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Rencontre avec Christian Marcon, professeur à l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) et R2IE


Jacqueline Sala




Christian Marcon est professeur à l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) de Poitiers dont il dirige le master Intelligence économique en alternance.

Christian Marcon. A suivre
Christian Marcon. A suivre
Premier enseignant-chercheur à avoir soutenu une thèse en intelligence économique, il poursuit des travaux à l’articulation de l’intelligence économique et des stratégies-réseaux, notamment en collaboration avec Nicolas Moinet, au sein de l’axe Intelligence Stratégique Internationale dont il a assuré l’animation pendant plusieurs années au sein du Laboratoire de Recherche en Gestion. Depuis cinq ans, il dirige la Revue Internationale d’Intelligence Économique.
En plus du master en apprentissage dirigé par Christian Marcon, l’IAE de Poitiers propose également un master 2 Intelligence économique en Formation à distance, sous la direction de Nicolas Moinet, et un master 2 Intelligence Stratégique Internationale en partenariat avec l’ILERI, sous la direction d’Olivier Coussi.
 

Pouvez-vous identifier les principaux défis que vous avez rencontrés dans l'enseignement et la recherche en Master ?

Avec le recul, il me semble qu’il y a trois défis majeurs.

Le premier est de maintenir l’équilibre entre formation intellectuelle et formation professionnelle. Les deux sont indissociables. Je fais appel à des universitaires reconnus et à des professionnels de haut niveau, dont certains sont diplômés de la formation, pour apporter de l’expertise terrain immédiatement opérationnelle autant que des connaissances fondamentales pour évoluer dans les métiers de l’intelligence économique. Nos étudiants sont parfois surpris que les professionnels mobilisent des dimensions théoriques. Ils ne s’étonnent plus de voir leurs professeurs, qui ont quasiment tous une expérience de terrain dans leur parcours, faire le lien entre théorie et pratique. Un point fort de l’ancrage universitaire, attendu des masters, est précisément de former des esprits professionnels sensibles à ce que la science peut leur apporter, et pas seulement des bachoteurs d’études de cas.

Le deuxième défi est le maintien de l’équilibre entre des fondamentaux et une prise en compte des évolutions de l’intelligence économique. La belle affaire de spéculer sur le fait que l’IA transformerait l’intelligence économique si l’on n’a pas compris les fondamentaux de l’intelligence économique, de ce qu’elle implique en termes d’intelligence collective, de stratégie ! Ce n’est pas l’IA qui décide de la stratégie de l’entreprise. Ne pas remettre l’IA à sa juste place, c’est faire la même erreur que de réduire l’intelligence économique à de la veille.

Le troisième défi est la nécessité, le champ de l’intelligence économique me semblant s’ouvrir, de positionner de façon plus précise une formation de master. Aucune ne peut couvrir tout le spectre des compétences associées à l’intelligence économique. A Poitiers, le master Intelligence économique en alternance a choisi un positionnement Renseignement, Sécurité, Influence, Stratégies de décision. Sur ces entrées-là, nous sommes légitimes et reconnus.
 

Existe-t-il des domaines de recherche spécifiques auxquels vous vous intéressez particulièrement en ce moment ?

Par un engagement constant de vigilance sur les publications scientifiques dans le domaine, et une veille sur les actualités de l’intelligence économique. Les étudiants y contribuent d’ailleurs par des séances, animées par eux, de veille et analyse de l’actualité de l’intelligence économique. Je m’appuie aussi sur ma position de directeur de la Revue Internationale d’Intelligence Économique qui me permet d’accueillir des propositions d’articles dans auteurs de la discipline et donc de me tenir informé des sujets qui émergent ou arrivent en maturité. Et puis, nous pratiquons l’intelligence collective que nous enseignons en croisant les veilles réalisées par Nicolas Moinet et Olivier Coussi, qui dirigent l’un et l’autre des masters en intelligence économique de l’IAE. Cela infuse dans nos cours, évidemment. C’est d’ailleurs l’un des soubassements des masters que de mettre nos travaux de recherche et notre compréhension des enjeux afférents dans notre pratique pédagogique.

Pouvez-vous partager une expérience ou un projet pédagogique particulièrement réussi que vous avez mené en Master ?

Il m’est difficile de faire un choix car chaque année mes collègues et moi-même imaginons des activités nouvelles en lien avec des partenaires institutionnels ou des entreprises. Quand je vois ce qu’ils ont proposé et qu’ils préparent encore cette année, je me frotte les mains pour nos étudiants…
J’ai aussi choisir de compléter chaque cours structurant par deux interventions d’une journée, séminaires de partage d’expérience de professionnels ou de chercheurs spécialisés, juste pour offrir des regards différents et complémentaires. Peut-être aussi pour susciter des vocations.
Ceci dit, s’il faut choisir, je dirai que je suis particulièrement fier d’avoir ouvert dans la Revue Internationale d’Intelligence Économique une rubrique « Jeunes Pousses » qui permet à des étudiants qui ont produit les mémoires de master les plus brillants de convertir ceux-ci en articles – sous le regard scientifique averti de leur directeur ou directrice de mémoire bien sûr. Les étudiants de la formation que je dirige, naturellement, mais aussi ceux des masters que dirigent mes collègues universitaires car un tel projet, là encore, n’a de sens qu’en créant du lien plutôt que de la concurrence entre les formations. Stratégie-réseau et intelligence collective pour un résultat gagnant-gagnant. Pour des étudiants, voir leur article paraître dans une revue reconnue, c’est une fierté et c’est stimulant. Et puis, au regard de la qualité de certains mémoires, ce serait du gâchis de connaissances que de ne pas leur donner une voie de publication. Lire un mémoire, c’est long ; lire un article, c’est possible dans une journée de travail.
 

Quelles sont vos recommandations pour améliorer l'expérience d'apprentissage des étudiants en Master au sein de votre institution ?

Nous avons choisi en master 2 un rythme d’apprentissage qui favorise au mieux la mise en relation des expériences de terrain avec les enseignements puisque chaque semaine les étudiants sont à la fois en entreprise et à l’IAE. Ils ne déconnectent ni de la formation ni de leur terrain. C’est certainement exigeant, mais cela leur permet de suivre des dossiers de façon continue ce qui est particulièrement riche en termes d’apprentissage. Les entreprises apprécient particulièrement ce rythme. Nous expérimenterons l’année prochaine l’apprentissage en master 1 avec un autre rythme, ouvrant davantage à un travail par projets.
Les étudiants qui ont la meilleure expérience d’apprentissage sont ceux qui ont pris le temps de trouver une alternance en rapport direct avec la formation, avec des missions d’intelligence économique qui ne se limitent pas à de la veille mais incluent de l’analyse ou des sujets de leur formation : influence, sécurité… . S’ils font le travail intellectuel de mettre en connexion leur pratique et les cours, quitte à challenger leurs intervenants, ils tirent le meilleur de leur formation.
En fait, la balle est dans leur camp. Notre part du contrat réside dans l’élaboration d’un dispositif et d’activités pédagogiques aux taquets au regard des besoins des métiers que nous avons identifiés – renseignement, sécurité, influence, stratégie de décision. En tirer le maximum est leur part du contrat.
 

Si vous aviez une préconisation à faire pour améliorer les conditions de travail des enseignants-chercheurs en responsabilité de Master ou pour l'évolution du système éducatif, quelle serait-elle ?

Que l’on nous fasse un peu plus confiance dans la conception de nos formations ! Nous avons la chance, à l’IAE, de travailler en bonne intelligence entre les trois responsables de masters 2 intelligence économique*, notre collègue qui va reprendre le master 1, et l’assesseur à la pédagogie, pour soutenir le dynamisme de la filière intelligence économique qui, pour être la plus ancienne de France, ne s’endort pas pour autant sur ses lauriers. Nous avons aussi une certification qualité de l’IAE qui assure le respect d’un haut niveau d’exigence dans le pilotage des formations. Cela ne devrait-il pas suffire sans qu’une série de normes, de calculs, de rigidités viennent nous prendre une partie de l’énergie dont nous avons besoin pour nos étudiants et nos recherches ? Bien sûr, cela nous a appris à faire preuve de créativité et de finesse dans l’exercice de nos missions… Mais cette pesante immixtion du new public management dans notre métier, qui confond indicateurs et performance, confond contrôle et qualité est encore une fois une entrave plus qu’une garantie pour les étudiants. Au plus haut niveau, on souhaiterait entraver l’université pour favoriser les filières de formation privées que l’on ne s’y prendrait pas autrement… Mais que les étudiants se rassurent : nous tenons ferme la barre de la formation à l’intelligence économique à l’IAE de Poitiers 

Christian Marcon, merci.