STRATEGIES

Accord UE‑Mercosur : l’Italie rejoint la France et fragilise Bruxelles.

Entre realpolitik et souveraineté agricole, l’Union se retrouve face à un dilemme qui pourrait redéfinir sa place dans le monde.


Jacqueline Sala
Vendredi 19 Décembre 2025


Alors que la Commission européenne espérait conclure l’accord de libre‑échange avec le Mercosur avant la fin de l’année, l’Italie s’est rangée aux côtés de la France pour en bloquer la signature. Une alliance qui crée une minorité de blocage et révèle les fractures profondes de l’Union européenne face aux enjeux agricoles et géopolitiques.



Accord UE‑Mercosur : l’Italie rejoint la France et fragilise Bruxelles.
La Commission européenne, soutenue par plusieurs États membres favorables à l’accord (notamment l’Allemagne, l’Espagne, les pays nordiques et une partie de l’Europe de l’Est), estime que repousser la signature affaiblit la crédibilité de l’Union. Pour eux, l’accord est le fruit de 25 ans de négociations et représente une opportunité économique et géopolitique qu’il serait dangereux de laisser s’échapper. Reporter encore une fois, c’est envoyer le signal que l’Europe est incapable de tenir ses engagements et de parler d’une seule voix.

Cependant, l’accord UE‑Mercosur est contesté principalement pour trois raisons majeures : la concurrence agricole jugée déloyale, les risques environnementaux liés à la déforestation et aux pratiques interdites en Europe, et la faiblesse des garanties sociales et sanitaires. Les agriculteurs français ont accueilli le report de l’accord UE‑Mercosur comme une victoire provisoire, mais ils restent farouchement opposés au traité et exigent son abandon pur et simple.
 

Un accord attendu depuis 25 ans

Négocié depuis un quart de siècle, l’accord UE‑Mercosur devait sceller un partenariat stratégique entre l’Europe et l’Amérique du Sud. Il promettait d’ouvrir les marchés sud‑américains aux exportations européennes tout en offrant aux pays du Mercosur un accès privilégié aux consommateurs européens.
Mais derrière les promesses économiques, les résistances nationales n’ont jamais disparu.

Pour les éleveurs européens, l’accord ouvre la porte à une concurrence jugée déloyale. Les quotas de viande bovine sud‑américaine, produits selon des normes sanitaires et environnementales moins strictes, menacent directement les filières locales. En France et en Italie, les syndicats agricoles dénoncent une mise en danger de la souveraineté alimentaire et une pression accrue sur des exploitations déjà fragilisées.

La coalition franco‑italienne

En décembre 2025, Emmanuel Macron a jugé l’accord “prématuré”, invoquant la protection des filières agricoles françaises. Giorgia Meloni a rapidement apporté son soutien, transformant l’opposition française en une coalition capable de bloquer le texte. Avec la Pologne et la Hongrie également réticentes, une minorité de blocage s’est formée, empêchant la Commission de faire avancer le dossier.
Le ralliement de l’Italie à la France dans le dossier UE‑Mercosur marque un tournant politique majeur. Jusque‑là isolée, la France voit sa position renforcée par une autre grande puissance agricole et fondatrice de l’Union, ce qui confère une légitimité accrue à son opposition. Ensemble, Paris et Rome représentent une part significative de la population européenne et créent une minorité de blocage capable de paralyser la ratification de l’accord.

Ce rapprochement traduit aussi la colère des filières agricoles des deux pays, qui dénoncent une concurrence jugée déloyale et des garanties environnementales insuffisantes. Au‑delà des enjeux économiques, cette alliance fragilise la Commission européenne et révèle les fractures internes de l’Union, incapable de parler d’une seule voix face au Mercosur.
 

Des tensions au cœur de l’Europe

Pour Bruxelles, l’accord est un instrument de realpolitik : il vise à renforcer la présence européenne en Amérique latine face à la Chine et aux États‑Unis. Mais pour les opposants, il menace la souveraineté agricole et ne garantit pas assez de clauses environnementales. Les manifestations massives d’agriculteurs à Bruxelles, avec des milliers de participants et des centaines de tracteurs, ont donné une dimension sociale et politique à ce bras de fer.

Les risques existent et ne doivent pas être sous-estimés. D'abord, la Perte d’influence en Amérique du Sud. Le Brésil et les autres pays du Mercosur pourraient se tourner davantage vers la Chine ou les États‑Unis, qui multiplient les accords bilatéraux et investissent massivement dans la région. L' 
Affaiblissement de l’UE sur la scène internationale est un argument récurrent : en apparaissant divisée et hésitante, l’Union risque d’être marginalisée dans la compétition mondiale pour l’accès aux marchés et aux ressources stratégiques.
L’accord UE‑Mercosur est vu comme un test de la capacité européenne à conjuguer ses ambitions normatives avec une stratégie de puissance.


Entre realpolitik et souveraineté agricole, l’Union se retrouve face à un dilemme qui pourrait redéfinir sa place dans le monde.

Le report de la signature à janvier ne résout rien : il illustre au contraire la difficulté de l’Union européenne à concilier ses ambitions globales avec les intérêts nationaux.
L’accord UE‑Mercosur, censé incarner une ouverture stratégique, devient le symbole des fractures internes de l’Europe.

Entre realpolitik et souveraineté agricole, l’Union se retrouve face à un dilemme qui pourrait redéfinir sa place dans le monde.