
Face à un monde traversé par des crises multiples — économiques, sociales, climatiques et géopolitiques — Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, a livré un discours sans concession. Il dresse un constat alarmant : l’endettement public s’emballe, le vieillissement démographique s’accélère, la désindustrialisation progresse, la financiarisation prend le pas sur l’économie réelle, les tensions internationales se multiplient. À ses yeux, nous vivons une période de guerre, non seulement militaire, mais aussi économique, démographique et idéologique.
Pour relever ces défis, il insiste sur l’urgence d’une réorientation des politiques publiques en faveur de la jeunesse, aujourd’hui délaissée par les arbitrages budgétaires. Il appelle à rediriger l’épargne vers l’économie productive, en conditionnant les avantages fiscaux sur les héritages à leur investissement dans des projets utiles. Il évoque enfin la nécessité de revaloriser le travail, notamment en facilitant l’accès à l’emploi pour les seniors et en prenant en compte la pénibilité, en particulier dans les carrières féminines.
Jean-Hervé Lorenzi estime que l’Europe a un rôle à jouer pour contribuer à l’apaisement mondial, à condition de ne pas se limiter à des stratégies de défense militaire. Il plaide ainsi pour un nouveau partenariat avec l’Afrique. En France, il prône une réindustrialisation sélective, fondée sur des secteurs comme le nucléaire, la santé, le transport ou encore le luxe, tout en suggérant une mobilisation plus efficace de l’épargne nationale.
Cette édition 2025, qui a donné une visibilité inédite aux jeunes générations, confirme un malaise profond : les résultats d’une enquête menée auprès de 127 000 jeunes révèlent leur envie croissante d’émigrer, leur perte de repères et leur difficulté à se projeter dans l’avenir.
Jean-Hervé Lorenzi y voit un signal d’alerte démocratique, qui impose de repenser en profondeur les solidarités intergénérationnelles.
La manifestation s’est déroulée en présentiel et en ligne, offrant 66 sessions et controverses diffusées en direct.
Le thème retenu était : « Affronter le choc des réalités »
Placée sous le slogan « Affronter le choc des réalités », la rencontre s’est structurée autour de trois grands axes :
- repenser nos grilles d’analyse face aux crises
- comprendre l’enchevêtrement des chocs (géopolitiques, climatiques, technologiques)
- dégager des pistes d’actions concrètes
Les enjeux abordés étaient multiples : la guerre de l’information, la recomposition des chaînes de valeur, la dette publique, la transition climatique, l’intelligence artificielle et la compétitivité européenne. Parmi les intervenants, outre Jean-Hervé Lorenzi, fondateur et président du Cercle des économistes, la programmation a réuni :
- Sophie Binet (CGT)
- Michel Barnier (ancien ministre)
- Jean-Noël Barrot (ministre délégué aux Affaires étrangères)
- Esther Duflo (Prix Nobel d’économie 2019)
- Chantal Chambu Mwavita (ministre des Droits humains, République du Congo)
- Caroline Chevé (FSU)
- Mario Draghi (ancien président de la BCE)
Le président de la République, Emmanuel Macron, a également été invité à participer aux débats.
Innovations et dimension internationale
L’ouverture de l’Agora Jeunesse(s) a invité les 18-30 ans à prendre part aux débats, tandis que des think tanks venus de Chine, des États-Unis et d’Europe ont renforcé la dimension internationale. Le forum a tissé des liens plus étroits avec la vie sociale et culturelle d’Aix-en-Provence, en s’associant au Festival d’Aix et en mettant à l’honneur le livre et ses auteurs. Pour marquer ses 25 ans, il a célébré un anniversaire mémorable au cours d’une soirée festive, et son budget a grimpé à 6,7 millions d’euros, contre 6,2 millions l’an dernier, sans frais d’inscription pour le public.
Au terme de trois journées de discussions intenses, les Rencontres ont réaffirmé leur ambition : rendre la réflexion économique accessible à tous, croiser les disciplines et imaginer ensemble des réponses aux défis contemporains.
Rendez-vous en 2026 pour vivre la 26ᵉ édition, toujours au cœur d’Aix-en‐Provence.
Focus. "Information, la guerre des récits"
L’économie numérique a profondément bouleversé les modèles de financement des médias.
Les grandes plateformes attirent massivement l’audience en proposant gratuitement des extraits de contenu – souvent réduits au titre et au chapeau – au détriment des ventes au numéro et des abonnements payants. Les annonceurs, suivant le flux d’audience vers ces acteurs quasi-monopolistiques, ont détourné l’essentiel de leurs dépenses publicitaires, fragilisant ainsi la presse écrite et les médias audiovisuels.
Parallèlement, les algorithmes des réseaux sociaux diffusent sans distinction informations vérifiées et contenus fallacieux, ce qui complique la capacité des citoyens à distinguer le vrai du faux.
Problématiques soulevées
Le débat a mis en lumière l’urgence de repenser les fondements économiques et éditoriaux de l’information. Il s’agit d’élaborer un modèle viable pour les médias traditionnels tout en incitant les lecteurs à privilégier une information honnête et vérifiée.
Par ailleurs, les réseaux sociaux diffusent sans filtre ni hiérarchisation des contenus très variés, mêlant informations fiables et messages trompeurs, issus tantôt d’ingérences extérieures, tantôt d’influenceurs peu soucieux de la véracité.
Face à ce bouleversement, comment repenser un modèle économique durable pour les médias ? Comment encourager les citoyens à délaisser les contenus fallacieux pour exiger une information rigoureuse, vérifiée — et à reconnaître sa valeur en acceptant de la rémunérer ?
Intervenants et perspectives
Melissa Bell de CNN a souligné le rôle essentiel des plateformes dans la distribution de l’information et les défis que cela pose pour maintenir une couverture en profondeur. David Larramendy, président du directoire du groupe M6, a évoqué les initiatives de diversification des revenus par l’organisation d’événements et la mise en place d’abonnements premium pour compenser la baisse des recettes publicitaires. Pierre Louette, PDG du groupe Les Echos–Le Parisien, a insisté sur la nécessité de préserver l’indépendance rédactionnelle face aux acquisitions industrielles.
Enfin, Stanislas Niox-Chateau de Doctolib et Tidhar Wald de l’IFPIM ont présenté les partenariats public-privé comme un levier durable de financement pour les médias d’intérêt général. Anne Perrot, du Cercle des économistes, a coordonné ces échanges, tandis que Tanguy Demange de La Correspondance de la Presse en assurait la modération, garantissant un débat équilibré entre acteurs de la presse, régulateurs et nouvelles structures de financement.
Coordinateur : Anne Perrot, Cercle des économistes