Gouvernance

 LA LOI 3 DS : DU SOUFFLE POUR LES ACTEURS DES TERRITOIRES ?


Dominique LAULHE-DESAUW


La loi relative à la différenciation décentralisation- déconcentration » dite LOI 3 DS organise depuis le 21 février 2022 de nouveaux rapports de force, elle apporte un nouvel éclairage sur les enjeux, les responsabilités des différents acteurs.



Approfondissant la décentralisation et la déconcentration, cette loi comporte pas moins de 271 articles répartis dans 9 chapitres, elle est le fruit d’un long travail parlementaire, travail qui a été riche tout au long de son examen entre les deux chambres.
 
Elle est aussi un des rares textes issus du Grand Débat National organisé de janvier à mars 2019 consécutivement à la crise des gilets jaunes. Cette dernière rend, par ailleurs, hommage à la compétence de proximité des collectivités qui ont démontré leur grande réactivité durant la pandémie. En effet, Départements et Communes ont su créer en des temps record des centres de vaccination et organiser l’aide alimentaire d’urgence à destination des plus précaires en même temps que les régions mettaient en place des plans de financement pour soutenir les PME. Elle est doublement symbolique.
 
C’est aussi une loi éminemment technique.
 
Ce texte est fondamental par deux aspects :
  • Le texte consacre le principe de différenciation territoriale et permet aux collectivités de formuler des propositions de modifications législatives ou réglementaires. C’est-à-dire qu’elle reconnaît aux collectivités une forme d’initiative à interpeller le législateur et l’exécutif.
     
  • Le texte consacre le pouvoir réglementaire des collectivités qui se trouve renforcé de manière à permettre d’adapter leur organisation et leur action aux spécificités locales. C’est-à-dire qu’il est enfin possible de tenir compte de certaines spécificités liées aux territoires et de rendre les décisions plus cohérentes.
 
Le Volet décentralisation donne aux régions des prérogatives renforcées en matière de coordination des acteurs du service public et de l’emploi. Elles peuvent agir grâce au fond chaleur sur l’économie circulaire de l’Agence de transition écologique (ADEME) agence pour laquelle les préfets de région deviennent délégués territoriaux.
 
Les départements, se voient désormais confier certains blocs de compétences en matière de santé publique et ce, suite aux demandes récurrentes de ces derniers, notamment durant la crise sanitaire.
Ainsi la gouvernance et la composition du Conseil d’Administration des agences régionales de santé est désormais à un juste équilibre. La loi installe auprès du président du conseil d’administration de l’ARS – le préfet de région – quatre vice-présidents désignés, pour trois d’entre eux, parmi les représentants des collectivités territoriales. Par ailleurs, il est à noter que le Conseil d’Administration de l’ARS aura la charge de dresser un bilan régulier de la désertification médicale et de formuler des préconisations.

A ce jour, ce sont près de 7,4 millions de personnes qui vivent  dans une commune où l’accès à un médecin généraliste est limité - soit plus d’un dixième de la population française (11,1%) - Cette proportion ne cesse de croître, elle était  de 7,6% en 2012. Ces déserts médicaux sont essentiellement  concentrés dans le Centre et le Nord- Ouest de la France ainsi que dans certaines communes de l’Ile-de-France (Val-d’Oise et Seine-et-Marne) Source : Observatoire de la Mutualité Française.
 
De plus, il est à signifier que la loi instaure le fait que les contrats locaux de santé associant collectivités et ARS seront désormais conclus prioritairement dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins.

Elle donne aussi aux usagers dans les conseils territoriaux de santé et dans les contrats locaux de santé des capacités de participations. Toutefois ce rôle demeure avant tout consultatif/secondaire, le terme d’usager n’étant pas revu.
 
La contribution des collectivités territoriales au financement du programme d'investissement des établissements de santé est maintenue et renforcée ainsi que l'extension de la compétence des départements en matière de sécurité sanitaire.
 
Les modifications apportées par la loi 3DS, ne changent pas le paradigme. La santé reste avant tout l’affaire de l’Etat, mais un rôle actif est désormais réservé aux collectivités territoriales et élus locaux, à charge pour eux de se l’approprier.
 
Le rôle social et solidaire du département est consacré par diverses missions, aide à l’enfance, RSA, aide aux handicaps, habitat inclusif, vieillissement de la population, développement des maisons France Services.
 
Focus : Développement de l’habitat inclusif
La loi 3DS confie au président du conseil départemental la coordination du développement de l’habitat inclusif et l’adaptation des logements au vieillissement de la population, ainsi que la présidence de la conférence des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées. Par ailleurs, les organismes d’habitations à loyers modérés sont à présent autorisés à louer des logements sociaux aux porteurs de projet d’habitat inclusif.

L’habitat inclusif et le maintien à domicile des personnes âgées constituent probablement deux des principales alternatives futures à l’hébergement en Ehpad (compétence conjointe des ARS et présidents des Conseils Départementaux).
 
Au niveau des intercommunalités et des communes la loi consacre l’obligation générale de 25 % de logements sociaux et les accompagne dans le cadre de cet objectif grâce à la mise de place d’autorités organisatrices de l’habitat à ce même niveau.
 
Il est à noter que cette même loi évoque la recentralisation du financement du revenu de solidarité active (RSA) qui devrait être expérimentée dès 2023 et pendant 5 ans pour les départements volontaires, ce qui permettra de renforcer leur investissement dans les politiques d’insertion. Le département de la Seine-Saint-Denis a déjà signé un accord en ce sens (la recentralisation consistant à transférer à l’Etat l’instruction administrative, la décision d’attribution et le financement du RSA). Déjà en 2019, en outre-mer, les lois de finances pour 2019 et pour 2020 ont recentralisé le financement du RSA pour la Guyane, Mayotte et la Réunion.
 

Autres compétences dévolues aux Départements/Régions :

  • Transfert des routes nationales non concédées (en priorité vers les Départements qui le souhaitent, en coordination avec les régions
  • Transfert des petites lignes ferroviaires et de leurs gares en garantissant la transmission aux régions des règles de maintenance et sécurité nécessaires à leurs missions
  • Les collectivités pourront installer des radars automatiques sur leur domaine routier
  • Les départements et les régions auront autorité sur les gestionnaires des collèges et des lycées pour leur mission extra-pédagogiques, comme l’approvisionnement des cantines.

Élément plus innovant en matière économique, la loi ouvre la possibilité aux intercommunalités de porter des accords aménageant les horaires d’ouverture des commerces de centre-ville, étend les possibilités des collectivités territoriales et de leurs groupements de recourir au financement participatif pour leurs investissements.
 
Plus étonnant encore, elle autorise les collectivités territoriales à participer au capital des sociétés publiques locales (SPL) françaises quel qu’en soit l’objet social et renforce le contrôle des collectivités actionnaires sur les risques financiers pris par les entreprises locales.
 
Les communautés de communes et les communes deviennent aussi compétentes en matière d’eau et d’assainissement, la loi confirme l’échéance du 1er janvier 2026 pour le transfert de cette compétence aux communautés de communes et facilite le financement de celle-ci par les communes et les EPCI à fiscalité propre.
 
Dans le domaine énergétique, les communes et les EPCI peuvent désormais encadrer l’implantation d’éoliennes et déterminer, après enquête publique, un zonage dans le cadre des plans locaux d’urbanisme. Par ailleurs, la loi transfère dès 2023, la propriété des canalisations de gaz naturel, des propriétaires vers le gestionnaire du réseau public de transport de gaz naturel.
 
Le volet Déconcentration consiste à rapprocher l’Etat du terrain dans une logique d’appui et de contractualisation avec les collectivités territoriales. L’État est toujours à la manœuvre, il est représenté par un officier d’État : le préfet. Son champ de compétence est général, mais limité sur le plan géographique à son département et aux autres compétences attribués aux autorités fixés par la loi. Ainsi, le préfet de département voit son rôle renforcé dans l’attribution de la dotation de soutien à l’investissement local, il est désormais nommé délégué territorial de l’Office français de la biodiversité. Seule la gestion de l’eau est partagée conjointement avec un préfet coordonnateur de bassin et le délégué territorial de l’ADEME.
 
Enfin,
  • les collectivités territoriales et certains établissements publics peuvent désormais demander à la chambre régionale des comptes une évaluation des politiques publiques relevant de leur compétence.
  • la loi prescrit plusieurs mesures pour simplifier les démarches administratives des usagers avec l’expérimentation du dispositif « territoires zéro non recours»
  • la loi, de même allège certaines obligations déclaratives des élus locaux auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique
 
Conclusion
, cette loi donne de réelles marges de manœuvre aux élus locaux, en effet, les préfets de régions et de départements voient leurs rôles renforcés et par extension les entités qu’ils représentent, cela apparaît comme incontestable, mais est-ce suffisant ? Puisse cette loi être à la hauteur des espérances de ces derniers !!! Seul l’avenir nous le dira …

Auteure Dominique LAULHE-DESAUW, Coordinatrice de la Cellule d’appui aux territoires à la Direction Générale Adjointe des Solidarités - Département des Yvelines

 Après des études de droit public, Dominique LAULHE-DESAUW entre dans la fonction publique territoriale à la Ville de Sèvres, en tant qu’adjointe au responsable des Affaires Scolaires. Elle intègre ensuite les services du Département des Yvelines ; travaillant tour à tour auprès du Directeur général des services, du Directeur des mobilités et depuis plus d’un an auprès du Directeur général adjoint des Solidarités.
 
Mobilisée dès le 16 mars 2020 pour assurer la continuité du service public départemental, Dominique a coordonné la mise en place d’une réserve départementale d’agents volontaires. Au sortir du confinement, elle a par ailleurs pris la responsabilité de la coordination du pôle médico-social de la cellule départementale d’appui à l’isolement – cellule créée afin d’assurer une surveillance médicale à distance des patients et de garantir des conditions d’isolement satisfaisantes pour les personnes vulnérables ou en situation de précarité et a géré la campagne de vaccination auprès des publics les plus vulnérables.