faut des renseignements frais. En golf, les drivers dotés de nouvelles géométries se vendent bien depuis 3 saisons. Et puis tout d’un coup, les courbes fléchissent. Si vous êtes fabricant, vous devez déterminer au plus vite les facteurs de baisse. Simple péripétie ? Ou tendance plus lourde ?

Les entreprises du secteur pratiquent-elles la désinformation ?
Bien sûr. Celles qui enregistrent de mauvais résultats ne tiennent pas à alimenter un bouche à oreille négatif. Le risque ? Des répercussions négatives sur la politique d’achat des détaillants. Elles s’appliquent donc à masquer leurs échecs.
Un exemple ? Vous avez lancé de nouvelles bottes, mais elles se sont mal vendues. Vous les glissez dans la rubrique chaussures et vos pertes se noient dans la masse. En sens inverse, d’autres entreprises cherchent à occulter leurs succès. Vous êtes un petit, vous fabriquez des gants ou des lunettes de ski à prix réduit, ça marche très fort, vous ne tenez pas à ce qu’Adidas ou Salomon découvre qu’il y a là un créneau très dynamique. Vous vous faites discret.