Gouvernance

Le paradoxe des JO : entre contexte géopolitique explosif et sport power. Par Inès Ramozzi


Jacqueline Sala


Paris, comme aucun pays auparavant, a su mettre en place un climat propice à un engouement de la part du public tout en véhiculant des thématiques fortes comme l’acceptation des différences, notamment liées aux discriminations, avec cette première égalité parfaite entre athlètes hommes et femmes. Dès lors, la diplomatie par le sport ainsi que le “sport power” existent et ont un avenir certain à condition d’y mettre les moyens.



Quelques heures après la clôture des Jeux Olympiques de Paris 2024, il est l’heure de tirer les conclusions de cet événement.


Peut-on affirmer qu’un “sport power” a été revendiqué?

Organisés sur fond de guerre en  Ukraine, d'attaques hybrides russes, de conflit israélo-palestinien, de menace  iranienne ou encore de tensions gouvernementales sur son propre sol, ces derniers  étaient perçus comme  un événement à haut risque.
D’un côté, « Ce sont les jeux les  plus politisés depuis la fin de la guerre froide », prévenait le consultant Jean-Baptiste  Guégan, en juin de cette année *1 . De l’autre, la France devait garantir l’une des plus  grandes inquiétudes sécuritaires de ces dernières années, tout en réussissant à  séduire ses propres citoyens qui n’étaient pas des plus ravis quantà la tenue de ces jeux.

Dès lors, peut-on affirmer qu’un “sport power” a été revendiqué?

Un mythe apolitique

« Le sport, c'est la guerre, les fusils en moins », disait George Orwell.

Certes,  aujourd’hui, nous pourrions répondre par l’affirmative mais si l’on remontait quelques  années en arrière, nous aurions du mal à croire en cette tirade. En effet, des Jeux  d'Helsinki en 1952 "en terrain neutre" aux JO de Barcelone en 1992 où participait  l'équipe unifiée" post-URSS, en passant par les boycotts de Moscou en 1980 et Los  Angeles en 1984, les Jeux olympiques ont parfois pu dépasser le cadre purement  sportif pour revêtir une dimension idéologique *2 . 

Dès lors, la tradition grecque de la trêve olympique fut un prétexte d’union sportive  et une promotion mondiale de valeur fraternelle. Cette année encore, ce mythe  apolitique, tant rêvé par Pierre De Coubertin a été difficile à respecter. Pour  exemple, la délégation israélienne a été sous le feu des projecteurs, car le public a  pu se montrer parfois hostile lors des épreuves, et des athlètes ont subi un  cyberharcèlement.
Par ailleurs,  les judokas Marocain Abderrahmane Boushita et le Tadjik Nurali Emomali ont tous deux refusé de serrer la main de l'Israélien Baruch Shmailov à l'issue de leur combat en riposte au conflit israélo-palestinien.

Même si cela reste des actes minimes, cela a le mérite d'apparaître, malgré tout, sur nos écrans.  En revanche, certains athlètes se sont servis de cette trêve pour faire passer des messages de paix à leurs pays respectifs comme le prouve un selfie réalisé par deux athlètes nord et sud-coréens sur le podium olympique *3 . Une image forte permise par l’entremise d’un sponsor des Jeux alors que les relations diplomatiques sont au plus bas. 

Pour autant, ces tensions géopolitiques et notamment celles entre l’Ukraine et la  Russie posent une nouvelle fois la question de la neutralité, car les sportifs russes  ne peuvent toujours pas concourir sous leur drapeau. Tantôt pour raison de dopage,  tantôt pour des raisons de conflit avec l'Ukraine, cette neutralité incite à se  demander si elle n’est-elle pas une simple façade voir une exclusion arrangeante  pour certaine délégation ?

Une attribution vitrine de la géopolitique mondiale. la diplomatie par le sport ainsi que le “sport power” existent et ont un avenir certain à condition d’y mettre les moyens.

Après tant de désillusion face à sa candidature en tant que ville hôte, la  France avait une revanche à prendre.

Paris 2024 avait le rôle de mettre fin à plus  d'une  décennie  de  compétitions  sportives  organisées  dans  des  pays  non-occidentaux, qui véhiculaient des messages de grandeur, de force, de gloire  nationale comme les JO de Pékin et de Sotchi. Dès lors, Paris incarnait un ovni en la  matière: « On ne savait pas à quoi s'attendre avec les JO de Paris : un message  global de réconciliation, d'ouverture à tous ou un message très pro-occidental de  tolérance, de respect des droits de l'homme ? » explique le chercheur Pascal  Boniface.

Finalement, avec la vitrine de la cérémonie d’ouverture, il a été choisi de  prôner que la République française accueille tous ces “enfants”, amoureux de la  liberté, de l’égalité et de la fraternité. Comme l’a mis en avant Tony Estanguet,  Président du comité d’organisation des JO Paris 2024, lors de la cérémonie de  clôture, la France, terre d’irréductibles insatisfaits, a su le temps d’une quinzaine  sportive retrouver, un semblant de paix et d’harmonie.  En revanche, là où cette philosophie a des limites, c’est notamment dans  l’acceptation du port du voile pour les athlètes français, seule nation à ne pas l’avoir  autorisée…

En d’autres termes, depuis l’ère moderne, le sport a montré qu’il pouvait être  une tribune géopolitique pour les enjeux contemporains et donc être considéré  comme un pouvoir à part entière. Visionnés par des individus du monde entier, les  Jeux ont été, aujourd’hui comme par le passé, le théâtre des rivalités géopolitiques  ou encore de revendications politiques. Entre les boycotts, les suspensions de pays  en guerre par le Comité olympique, les gestes politiques et symboliques, relais des  luttes pour l'égalité, il semble impossible d'affirmer aujourd'hui que le sport et la  politique sont indissociables *4 .

En revanche, Paris, comme aucun pays auparavant, a su mettre en place un climat propice à un engouement de la part du public tout en  véhiculant des thématiques fortes comme l’acceptation des différences, notamment  liées aux discriminations, avec cette première égalité parfaite entre athlètes hommes  et femmes *5 .  Dès lors, la diplomatie par le sport ainsi que le “sport power” existent et ont un avenir  certain à condition d’y mettre les moyens.

Sources

*1  Déclaration faite  en préambule d'une  audition  devant la commission des Affaires étrangères et de  Défense au Sénat en juin 2024  https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/le-paradoxe-des-jo-de-paris-un-contexte-geopoli tique-explosif-mais-des-jeux-sans-accroc-majeur-2113277 

*2  Par la victoire de ses athlètes, chacun des deux camps prétendait montrer la supériorité de ses  valeurs et de son mode de vie sur l'autre  https://lelephant-larevue.fr/thematiques/a-lire-une-histoire-sportive-de-la-guerre-froide/

*3 Selfie réalisé après leurs médailles obtenues lors du double mixte en tennis de table, https://www.courrierinternational.com/article/paris-2024-un-selfie-reunit-des-athletes-nord-coreens-etsud-coreens_220822

*4 https://www.iris-france.org/185732-geopolitique-des-jeux-olympiques/

*5  Pour la première fois dans l’Histoire, les hommes et les femmes concourent en nombre égal aux Jeux Olympiques et aux Jeux Paralympiques de Paris 2024. Cette représentation égale parmi les athlètes fait de ces Jeux d’été les premiers à atteindre la parité hommes-femmes. De plus, les Jeux  de cette année été délibérément programmés de manière à permettre une couverture égale des  épreuves masculines et féminines aux heures de grande écoute. Les Jeux incluront également un  plus grand nombre de compétitions féminines et mixtes, offrant ainsi davantage d’opportunités aux  femmes de remporter des médailles.  https://www.unwomen.org/fr/jeux-olympiques-de-paris-2024-une-nouvelle-ere-pour-les-femmes-dans-l  e-monde-du-sport#:~:text=Le%2520changement%2520de%2520la%2520donne,atteindre%2520la%2  520parit%C3%A9%2520hommes%252

L'AUTEUR : INES RAMOZZI. Analyste Géopolitique

Inès Ramozzi, analyste en géopolitique qui s’est dans un premier temps spécialisée dans la géopolitique africaine, puis en OSINT (renseignement en source ouverte) à des fins de recherches, s’est tournée vers la rédaction d’article pour des Thinks thanks comme IPSA avec qui elle collabore ponctuellement. Par ailleurs, elle enseigne notamment l’histoire et la géopolitique en lycée.