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Cluster Nova CHILD : pouponnière européenne d’innovations usage à Cholet


David Commarmond


Le modèle de clusters d’entreprises est à la fois très ancien, particulièrement actuel et prometteur pour notre économie et nos territoires. A l’occasion de la préparation par France Clusters et ses partenaires du Forum FILEX France, qui célèbrera, les 12 et 13 septembre prochain, 20 ans de politiques publiques de soutien au développement des clusters (1999-2019), Veille Magazine vous propose, en soutien avec France Clusters, une série d’articles sur des clusters dont le dynamisme s’appuie sur une histoire industrielle parfois très ancienne et affichent des parcours et des réussites remarquables. Passionnant ! Après Nogentech et Mont Blanc Industrie, ce « tour de France des 20 ans des clusters » fait une halte à Cholet, chez Nova CHILD, cluster d’entreprises au service de l'Innovation pour le bien-être de l'enfant. Échange avec son Délégué général, Rénald LAFARGE.

Vous pourrez retrouver Nova CHILD les 12 et 13 septembre lors du 1er Forum des filières d’excellence et des systèmes territoriaux. Inscrivez vous vite www.filex-france.com



Pouvez-vous nous parler de la genèse de Nova CHILD

Rénald Lafarge : Nova CHILD est intimement lié à son territoire, son histoire et ses entreprises. Cholet est situé dans le Département 49. A une cinquantaine de kilomètres de Nantes et d’Angers. Historiquement ce territoire est spécialisé dans le domaine du textile et de grands groupes comme Zannier (Catimini) avaient ou ont encore leur siège tout près de Cholet comme le Groupe Eram. De nombreux succès commerciaux sont enregistrés dans la mode enfantine. Cette dynamique s’interrompt dans les années 1980-1990 suite à une politique de délocalisation massive des outils de production en Chine.

 

Afin d’éviter le naufrage et la perte d’un siècle de savoir-faire, les chefs d’entreprises se mobilisent au cours de réunions pour maintenir par tous les moyens ce savoir-faire des métiers de la mode au sein d’un groupe animé par la CCI de Cholet.

 

L’industrie du textile, l’industrie de la chaussure, mais aussi celles du mobilier et de l’agroalimentaire sont représentés par les entreprises Charal et Pasquier ou AmpaFrance (Dorel France aujourd’hui), des marques qui parlent encore au grand public.

 

Toutes ces entreprises sont encore domiciliées à Cholet. Elles ont toutes comme point commun l’enfant. Le « Pôle Enfant » est créé sous la forme d’une association loi 1901.

 

En 2004 est créé un premier forum, en 2005, le pôle obtient le label de pôle de compétitivité. Il se distingue des autres pôles labellisés du fait qu’il est axé marché avec une certaine transversalité.

 

Une transversalité qui constituera un handicap par rapport aux autres pôles, limitant ainsi la mise en place de projets collaboratifs pendant les premières années de sa création. Difficile en effet de fédérer vraiment les acteurs dans un discours et des projets concrets.

 

Le projet 3D CHILD, un projet de mensuration des enfants de 0/5 ans avec l’aide de l’IFTH est le premier projet du Pôle. En effet, cela faisait plus de cinquante ans qu’aucune campagne nationale de mensuration des enfants n’avait pas été faite. Aussi technique que cela puisse être, ce projet a reçu l’assentiment général de toutes les entreprises du secteur et bien au-delà. Des entreprises comme les meubles Gautier ou l’entreprise Dorel furent enthousiasmés par le projet.

 

Plusieurs CHU de France furent associés, des cabines de mesure 3D furent installés dans les maternelles. Afin d’être plus efficace, des moyens furent mutualisés et le projet fut étendu à d’autres questions comme l’apprentissage de la marche par l’enfant à travers un autre projet, Génération 2010. Et répondre à certaines questions pour les entreprises et les professionnels de la santé et de la chaussure, comme « Faut-il ou non soutenir la voûte plantaire des enfants ?»

 

Si 3D CHILD permit de retravailler les tailles des vêtements pour l’industrie du textile, le projet permit aussi de remettre à jour les normes de sécurité notamment dans le mobilier ou la puériculture. Dorel France poussa ses données au niveau européen dont les normes i-size sont issues.

 

Mais le pôle ressent tout de même des difficultés à faire émerger des projets d'innovation technologique, alors que ses adhérents multisectoriels ont pour objectif la compréhension du monde de l’enfance, avec une orientation clients, qui fait apparaître plus naturellement des projets d’innovation d’usage.
 

En 2008 un audit est lancé et confirme que le pôle est axé sur l’innovation d’usage, et non pas l’innovation technologique. « Le pôle n’est pas dans la bonne case ». La conclusion s’impose d’elle-même : il faut abandonner le statut des pôles de compétitivité pour un autre.

 

Cette transition va prendre forme sur deux ans en 2010 et 2011. Elle va doucement se diriger vers les clusters. L’accompagnement de l’État prend fin 2011. Une nouvelle offre de services sera mise en place. Un observatoire sera créé.

 

Plus ambitieux le Living’lab créé en 2013 est un autre service, émanant directement de la demande de nos adhérents qui souhaitaient remettre l’usager au cœur de leur processus d’innovation. Nous permettons ainsi à nos adhérents de tester leurs produits, services, concepts, marchés, directement auprès de leurs usagers et clients. Depuis 2 ans, notre Living lab s’appuie sur un panel propriétaire « eNOVons » constitué de plus de 3000 familles !

 

Nous testons beaucoup de produits pour nos adhérents. Par exemple, les chambres d’adolescents pour Gautier. Celles-ci ont beaucoup évolué ces dernières années, du moins l’usage qui en est fait par les adolescents. Elle s’est réduite en taille, les tours à CD ont disparu avec l’arrivée du numérique, les bureaux se font plus rares avec le développement des ordinateurs portables et les ados qui travaillent leurs cours sur le lit ou dans le salon familial !

 

D’autres d’études sont réalisées, sur des collections de vêtements et chaussures avant leur mise en production, des tests sur des aires de jeux dans des cours de récréation. Etc.

Le Living lab s’intéresse également à des cibles qui évoluent, comme celles des grands parents, ou des nouveaux papas.

 

Par ailleurs, le living lab constitue pour Nova CHILD un levier d’autofinancement pertinent. Rappelons que notre cluster est financé par des fonds publics à hauteur de 50%. Toute la partie « privée » est générée par les cotisations de nos adhérents et les prestations que nous proposons à notre réseau, dont celles du Living Lab.

 

Outre les services proposés par l’Observatoire et le Living Lab, il ne faut pas oublier tous les projets d’innovation menés par notre Service « Ingénierie de projet ».

 

Nous avons par exemple en 2012 lancé le projet Manoë qui proposait de développer des produits alimentaires accessibles à tous les enfants, y compris les enfants allergiques. Ce projet a mobilisé des CHU, des experts, des entreprises comme Charal et Pasquier. Pour un budget de 1,8 million d’euro.

 

Un autre groupe de travail, ProETech mené entre 2011 et 2014 sur la sécurité des enfants en voiture et l’installation d’airbag a obtenu un financement régional à hauteur de 2 millions. Dorel France commercialisera ainsi en 2017 le 1er siège auto équipé de micro-airbags.

 

Depuis 2018 la dimension entreprenariat a pris un peu de terrain. De nombreuses Start-ups et porteurs de projets ont voulu rejoindre notre écosystème. D’ailleurs, nous avons eu pour projet de créer un accélérateur de Start-Up, cependant la profusion d’accélérateurs, sur le territoire nous a montré que le projet serait compliqué et nous nous sommes dirigés vers une autre solution.

 

En 2009 nous avions déjà accompagné la création d’une pépinière, « la cour de création » afin d’héberger de jeunes porteurs de projets. Deux petites pépites y sont nées : Kidiklik et PulpSoft. Nous avons dû cependant mettre fin à l’expérimentation, car nous avons sous-estimé le besoin d’animation pour rendre le lieu attractif. Nous avons toutefois tiré des enseignements de cette aventure.



 

Question : La ville et le territoire vous soutiennent-ils ?

Rénald Lafarge : Cholet capitalise son image territoriale sur le thème de l’enfant. La ville est labellisée « amie des enfants » depuis 2004. Elle organise par ailleurs chaque année des animations autour des Droits de l’enfant au mois de novembre dans lesquelles l’agglomération s’investit plus encore chaque année. Depuis 2 ans, ces « Journées des droits de l’enfant » font l’objet d’un programme d’animations durant tout le mois de novembre !
 
Enfin dans Région Pays de la Loire, nous avons participé à la création d’un groupe de recherche « Enjeu[x] » (pour Enfance et Jeunesse) en 2015. 23 laboratoires régionaux (près de 150 chercheurs) spécialisés sur le thème des enfants et des familles proposent un vivier de compétences de recherches encore une fois unique en Europe. Notre mission est entre autres de faciliter la mise en relation de ces chercheurs avec nos adhérents industriels. Nous faisons appel également à eux régulièrement sur nos colloques.
 
Par ailleurs, nous co-organisons notre prochain colloque le 20 novembre 2019 qui aura pour objectif de valoriser cet écosystème, ce triptyque « Recherche, Industriel, Santé » autour de projets innovants.


 

Et dans 20 ans ?

Rénald Lafarge : Mon souhait est de deux ordres. Tout d’abord, être plus proche des besoins des adhérents. Accroître le rayonnement du pôle au niveau national et pourquoi pas créer des antennes à Paris, Lyon et Lille et de ne pas oublier les territoires plus isolés, et soutenir des projets de proximité.
 
Deuxièmement : devenir un vrai soutien à l’émergence de projets d’innovation, de la capacité à inspirer, à générer des nouvelles idées, en passant par la mise en contact avec des experts, le test de concept par des usagers, pour finir par la mise sur le marché et se remettre tout de suite à penser à de nouvelles idées qui permettront de faciliter la vie de nos enfants et de leurs familles. Un cycle vertueux de croissance pour les entreprises et de bien être pour les enfants. 
 
Notre capacité à animer en permanence un réseau national est chronophage et représente du temps humain pour répondre à toutes les questions possibles.
 
Nous sommes toujours à l’écoute de nouvelles tendances :
La perception du bio, les consommations alternatives et collaboratives (le recyclage, la consommation locale, le prêt, la location) sont en pleine expansion. Des plateformes comme Leboncoin, Ebay ou d’autres plus spécialisées comme Vinted vivent de ces ventes et reventes. Plutôt que de laisser ces flux à ces acteurs, des marques ont intégré ses comportements et proposent à leurs clients de louer ou de reprendre leur produit. Certaines ont même créé des plateformes de revente en ligne de produits d’occasion.
 
En 2007, nous avions fait un exercice de prospective, Prospect’Kid, et nous avions sous-estimé l’impact des réseaux sociaux comme Facebook et Twitter. A notre décharge ceux-ci faisaient leurs premiers pas en France et leur adoption faisait loin de l’unanimité du grand public. Nous n’aurions pas pensé que dix ans plus tard, les parents partageraient en ligne les photos et vidéo de leurs petits derniers avec luxe de détails.
 
En 2020, nous réitérons Prospect’Kid pour une 3ème édition. Le thème « Horizon 2030». Nous allons réunir des experts de la santé, de l’architecture, du marketing, du design, de la psychologie, des nouvelles technologies, etc. La mesure de l’impact du numérique comme source d’information sera évidemment à l’ordre du jour.

Commentaire et Point de vue de France Clusters

Ce témoignage est tout à fait intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord, il montre combien les politiques publiques nationales et territoriales qui ont accompagné les clusters en France pendant ces 20 dernières années ont été complémentaires les unes des autres et structurantes pour le développement des clusters. D’abord SPL Mode textile fin des années 90, puis pôle de compétitivité en 2005, puis Grappe d’entreprises en 2009, ce cluster a su trouver l’écoute publique nécessaire pour construire son positionnement et devenir le cluster « marché/usages » extrêmement dynamique d’aujourd’hui.
 
Ensuite, Nova CHILD témoigne parfaitement du caractère nécessairement évolutif de toute démarche cluster. Par nature, un cluster est un « organisme vivant » qui, en grandissant, évolue sous toutes ses dimensions : la taille de son réseau, les attentes de ses membres, le périmètre de son territoire tiré par les projets réalisés, l’offre de services mutualisés, les valeurs partagées par les membres, les compétences de sa cellule d’animation, les partenaires impliqués, parfois même la structure de portage et sa forme juridique… Il est donc expressément recommandé, dans une dynamique cluster, de ne pas « enfermer » le cluster dans une définition trop précise qui deviendrait vite restrictive. Le cluster s’adapte au territoire et aux enjeux de ses acteurs économiques. Et si ça rend parfois difficile la présentation vulgarisée du sujet cluster, c’est sans doute dans cette diversité que se trouve leur très grande richesse.
 
Également, on apprécie, à la lecture de cet interview, le caractère particulièrement concret des projets portés et des actions menées par le cluster. Non, un cluster ne se réduit pas à la seule activité d’animation d’un écosystème économique ! Cette animation est au service de l’émergence de projets très concrets ; projets qui souvent « touchent directement la vie des gens », pour le dire simplement !
 
Enfin, Nova CHILD illustre avec exactitude l’impact gagnant / gagnant du cluster pour les entreprises et le territoire d’implantation. Les entreprises y trouvent l’outil de veille marché, le cadre rassurant d’expérimentation, l’environnement favorisant l’innovation. Le territoire y construit sa marque différenciante à l’échelle européenne pour renforcer son attractivité et mobilise tout l’écosystème territorial économique et multisecteurs autour d’un projet global structurant ! A l’heure de la raréfaction de l’argent public et de la tentation publique – parfois un peu arrangeante – de considérer que le cluster n’est qu’une affaire d’entrepreneurs, Nova CHILD montre que le territoire et ses acteurs représentatifs n’ont, puisqu’ils en bénéficient largement, aucune raison de se retirer du jeu ! Et l’on voit d’ailleurs, pour l’illustrer, les EPCI s’impliquer plus que jamais dans de telles initiatives structurantes. Important !
 
Aujourd’hui très impliqué dans l’initiative « Territoires d’industrie » coportée par l’Etat, ses grands opérateurs publics, les Régions et les EPCI, Nova CHILD continue à incarner de façon très emblématique le rôle et l’impact de cette grande communauté des clusters français. Bravo Nova CHILD !

Xavier Roy, Directeur général de France Clusters

 

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