STRATEGIES

Audiovisuel : l’Assemblée Nationale planche sur une nouvelle proposition de loi


Jacqueline Sala
Lundi 14 Juillet 2025


Face à la multiplication des plateformes étrangères et à la sophistication des campagnes de désinformation, le projet de loi e vise à regrouper les forces existantes autour d’une stratégie unifiée. L’objectif est de renforcer la résilience de l’information face aux ingérences et d’assurer une couverture fiable et pluraliste sur tout le territoire. Quels sont les pièges à éviter car si la réforme répond à une nécessité stratégique, elle gagnerait à être rééquilibrée pour mieux garantir l’indépendance des médias, préserver la diversité des voix et assurer une gouvernance transparente et pluraliste.



Depuis le 30 juin 2025, l’Assemblée nationale se penche sur une proposition de loi portée par Virginie Duby-Muller et Jérémie Patrier-Leitus, qui a pour objectif de repenser en profondeur l’architecture de l’audiovisuel public français. 

Source : La proposition de loi « relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle » est enregistrée à l’Assemblée nationale sous la référence n° 118, déposée le 23 juillet 2024.
Rapport n° 1266 a été déposé le 9 avril 2025, suivi du rapport rectifié n° 1591 du 18 juin 2025

Vers une politique d’innovation digitale centralisée

Le projet de loi prévoit la fusion des trois présidences actuelles en une seule fonction de président-directeur général, garante d’une vision stratégique globale. Les entités France Télévisions, Radio France et l’INA seraient regroupées sous une holding baptisée France Médias, dotée d’une plateforme numérique commune pour diffuser l’ensemble des contenus.
Cette nouvelle structure s’accompagne d’une politique d’innovation digitale centralisée, conçue pour accélérer le développement de services de streaming, podcasts et formats immersifs tout en structurant une défense commune contre les manipulations étrangères.

Source

Cette réforme soulève plusieurs interrogations, notamment sur le plan démocratique, éditorial et stratégique.

Si l’intention de renforcer la souveraineté audiovisuelle face aux plateformes étrangères est largement partagée, les moyens choisis suscitent des réserves.

D’abord, la création d’une holding unique, France Médias, pilotée par un président-directeur général, concentre les pouvoirs de gouvernance. Cette centralisation pourrait affaiblir l’indépendance éditoriale des rédactions, en réduisant leur capacité à résister aux pressions politiques ou économiques. 

Ensuite, la fusion des entités historiques – France Télévisions, Radio France, INA – risque d’effacer leurs identités propres, construites sur des missions spécifiques et des cultures rédactionnelles distinctes. Le modèle proposé s’inspire de précédents comme France Télévisions en 2009, mais les enjeux actuels sont plus complexes, notamment avec l’irruption de l’intelligence artificielle et des algorithmes de recommandation dans la production et la diffusion de contenus.

Enfin, le calendrier accéléré de la réforme, avec une mise en œuvre prévue dès janvier 2026, pourrait compromettre la qualité du dialogue avec les salariés, les syndicats et les partenaires culturels. Le manque d’étude d’impact détaillée sur les coûts, les effets sociaux et les risques de concentration médiatique est également pointé par plusieurs parlementaires.


Réformes stratégiques des médias publics en Europe

Jetons un coup d'oeil sur ce qui se passent dans d'autres pays européens.

Plusieurs pays ont récemment repensé l’organisation de leur audiovisuel public pour renforcer leur compétitivité numérique et préserver leur souveraineté informationnelle. En Espagne, la loi 17/2006 du 5 juin 2006, entrée en vigueur début 2007, a transformé la RTVE en une société anonyme à capitaux entièrement publics. Cette réforme a fusionné Télévisión Española (TVE), Radio Nacional de España (RNE) et l’ancienne société de production RTVE pour améliorer la coordination éditoriale et développer une plateforme numérique unique pour l’ensemble des contenus audiovisuels espagnols.

La BBC a scindé en 2018 ses activités de création (BBC Studios, filiale commerciale) et de diffusion (service public financé par la redevance) pour générer des revenus à l’international.

En Allemagne, ARD et ZDF ont noué en 2020 une « alliance numérique » en mutualisant streaming, infrastructures et gouvernance pour rivaliser avec les géants du Net.

Et en Italie, la RAI a lancé dès 2016 RaiPlay, une plateforme unique conjuguant VOD, archives et contenus originaux, soutenue par une refonte du financement et une charte éditoriale renforcée pour préserver la diversité culturelle et contrer la désinformation.

 

Les professionnels de l'information devront adapter leur veille réglementaire aux nouveaux cadres unifiés. L’analyse concurrentielle devra intégrer les alliances public-privé et la stratégie d’investissements partagés. La surveillance des ingérences imposera la mise en place d’équipes spécialisées en cyber-renseignement et en fact-checking sectoriel. Enfin, la prospection de partenariats technologiques devra privilégier des accords comportant des clauses de protection de la souveraineté et de partage sécurisé des données.

En somme, si la réforme répond à une nécessité stratégique, elle gagnerait à être rééquilibrée pour mieux garantir l’indépendance des médias, préserver la diversité des voix et assurer une gouvernance transparente et pluraliste.

Sources

- Voir « Licence-Fee Split: BBC Studios » sur le site de la BBC Corporate, consulté en juillet 2025.
- Propos tirés du rapport « Zukunftsvertrag öffentlich-rechtlicher Rundfunk », accord fédéral-landes, juin 2020.
- Présentation de RaiPlay dans le rapport annuel de la RAI 2017.
- « Régimen jurídico de RTVE », Agencia Estatal Boletín Oficial del Estado, 5 juin 2006