Ce n’est pas un accident. Ce n’est pas une fatalité. C’est un acte de négation.
Une attaque contre ce qui relie, ce qui protège, ce qui élève. Une destruction ciblée de ce qui fonde la possibilité même du vivre ensemble.
Reconnaitre le Mal suppose d’abord de renoncer aux euphémismes. Ce n’est pas l’absence du Bien, ce n’est pas une défaillance morale mineure, ce n’est pas un aléa malheureux. Le Mal opère activement. Il déstructure, il désagrège, il déplace les repères. Il inverse les cohérences. Il se donne souvent les traits de la rationalité : il organise, il planifie, il met en œuvre. Mais toujours en niant l’humanité de l’autre. En effaçant le sujet derrière une cause, un ordre, un intérêt. Il n’est pas seulement violence : il est aussi clarté glaciale, certitude inébranlable, langage lissé.
Il faut affronter cette logique.
Toute catastrophe est la rupture de ce cadre, la dissolution de la frontière entre l’intérieur et l’extérieur, entre ce qui protège et ce qui menace. Le Mal, en ce sens, agit comme une force de rupture : il attaque les structures de sens, les cohérences sociales, les institutions protectrices. Il dissout la confiance, contamine le langage, fragilise les liens.
C’est soutenir les mécanismes de vigilance, les alertes, les médiations
C’est soutenir les mécanismes de vigilance, les alertes, les médiations. C’est préserver l’endovolume — ce lieu intérieur où les valeurs, les règles, les relations font système.
C’est aussi accepter l’inconfort de l’ambivalence : le Mal n’est pas toujours spectaculaire. Il est souvent silencieux, progressif, indexé sur des routines. On ne le voit pas toujours venir. Il est dans les seuils franchis sans alarme, dans les responsabilités diluées, dans les discours neutres qui justifient des pratiques inhumaines.
Le dépasser, enfin, n’est pas une simple résilience.
Elle met en scène la possibilité pour la cité de renoncer à la vengeance, de poser la Loi, de construire une justice qui dépasse le cycle infini des représailles. Elle est catharsis, non par effet émotionnel, mais parce qu’elle ouvre un espace symbolique et politique pour que l’humanité dépasse l’inhumanité qui est en elle.
Ce que la tragédie a permis dans l’Athènes antique, nous devons le repenser aujourd’hui.
Car les logiques tribales, les crispations identitaires, les replis postmodernes remettent en question notre capacité à faire société. Le Mal que nous devons affronter n’est pas seulement celui des actes barbares : c’est aussi celui des fragments, des cloisons, des discours de séparation. Il est temps de reconstruire un méta-récit du vivre ensemble. Cela ne se décrète pas. Cela se travaille.
Et cela commence par un récit cathartique de notre contemporanéité.
A propos de l'auteur
Dr Jan-Cédric Hansen
Praticien hospitalier, expert en pilotage stratégique de crise, vice-président de GloHSA et de WADEM Europe, Administrateur de StratAdviser Ltd - http://www.stratadviser.com/