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A lire. Nike, victime du ROIsme : l'histoire d'un suicide digital. Théo Lion

"Devenu esclave des algorithmes, Nike a fini par produire des bannières optimisées pour le clic, et non pour l’âme."


Jacqueline Sala
Jeudi 24 Juillet 2025


Le 28 juin 2024, Nike a perdu 25 milliards de dollars de capitalisation boursière, point d’orgue d’une stratégie dite “tech company” lancée en janvier 2020 par John Donahoe. En remplaçant l’organisation par sports par une structure par genres, l’entreprise a sacrifié l’expertise de ses spécialistes au profit d’algorithmes et d’un ciblage digital. Est-ce un cas isolé ? Que peut-on en déduire ?



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Le 28 juin 2024, Nike a perdu 25 milliards de dollars de capitalisation boursière, point d’orgue d’une stratégie dite “tech company” lancée en janvier 2020 par John Donahoe. En remplaçant l’organisation par sports par une structure par genres, l’entreprise a sacrifié l’expertise de ses spécialistes au profit d’algorithmes et d’un ciblage digital.
 

La volonté de promouvoir la vente directe au consommateur sans intermédiaires a rapidement révélé des coûts cachés. Les frais de logistique, le taux de retours élevé et l’explosion des budgets publicitaires sur Facebook et Google ont grignoté les marges attendues, tandis que la capacité d’innovation produit déclinait face à des concurrents comme Hoka et On Running.
 

La gestion automatisée des stocks a conduit à un inventaire record, imposant des promotions permanentes et érodant la marge brute de 45,6 % à 43,5 % entre 2019 et 2023. Parallèlement, la disparition de 15 000 points de vente wholesale a détourné de nombreux clients vers d’autres marques, laissant Nike perdre du terrain malgré un discours résolument digital.
 

Au début de 2024, la chute des ventes en ligne et le recul de Nike Direct ont confirmé l’impasse d’une stratégie axée sur la performance à court terme. Lorsque l’action a terminé à 78,50 $ après ouverture à 102 $, le diagnostic était sans appel : l’obsession du ROI et de la data avait éteint la magie de la marque et sacrifié sa valeur sur l’autel des chiffres.

 

Plus on cible, moins on touche réellement le cœur du public.

En quelques années, le mix marketing s’est totalement inversé : là où Nike consacrait 60 % de son budget au brand building en 2019, ce poste représente désormais à peine 20 %. Les 80 % restants alimentent Google Ads, Facebook et Instagram, retargeting et campagnes d’email automation.
Les coûts publicitaires explosent tandis que les indicateurs de performance – taux de clic, coût par impression, taux d’ouverture – décrochent.

 

Le résultat est sans appel : la notoriété spontanée a reculé de 23 % entre 2020 et 2023, l’engagement social a chuté de 45 %, et le Net Promoter Score est passé de 72 à 41. Aucune campagne réellement mémorable n’a émergé depuis 2018 ; Nike est devenu culturellement invisible. Un ancien directeur créatif confie qu’on lui réclamait le ROI de chaque idée : « Comment mesurer le frisson d’une émotion ? »
Devenu esclave des algorithmes, Nike a fini par produire des bannières optimisées pour le clic, et non pour l’âme.

 

Cette dérive illustre le paradoxe du « ROIsme » : plus on cherche à mesurer et optimiser chaque détail, plus on s’éloigne de l’inspiration et de l’innovation. Plus on cible, moins on touche réellement le cœur du public.


Marche arrière !

Nike amorce un lent retournement en renouant avec ses distributeurs historiques (Foot Locker, DSW, Macy’s, Dick’s Sporting Goods), en recréant ses divisions par sport sous l’appellation “Fields of Play” et en injectant 500 millions de dollars supplémentaires dans la R&D. Sur le plan marketing, la marque rééquilibre enfin son mix en redonnant priorité au brand building — illustré par la campagne JO 2024 “Winning isn’t for everyone” — et prévoit d’augmenter son budget émotionnel de 40 % en 2025 tout en renouant avec des contrats d’athlètes majeurs comme Mbappé.

Pour autant, Nike traîne les stigmates de trois années d’“ère Donahoe” : de nombreux talents ont rejoint On, Hoka ou Lululemon, la part de marché running a chuté de 47 % à 31 %, et la confiance des distributeurs reste brisée. Selon l’analyste Matt Powell, il faudra entre cinq et dix ans pour réparer ces dégâts, à condition que la concurrence ne creuse pas encore davantage l’écart.

 

A propos de Théo Lion

 
Théo Lion, entrepreneur français, est diplômé d’HEC Paris après une prépa ECS.. Pendant son année de césure, il fonde Coudac, une agence de pub spécialisée dans les marques e-commerce.; À 24 ans, il dirige une entreprise florissante avec plusieurs dizaines d’employés. Très actif sur LinkedIn et YouTube, il partage ses conseils business avec un ton direct et authentique.