STRATEGIES

Comment l'Europe s'est perdue. Le piège de Trump et l'illusion de la soumission utile

Tribune libre Par Giuseppe Gagliano, Cestudec


Jacqueline Sala
Dimanche 14 Décembre 2025


Face au retour de Donald Trump, l’Europe a choisi l’apaisement plutôt que l’affirmation. Entre pressions militaires, concessions commerciales et silence sur les atteintes aux valeurs démocratiques, elle s’est enfermée dans une stratégie de prudence qui révèle moins la puissance américaine que ses propres fragilités. Et pourtant...



Comment l'Europe s'est perdue. Le piège de Trump et l'illusion de la soumission utile

Apaiser pour survivre : la stratégie européenne

Lorsque Donald Trump est revenu à la Maison-Blanche en janvier 2025, l'Europe s'est retrouvée face à un choix à la fois politique, stratégique et moral. Elle pouvait tenter d'agir comme un acteur majeur de la scène internationale ou emprunter la voie la plus confortable : baisser la tête, éviter l'affrontement, espérer limiter les dégâts. Elle a choisi la seconde. Non par contrainte, mais par réflexe. Non par absence d'alternatives, mais par manque de volonté.

De Varsovie à Londres, de Riga à Rome, la ligne a été la même : ne pas irriter Washington. Accepter des exigences toujours plus lourdes en matière de dépenses militaires, subir des menaces commerciales, se taire face aux attaques contre l'État de droit. Le tout au nom d'un prétendu «réalisme ». Résister, disait-on, aurait pu coûter cher : moins de soutien à l'Ukraine, une OTAN vidée de sa substance, une guerre commerciale. Mieux valait apaiser Trump, en espérant que cela suffise.


La reddition déguisée en pragmatisme

Cette lecture ignore cependant un élément essentiel : l'appeasement ne découle pas seulement de la crainte des États-Unis, mais aussi des fragilités internes européennes. La montée des droites nationalistes a paralysé les capitales et vidé Bruxelles de son élan. Des gouvernements faibles, assiégés par des oppositions souverainistes, ont préféré se réfugier sous le parapluie américain plutôt que de construire une ligne européenne commune. Le paradoxe est évident : par peur des droites radicales, on a adopté une politique qui les renforce.

Sur la défense, l'Europe a accepté un objectif de dépenses équivalant à cinq pour cent du produit intérieur brut, décidé davantage pour plaire à Trump que sur la base d'une évaluation stratégique sérieuse. De nombreux pays savent déjà qu'ils n'atteindront pas ce seuil. Mais l'engagement a servi à légitimer une narration dangereuse : celle selon laquelle la sécurité européenne dépend encore, et toujours, de la bienveillance américaine. Aucune véritable autonomie, aucune planification industrielle commune, aucune vision de long terme.


Commerce : quand le géant se comporte en nain

Si, sur le plan militaire, la relation transatlantique a toujours été asymétrique, sur le plan économique l'Europe dispose d'atouts considérables. Le marché unique est un instrument de puissance. Pourtant, il n'a pas été utilisé. Face aux droits de douane américains, Bruxelles a hésité, divisée par des gouvernements qui ont préféré négocier chacun pour soi, redoutant davantage les répercussions politiques internes que les pressions extérieures. Le résultat a été un accord moins favorable encore que celui obtenu par le Royaume-Uni après sa sortie de l'Union.

La défaite est double. Économique, car l'Europe accepte un rapport de force défavorable alors qu'elle pourrait négocier autrement. Politique, car elle sape sa propre raison d'être : l'idée que l'union fait la force. Si une Europe unie obtient moins qu'un État isolé, la rhétorique souverainiste trouve sa preuve ultime.


Des valeurs sacrifiées sur l'autel de l'opportunisme

Le prix le plus élevé a toutefois été payé sur le terrain des valeurs. Attaques contre la presse, pressions sur la magistrature, ingérences dans les élections européennes : tout a été accueilli dans un silence embarrassé. Non par conviction, mais par calcul. Mieux valait ne pas provoquer Washington, ne pas compromettre d'autres dossiers. Ce faisant, l'Europe a pourtant renoncé à son dernier véritable capital stratégique : sa crédibilité normative.

Le message est dévastateur. Si les valeurs démocratiques deviennent négociables à l'extérieur, elles deviennent fragiles à l'intérieur. Les droites radicales l'ont parfaitement compris et se présentent désormais comme les composantes d'un contre-bloc occidental, légitimé précisément par ce silence européen.


Sortir du piège

L'idée de « tenir jusqu'en 2029 » relève de la pensée magique.

Le temps ne joue pas en faveur de l'Europe si l'Europe reste immobile. La seule issue consiste à reconquérir des marges de souveraineté réelle : une défense industrielle crédible, une politique commerciale cohérente, la protection de l'espace démocratique. Non par de grands discours, mais par des choix ciblés et politiquement soutenables.

Continuer à se plier en espérant survivre ne fait qu'accélérer le déclin. L'Europe n'est pas tombée parce que Trump est revenu. Elle est tombée parce que, face à Trump, elle a cessé de croire en elle-même.


A propos de l'auteur

Giuseppe Gagliano  a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. 
La responsabilité de la publication incombe exclusivement aux auteurs individuels.