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Comprendre l’entre‑deux‑guerres pour lire la guerre de l’information. Christian Harbulot et Nicolas Moinet. CR451


Jacqueline Sala
Vendredi 26 Décembre 2025


L’entre‑deux‑guerres apparaît comme un laboratoire historique des affrontements informationnels. En appliquant une grille de lecture unifiée, fondée sur l’analyse des antagonismes visibles, des rivalités invisibles et des contradictions internes, cet échange montre comment la France a mal hiérarchisé les menaces, prisonnière de ses non‑dits idéologiques et de ses divisions politiques. Une leçon essentielle pour comprendre les mécanismes contemporains de la guerre de l’information.




L’entre‑deux‑guerres, un terrain d’analyse stratégique

Cette période est choisie parce qu’elle concentre une montée progressive des tensions informationnelles entre puissances.
Pour dépasser les lectures partisanes, Christian Harbulot, en répondant aux questions de Nicolas Moinet,  propose une méthode qui oblige à replacer les événements dans leur contexte, à comprendre les perceptions et les biais qui orientent les décisions.
Les approches classiques se limitent souvent aux rapports diplomatiques et militaires. La grille unifiée invite au contraire à élargir le regard pour saisir la complexité des dynamiques en jeu.

Antagonismes visibles : Allemagne, communisme, Italie fasciste

La France identifie trois menaces principales : l’Allemagne, affaiblie mais toujours perçue comme un danger potentiel ; la subversion communiste, à la fois extérieure avec l’URSS et intérieure avec la naissance du PCF ; et l’Italie fasciste, dont la politique expansionniste recompose les équilibres européens.

Pourtant, malgré la clarté des signaux envoyés par Hitler dans Mein Kampf, la peur du communisme finit par dominer l’analyse française, reléguant l’Allemagne au second plan.

Rivalités invisibles : Royaume‑Uni et États‑Unis

D’autres acteurs influencent discrètement la position française.
Le Royaume‑Uni, allié mais rival impérial, cherche à limiter l’influence française sur le continent.
Les États‑Unis, déjà porteurs d’un projet géo‑économique global, ambitionnent de remplacer les empires coloniaux européens.
Ces rivalités, moins visibles, contribuent à brouiller la hiérarchie des menaces et à complexifier la lecture stratégique.

Le poids des non‑dits et des biais idéologiques

Une partie des élites françaises, qu’elles soient conservatrices, nationalistes ou issues d’une gauche hostile au bolchevisme, voit l’Allemagne comme un rempart contre l’expansion communiste.
Ce non‑dit explique l’absence de réaction à la publication de Mein Kampf, où Hitler désigne pourtant explicitement la France comme ennemi principal.
L’ambassadeur André François‑Poncet incarne cette ambiguïté : lucide sur la nature du régime nazi, mais lié à des réseaux industriels favorables à une coopération franco‑allemande.

Le rôle du patronat et la lecture controversée d’Annie Lacroix‑Riz

Les archives policières et militaires montrent des relations étroites entre industriels français et allemands.

Annie Lacroix‑Riz interprète ces liens comme une collusion idéologique anticommuniste. Christian Harbulot nuance cette lecture : au‑delà de l’idéologie, ces choix traduisent surtout une erreur stratégique majeure, celle de considérer l’URSS comme la menace principale alors que l’Allemagne revancharde annonçait clairement ses intentions.

Un système politique fragmenté et incohérent

À droite comme à gauche, les revirements se multiplient. La droite passe d’un anti‑germanisme de principe à une volonté farouche d’éviter toute guerre. La gauche oscille entre pacifisme, antifascisme et alignement du PCF sur Moscou, ce dernier changeant de position au gré des consignes soviétiques.
Cette instabilité crée un brouillard informationnel qui empêche toute stratégie cohérente et affaiblit la capacité d’anticipation du pays.

L’incapacité française à identifier la menace principale résulte d’un mélange de non‑dits, d’aveuglements idéologiques, de rivalités internes et de manipulations informationnelles. L’entre‑deux‑guerres montre combien une grille de lecture unifiée est indispensable pour analyser les conflits informationnels contemporains et éviter de répéter les erreurs du passé.

A propos du CR451

Créé en 2022, le CR451 (Centre de Recherche 451) est une initiative de recherche appliquée adossée à l’École de Guerre Économique (EGE). Il constitue une démarche pionnière, en France comme à l’international, visant à développer un savoir opérationnel sur les affrontements économiques, informationnels et cognitifs.
Le CR451 entend articuler analyse académique et stratégie concrète, en dotant les décideurs d’outils anticipatifs face aux menaces émergentes dans un monde de plus en plus conflictuel et qui demande une compréhension de plus en plus nuancée et fine.