La rivalité silencieuse entre Riyad et Abou Dhabi
L'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont été des alliés étroits dans toutes les grandes crises régionales de la dernière décennie, du Yémen à la lutte contre l'Iran. Mais sous la surface s'est développée une compétition croissante.
Au Yémen, leurs soutiens divergent : les Émirats appuient un gouvernement séparatiste dans le Sud, tandis que Riyad soutient le gouvernement reconnu internationalement.
Au Soudan, cette différence devient un affrontement stratégique : Abou Dhabi est accusée d'appuyer les Forces de soutien rapide, tandis que l'Arabie saoudite et l'Égypte soutiennent l'armée soudanaise. Lorsque Le Caire et Riyad convergent, un « consensus arabe » se forme, isolant les Émirats.
Et aujourd'hui, le dossier soudanais est l'un des terrains où Abou Dhabi apparaît la plus isolée.
Au Soudan, cette différence devient un affrontement stratégique : Abou Dhabi est accusée d'appuyer les Forces de soutien rapide, tandis que l'Arabie saoudite et l'Égypte soutiennent l'armée soudanaise. Lorsque Le Caire et Riyad convergent, un « consensus arabe » se forme, isolant les Émirats.
Et aujourd'hui, le dossier soudanais est l'un des terrains où Abou Dhabi apparaît la plus isolée.
Le rôle des Émirats et les routes du conflit
Les accusations visant les Émirats portent sur leur présumé soutien militaire et logistique aux FSR via des routes traversant l'Est libyen, le Tchad et même le port somalien de Bosaso. Abou Dhabi nie tout en bloc, mais les observateurs relèvent une constante : partout où les FSR opèrent, apparaissent trafics d'armes et chaînes d'approvisionnement difficiles à retracer.
Nées comme milice du Darfour puis transformées en force paramilitaire nationale, les FSR se sont rendues responsables de massacres, de viols et de pillages, notamment à el-Fasher. Les preuves de ces crimes ont accentué la pression internationale sur les Émirats, désormais confrontés à un coût réputationnel croissant.
L'appel avec Burhan et la demande de pression sur Washington
Le général Abdel Fattah al-Burhan, commandant de l'armée soudanaise, a indiqué clairement au prince héritier saoudien que la guerre ne pouvait se terminer sans une pression américaine sur les Émirats. C'est un message lourd de sens : Riyad peut tenter de jouer les médiateurs, mais seule Washington peut contraindre Abou Dhabi à revoir sa ligne.
D'où la décision de ben Salmane d'intervenir directement auprès de Trump. La Maison-Blanche actuelle, dominée par la personnalité du président et méfiante envers la diplomatie traditionnelle, privilégie ce type de contacts de haut niveau. Ce qui, autrefois, aurait été géré par des diplomates nécessite désormais l'implication personnelle des dirigeants.
Un trio qui n'en est plus un : Arabie saoudite, Émirats et Qatar
Les dynamiques du Golfe se sont complexifiées ces dernières années.
Les liens d'Abou Dhabi avec les réseaux d'affaires de Jared Kushner, tout comme les investissements saoudiens dans ces mêmes circuits, ont créé des entrelacements personnels et économiques parfois plus influents que les structures officielles.
Les liens d'Abou Dhabi avec les réseaux d'affaires de Jared Kushner, tout comme les investissements saoudiens dans ces mêmes circuits, ont créé des entrelacements personnels et économiques parfois plus influents que les structures officielles.
Dans le même temps, le Qatar, réhabilité après la crise de 2017, se repositionne habilement entre médiations, investissements et jeux d'influence. Les Émirats, autrefois partie intégrante du bloc le plus cohérent du Golfe, se retrouvent désormais en compétition non seulement avec Téhéran, mais aussi avec des partenaires arabes souhaitant limiter leur marge de manœuvre.
L'atmosphère dans les couloirs du pouvoir américain
Le président Trump privilégie les relations personnelles aux canaux diplomatiques formels.
La Turquie et l'Arabie saoudite y ont eu recours pour obtenir la levée de sanctions contre la Syrie ; d'autres dirigeants arabes l'ont fait pour obtenir un cessez-le-feu à Gaza. À présent, ben Salmane veut appliquer la même stratégie pour le Soudan, au moment où l'opinion internationale se montre de plus en plus critique envers les FSR.
La Turquie et l'Arabie saoudite y ont eu recours pour obtenir la levée de sanctions contre la Syrie ; d'autres dirigeants arabes l'ont fait pour obtenir un cessez-le-feu à Gaza. À présent, ben Salmane veut appliquer la même stratégie pour le Soudan, au moment où l'opinion internationale se montre de plus en plus critique envers les FSR.
Pour Abou Dhabi, cet entretien représente un risque réel : l'Arabie saoudite pourrait convaincre Washington de revoir son attitude envers les Émirats, en tirant parti de l'impact émotionnel des atrocités commises.
Les enjeux soudanais : stabilité ou implosion totale
Le Soudan est ravagé : villes détruites, millions de déplacés, famine diffuse. Les FSR sont accusées de violences systématiques ; l'armée soudanaise, elle aussi, n'est pas exempte de responsabilités.
Mais pour Riyad, la stabilité du pays passe par un renforcement de l'armée, jugée plus prévisible et plus alignée sur les dynamiques arabes. Les Émirats, en soutenant des milices, favorisent un modèle d'intervention misant sur des acteurs non étatiques : un moyen d'étendre leur influence à moindre coût, mais au risque d'une déstabilisation profonde.
C'est là la véritable fracture entre Riyad et Abou Dhabi : deux modèles opposés de gestion du pouvoir dans le monde arabe.
Une guerre soudanaise devenue champ de bataille géopolitique
La guerre au Soudan n'est plus seulement un conflit africain. C'est un terrain d'affrontement entre monarchies du Golfe, un dossier utilisé dans les négociations avec Washington et un espace où s'entrecroisent les intérêts de l'Égypte, de la Turquie et de la Somalie.
Si ben Salmane parvient à convaincre Trump de faire pression sur les Émirats, le conflit pourrait prendre une tournure différente. Dans le cas contraire, il continuera de s'embraser — alimenté par les milices, les trafics et les rivalités — tandis que l'ordre régional du Golfe se délite en silences, compétitions et accusations croisées.
A propos de ...
Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE).
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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