Prospective

Comment relancer la productivité en France et en Europe ? Constats, leviers et défis


David Commarmond
Vendredi 30 Mai 2025


Le Conseil National de la Productivité (CNP) a publié son 5ème rapport, offrant un constat pédagogique, nuancé et lucide sur la productivité. Malgré une croissance qui a été plus riche en emploi récemment en France, la productivité du travail reste inférieure à son niveau d'avant-crise.



La productivité, souvent mesurée par le produit intérieur brut (PIB) par heure travaillée ou par employé, est au cœur des débats économiques actuels en France et en Europe. Le récent rapport du Conseil National de la Productivité souligne une baisse drastique de la productivité en France depuis 2019, qui n'a ni récupéré son niveau ni sa tendance d'avant la crise sanitaire. L'écart par rapport à la trajectoire pré-Covid approche les 6 %.
Contrairement à d'autres pays européens ou aux États-Unis, la France affiche une contribution négative du PIB par heure travaillée et du nombre d'heures travaillées. Bien que ce ralentissement coïncide avec une croissance plus riche en emploi, soutenue par des politiques volontaristes, il pose des questions fondamentales sur la compétitivité et la performance économique du pays par rapport à ses partenaires, notamment ceux de la zone euro. Comprendre les causes de ce décrochage et identifier les leviers pour y remédier devient une priorité stratégique.

Quelles sont les principales causes identifiées pour expliquer la baisse de la productivité en France depuis 2019 ?

Comment relancer la productivité en France et en Europe ? Constats, leviers et défis
 Selon le rapport du Conseil National de la Productivité, trois facteurs principaux expliquent le décrochage de la productivité du travail en France post-2019. Premièrement, le phénomène de l'apprentissage a contribué négativement à l'évolution de la productivité, malgré ses bénéfices par ailleurs.
Deuxièmement, les politiques post-Covid ont entraîné une rétention d'emploi, maintenant l'activité et l'emploi mais diluant la productivité apparente. Ces politiques ont rompu avec la tradition française d'écarter les moins productifs du marché du travail.
Troisièmement, il y a eu un effet de composition d'emploi, avec une proportion plus importante d'emplois moins productifs. Ces facteurs expliquent environ deux tiers du décrochage. Au niveau sectoriel, deux secteurs ont particulièrement pesé sur l'évolution de la productivité en France : le commerce de détail et la construction. Ce constat sectoriel permet d'orienter des politiques publiques ciblées, par exemple en encourageant l'adoption de nouvelles technologies comme l'IA dans ces domaines.

Quel rôle les technologies numériques et l'intelligence artificielle jouent-elles dans la productivité, et quels sont les défis pour la France et l'Europe ?

Les technologies numériques et l'intelligence artificielle (IA) sont identifiées comme ayant un potentiel significatif pour produire des gains de productivité. Le rapport du CNP consacre un chapitre à ces technologies. Cependant, la France affiche un retard important dans l'adoption des technologies digitales avancées. Seules 57 % des entreprises françaises les utilisent, contre 70 % en moyenne dans l'Union Européenne et 73 % aux États-Unis.
Ce retard est particulièrement marqué dans les PME et le secteur des services. Pour que ces technologies portent leurs fruits, elles doivent être adoptées conjointement, par exemple l'IA et la robotique. En France, il y a un manque de diffusion des outils numériques existants et un défaut d'investissement dans le digital et la big data. Cette faible intégration fait que la complémentarité entre automatisation industrielle et exploitation des données ne joue pas pleinement.
Au-delà de l'adoption, un autre défi est le faible niveau de dépenses en recherche et développement (R&D) en Europe et en France par rapport aux États-Unis ou à la Chine. Les outils de politique publique actuels, comme le crédit d'impôt recherche, sont jugés assez inefficaces pour stimuler l'innovation de rupture. Il est crucial de mieux faire communiquer la recherche (fondamentale et appliquée) et les entreprises pour éviter que les découvertes ne soient exploitées à l'étranger.

Quels sont les leviers essentiels, notamment en matière de capital humain et de financement, pour relancer durablement la productivité ?

 La relance de la productivité passe par plusieurs leviers, dont le capital humain et le financement de l'innovation. Il est essentiel d'investir dans la montée en compétence de la main-d'œuvre. Un niveau d'étude plus élevé des salariés a un impact direct et fort sur la productivité. La formation, tant initiale que continue, doit être repensée pour mieux répondre aux besoins des entreprises et préparer les travailleurs aux métiers transformés par le numérique et l'IA. Il faut aussi développer l'intégration des docteurs et chercheurs en entreprise.
Sur le plan du financement, malgré un taux d'épargne élevé en Europe, il existe un déficit de financement de l'innovation, notamment en capital risque. Les institutions financières, comme les assureurs ou gestionnaires d'actifs, pourraient jouer un rôle plus important en investissant sur le long terme. Les banques multilatérales (BEI, BPI) peuvent catalyser l'investissement privé. Cependant, le système financier européen, dominé par l'intermédiation bancaire, est peut-être trop contraignant pour financer les actifs intangibles des start-ups. Une union des marchés de capitaux est nécessaire pour créer un marché liquide et harmonisé qui faciliterait l'investissement dans l'innovation. Enfin, la stabilité fiscale et réglementaire est une condition sine qua non pour attirer l'investissement, y compris étranger.
 

Conclusion

La relance de la productivité en France et en Europe est un impératif pour l'avenir, loin d'être un simple débat académique. Elle conditionne notre capacité à retrouver une croissance forte, financer nos modèles sociaux, et affirmer notre place dans le monde. Les sources soulignent la nécessité d'agir sur de multiples fronts : combler le retard dans l'adoption des technologies numériques et de l'IA, investir massivement dans le capital humain et la formation, repenser le financement de l'innovation en mobilisant l'épargne privée et en adaptant le cadre réglementaire, et œuvrer pour un véritable marché unique européen. Bien que les défis soient importants, notamment face à la concurrence internationale et aux rigidités structurelles, l'Europe possède les atouts nécessaires pour réussir, à condition de faire preuve d' urgence et de déterminisme.

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Vidéo et programme

À l'occasion de la sortie du nouveau rapport du Conseil national de productivité, Clément BEAUNE, Haut-commissaire au Plan et Commissaire général de France Stratégie, vous convie à une conférence de haut niveau pour éclairer cet enjeu crucial pour notre économie. En particulier, les débats traiteront du décrochage de la productivité en France ces dernières années, et des actions possibles pour y remédier.

Programme
Introduction par Clément BEAUNE, Haut-commissaire au Plan et Commissaire général de France Stratégie

Table ronde n° 1 sur le décrochage de la productivité en France ces dernières années et comment y remédier
  • Antonin BERGEAUD, professeur à l'École des hautes études commerciales (HEC)
  • Xavier RAGOT, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)
  • Natacha VALLA, présidente du Conseil national de productivité (CNP) et doyenne de l'École de management et de l'impact de Sciences Po
Table ronde n° 2 sur l’impact de l’IA sur la productivité et l’emploi : l’Europe peut-elle rattraper les États-Unis et la Chine ?
  • Céline ANTONIN, chercheuse à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et chercheuse associée au Collège de France
  • Anne BOUVEROT, présidente du Conseil d’administration de l’ENS et co-présidente de la Commission sur l’Intelligence artificielle
  • Simon BUNEL, économiste à la Banque de France
Discours de clôture par Philippe AGHION, professeur au Collège de France

summary

The conference addresses Europe's productivity lag versus the US since the 1990s. Causes include a weak Single Market limiting competition/scale and an inadequate innovation finance ecosystem (VC, institutional investors). Public/private R&D support for disruptive innovation is insufficient (lacks DARPA equivalent). Digital technologies and AI adoption are slow, especially in SMEs. Human capital issues like training and research-industry links are crucial. Regulation, including banking rules unsuited for intangible assets, poses challenges. AI has productivity potential, needing effective adoption, training, and adapted regulation. Solutions proposed: strengthen the Single Market, improve innovation finance (capital markets union), boost targeted R&D, foster research-industry collaboration. Goal: competitiveness, funding social models, green transition, strategic sovereignty (cloud, semiconductors). Europe has potential but needs better policies for disruptive innovation.

Anglais généré par Deepl.