Intelligence des Territoires, PME, ETI

Ancrage territorial. Responsabilité Territoriale des Entreprises. Construire un destin commun . Rencontre avec Julien Poisson.


Jacqueline Sala
Vendredi 6 Septembre 2024


L’ancrage territorial repose sur la coopération entre acteurs pour construire un destin commun. C’est une démarche politique. Son objectif est de renforcer les liens entre une organisation et son territoire en s’intégrant aux dynamiques locales, pour maximiser les retombées positives tout en assurant la pérennité de l’entité. Sa réussite dépend fortement des postures des acteurs locaux.



Ancrage territorial. Responsabilité Territoriale des Entreprises. Construire un destin commun . Rencontre avec Julien Poisson.

Pouvez-vous expliquer la signification de la notion d'« ancrage territorial » selon vous ?

La notion d'ancrage territorial a émergé après les années 1990, à un moment où l'économie mondiale s'est (largement) globalisée. À la fin du XXe siècle, les entreprises, même les plus modestes, se sont progressivement retrouvées liées à deux types d'espaces autrefois inaccessibles et inimaginables.
  • Le premier est l'espace « global », rendu accessible par des coûts énergétiques relativement bas, des réseaux logistiques de plus en plus efficaces, et surtout, une volonté politique d'intensifier les relations et interdépendances à l'échelle mondiale. Cela a permis aux décideurs économiques de se projeter dans un au-delà lointain, complexe et aux contours diffus.
  • Le second est l'espace « virtuel », rendu accessible par la diffusion massive des technologies de l'information et de la communication dans les années 1990. Internet, les messageries instantanées et les clouds ont créé un monde naïvement considéré comme immatériel.
En réalité, l'espace virtuel repose sur des infrastructures physiques (câbles sous-marins, serveurs, satellites, etc.). Il n’a rien d’immatériel et consomme même 62,5millions de tonnes de ressources et génère 20 millions de tonnes de déchets sur le seul territoire français[[1]]. La projection des entreprises dans l’espace global produit aussi ses effets notamment sur les territoires par les délocalisations qu’elles ont impliquées : depuis 1975, on compte plus de 2,5 millions d'emplois industriels perdus en France[[2]] .
 
L’ancrage territorial apparait comme un mode gestion ni global ni virtuel. Elle cherche à faire « atterrir[[3]] » l’économie en lui redonnant un cadre territorial, social et politique. Son objectif est de renforcer les liens entre une organisation et son territoire en s’intégrant aux dynamiques locales, pour maximiser les retombées positives tout en assurant la pérennité de l’entité.
 
Précisons que la notion d’ancrage territorial est différente de celle de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). Elle est un mode d’action, basé sur la coopération, et une finalité concrète. Alors que le « sociétal » renvoie à un engagement individuel, en faveur d’une société a priori homogène, le « territoire » implique une dimension collective et veut tenir compte des spécificités du territoire, notamment des « effets de lieux »[[4]] . Ainsi, l’ancrage territorial s’exprime mieux en termes de « Responsabilité Territoriale des Entreprises »[[5]] .
 

Quels sont les principaux obstacles à lever en matière d’ancrage territorial ?

L’ancrage territorial repose sur la coopération entre acteurs pour construire un destin commun. C’est une démarche politique au sens de politeia (πολιτεία en grec ancien), reflétant l’interdépendance entre l’individu et la cité, en en faisant un citoyen. Sa réussite dépend fortement des postures des acteurs locaux. Certains éléments peuvent nuire à cette démarche, notamment :

La culture politique. La question de la réussite ou non d'une démarche d'ancrage territorial pose inévitablement la question de l'exercice du pouvoir. Celui-ci aura un effet bloquant si les décideurs politiques et économiques ne placent pas le territoire et la population civique au cœur de leurs préoccupations. C'est donc une question de culture politique.

Le statu quo. Une démarche collective nécessite une gestion des conflits par le dialogue, organisé intellectuellement (avec des acteurs éclairés), spatialement (dans des lieux propices à l’échange), et moralement (en centrant le débat sur les idées plutôt que sur les personnes).

Logique purement financière. Bien que l’ancrage territorial passe par des actions simples comme le partage de connaissances, le soutien aux associations locales et la création de partenariats, ces initiatives sont difficiles à quantifier financièrement, rendant leur adoption complexe pour les organisations axées uniquement sur le profit.




Comment, selon vous, diffuser l’appropriation d’une démarche d’ancrage territorial ?

Les obstacles mentionnés, y compris ceux liés aux outils de gestion, proviennent souvent de divergences de représentations entre les promoteurs de l’ancrage territorial et ses opposants. Surmonter ces obstacles est un processus long aux résultats incertains.

Pour y parvenir, il est essentiel d'influencer l'évolution de ces représentations en s'appuyant sur des recherches en géographie, en science régionale et en gestion, ainsi qu'en faisant intervenir des experts auprès du public cible. La diffusion de documents, études et analyses en interne ou au sein de son réseau peut également être bénéfique pour sensibiliser et renforcer la compréhension collective, facilitant ainsi l’adoption de l’ancrage territorial.

Les ressources disponibles sont variées. Je peux vous partager ceux que j’ai eu à l’esprit en répondant à ces trois questions : l’ouvrage La Responsabilité Territoriale des Entreprises de Maryline Filippi, Professeure d’économie, les travaux d’Anaïs Voy-Gillis Docteure en géographie, les publications de la Revue d’Economie Régionale et Urbaine ainsi que les « fiches pratiques » fruits du travail de la thèse en cours sur le thème Réseaux inter-organisationnels et représentations de l’Intelligence économique ». Mises à disposition sur le site de la Région Normandie. (Lien vers la page : https://www.normandie.fr/intelligence-economique)
 


Julien Poisson est doctorant en sciences de gestion à la fois à l'Université de Caen Normandie et à l'EM Normandie Business School.
Il est impliqué dans un projet de recherche financé par la Région Normandie, en partenariat avec le NIMEC (Normandie Innovation Marché Entreprise Consommation)2.
Il se spécialise dans l'étude de l'intelligence économique et de la géopolitique appliquée aux entreprises. Il souligne l'importance pour les dirigeants d'entreprises de comprendre les enjeux géopolitiques pour une meilleure gestion des risques et des dépendances stratégiques.