Bonjour Valentin Fontan-Moret
À travers le Baromètre des Narratifs Industriels, trois acteurs – The New One, Nodelio et La Moindre des Choses – proposent une lecture stratégique des discours portés par les entreprises. Une cartographie inédite des récits de souveraineté, d’innovation et de transition. Rencontre avec Valentin Fontan-Moret, l’un des initiateurs.
Quelles urgences ou mutations vous ont poussé à cartographier les récits portés par les acteurs industriels, et en quoi ce baromètre répond-il à un besoin stratégique ou éditorial ?
Le Baromètre des narratifs industriels (BNI) est né sous l’impulsion de Grégoire Courdé de l’agence The New One et de sa rencontre avec Alexandre Taillard de la société Nodelio, dont la technologie permet d’identifier et de caractériser les narratifs dominants dans le débat public. J’y ai contribué à la hauteur de mon expertise sur les enjeux d’influence et les controverses qui structurent l’opinion et les rapports de force économiques, que j’étudie depuis 2019 en tant que consultant en Intelligence stratégique et conseiller en communication.
Nous nous sommes tous trois tombés d’accord sur un constat : tout le monde parle aujourd’hui de la nécessité de trouver de nouveaux récits à l’industrie. Or cette notion n’est pas toujours bien définie, et même si la plupart des industriels avouent eux-même que l’industrie souffre d’un problème d’image, il n’existait encore aucun outil permettant d’objectiver et de qualifier les discours dominants dans le débat public concernant l’industrie. Le BNI vient combler cet angle mort.
En se basant sur l’analyse des contenus d’actualité liés au mot-clé « industrie » sur le premier semestre 2025, il offre une vision claire et objective de l’environnement informationnel, de la teneur des débats sur ce sujet, ainsi que des parties impliquées. Ceci en fait un outil de pilotage inédit pour tous les acteurs qui souhaitent s’impliquer dans ces débats.
Peut-on parler de récits dominants, émergents ou en tension ?
Il y a effectivement, parmi les 25 premiers narratifs identifiés dans le BNI, des thématiques qui s’imposent avec force comme la durabilité et la compétitivité de l’industrie qui dominent véritablement le débat, suivies par les questions de souveraineté et d’innovation.
Ces quatre items sont un peu comme les 4 piliers du débat actuel sur l’industrie, mais sont parfois en tension les uns avec les autres. C’est notamment le cas pour la durabilité et la compétitivité : plutôt que de s’allier, ces deux notions apparaissent souvent en concurrence. De même, la souveraineté se distingue en se hissant à la 2e place du classement des 25 narratifs principaux, mais elle apparaît relativement isolée des autres notions, notamment celles de durabilité ou d’innovation…
Comment ces narratifs traduisent-ils les repositionnements des entreprises face aux enjeux de souveraineté, d’innovation ou de transition ?
Il est frappant de constater que la parole des industriels est finalement peu représentée dans ces discours médiatiques. Ce sont surtout les politiques qui sont à la manœuvre, suivis par quelques experts puis par les médias eux-mêmes et, parfois, la société civile organisée (ONG…). En d’autres termes, les industriels participent trop peu aux débats qui les concernent et influencent pourtant très directement leurs activités : combien de normes, de réglementations, de décisions politiques sont prises suite à un « coup » ou une « affaire » médiatique ?
On note cependant quelques exceptions qu’il faut saluer : sur les enjeux de formation aux métiers industriels ou de mixité par exemple, certains acteurs comme les UIMM parviennent à faire un travail de communication efficace.
Ce baromètre est le fruit d’une alliance originale entre stratégie, design narratif et analyse sémantique. Pouvez-vous nous en dire plus sur la méthode et les complémentarités entre vos trois structures ?
L’idée première du baromètre tient en une phrase : décrire et analyser ce qu’il reste dans l’esprit d’un citoyen lambda qui s’informerait quotidiennement sur l’industrie. Le corpus de base se compose donc des résultats de Google actualités pour le mot-clé « industrie » sur la période concernée (S1 2025).
Sur cette base, la technologie de Nodelio permet de regrouper les publications et d’en dégager ce que l’on pourrait appeler un « narratif paradigmatique », une phrase synthétisant l’idée commune qui les lie. Mais ce n’est pas tout : un dashboard offre pour chaque narratif un grand nombre de données utiles à l’analyse : noms d’entreprises et personnalités présentes dans les publications, temporalité, tonalité, mots-clés et enjeux associés… sans oublier la liste des articles mentionnés avec leurs source, date, titre et lien.
A l’approche scientifique et mathématique de Nodelio, nous avons apporté notre expertise de la veille et de l’OSINT pour ce qui me concerne, du planning stratégique de l’opinion et des relations presse pour The New One. Ceci nous a permis d’affiner la définition du corpus et de lui appliquer une grille de lecture réaliste et éclairée, sans laquelle il serait possible de faire dire tout et son contraire aux données brutes. C’est donc surtout en tant qu’analystes expérimentés dans l’étude des jeux d’influence concernant l’industrie que nous avons œuvré : le rapport d’analyse des données que nous avons publié, également disponible gratuitement sur baromètre-industrie.fr, en est le fruit.
En quoi ce baromètre peut-il devenir un outil d’anticipation ou d’influence pour celles et ceux qui façonnent les récits industriels dans l’espace médiatique et politique ?
C’est à la fois une carte et une boussole, un outil pour naviguer intelligemment dans l’environnement informationnel. En effet, les flux et reflux de l’actualité forment des courants plus ou moins porteurs, parfois des « tempêtes médiatiques », au milieu desquelles peuvent se noyer des signaux sous-exploités… Ce qu’un veilleur peut percevoir et ressentir, cette alliance de la technologie numérique (dont une part d’IA) et de l’analyse humaine permet de l’objectiver, de le compléter et de l’approfondir.
Par exemple, notre analyse montre bien comment certaines prises de parole d’industriels arrivent à contre-temps, avec un discours centré sur des intérêts privés ou catégoriels alors qu’une controverse met en cause leurs produits pour leur impact sur la santé et l’environnement, qui sont des enjeux d’intérêt général. C’est typiquement le genre d’écarts tactiques qui pourraient être évités avec une vue claire, objective et réaliste des polémiques.
De manière plus générale, cet outil intéressera tous les acteurs qui cherchent à faire porter efficacement un discours dans le débat public
Pensez-vous le décliner par secteur, par territoire, ou l’enrichir avec des capsules prospectives ? Et comment souhaitez-vous mobiliser les acteurs industriels autour de cette démarche ?
En effet, le BNI est le démonstrateur d’une capacité à la fois technique et humaine qui peut être mise au service d’enjeux divers et plus spécifiques.
Pour l’heure, notre objectif est de faire connaître et comprendre cet outil novateur. Nous espérons notamment pouvoir le présenter aux organisations et fédérations qui œuvrent à faire rayonner l’industrie dans le débat public.
Nous savons que la pertinence de cet outil sera plus grande encore s’il permet de suivre l’évolution des tendances. C’est pourquoi, si les avis que nous allons collecter sont aussi enthousiastes que les premiers qui nous sont parvenus, nous publierons certainement une deuxième édition début 2026, portant sur le second semestre 2025.
Peut-être une remarque plus personnelle, un conseil, un rendez-vous…
En tant que professionnel de l’information et de la communication, je suis très heureux de participer à ce projet qui me semble apporter une véritable valeur ajoutée à nos façons de travailler.La question des narratifs et des récits m’est apparue centrale dès mes premiers pas dans ce monde professionnel, il y a environ 7 ans. J’y ai consacré beaucoup de recherches, de réflexions et de discussions, notamment avec Anaïs Voy-Gillis qui nous a d’ailleurs fait l’amitié de préfacer notre analyse et avec qui j’ai longuement échangé lorsqu’elle préparait son ouvrage Pour une révolution industrielle (Presses de la Cité, 2025), qui porte notamment sur les imaginaires et récits qui façonnent l’industrie.
Ce terme de « narratif » est de plus en plus présent, mais peu nombreux sont ceux qui font « atterrir » ce concept pour lui donner une teneur concrète, une définition précise. Le BNI y concourt modestement mais sûrement, ce qui devrait permettre de transformer cette « idée » en un levier stratégique actionnable.
A propos de ...
Valentin Fontan-Moret est consultant en stratégie et management de l’information, spécialisé dans les enjeux d’influence et de communication. Cofondateur de l’agence La Moindre des Choses, il accompagne entreprises et institutions dans la compréhension des controverses et la construction de récits stratégiques. Il est également l’un des initiateurs du Baromètre des Narratifs Industriels, outil inédit de cartographie des discours médiatiques sur l’industrie.

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