Gestion de crise

Crise d’adolescence ou de sénescence ? Qu’est-ce qui cloche en France aujourd’hui ? Thierry Fusalba


Jacqueline Sala
Jeudi 12 Juin 2025


Nous vivons un pays de cocagne où tout va pourtant de travers. Il suffit de consulter l’actualité pour être persuadé que notre pays connaît quotidiennement son lot d’horreurs. Pourquoi cette situation ? Chacun a son idée mais il serait facile d’accuser telle ou telle communauté ou de pointer du doigt la mauvaise situation économique et financière du pays. Le mal est plus profond car Il vient de chacun d’entre nous, de ce qui a changé en nous en cinquante ans. Et de ce que certains ont voulu faire de nous.



« Thierry Fusalba et son fils Nikolas Barcelone, Noël 2024 Crédit photo @thierryfusalba2025 »
« Thierry Fusalba et son fils Nikolas Barcelone, Noël 2024 Crédit photo @thierryfusalba2025 »

L’individu qui se définissait jusque-là comme un être humain doué de raison, capable de réflexion sur des sujets complexes, comme le sens de sa vie ou sa place dans la société, a progressivement disparu.
En deux générations, l’Homme est devenu une pure machine à produire et à consommer. Il n’arrive plus à se situer par rapport à un passé ni surtout à un avenir. Il ne se trouve donc plus de destin et reste confiné dans un présent superficiel où tout ce qu’il entreprend doit nécessairement trouver un résultat à court terme. Il a perdu la patience, fruit de la réflexion et il se réfugie dans l’action qui lui donne une impression de satiété.
Les bâtisseurs de cathédrale qui ne voyaient jamais leur œuvre achevée ont fait place aux prêteurs sur gage qui veulent à tout prix toucher les dividendes de leur entreprise.

Comment cela est-il arrivé ? Qui a sapé le lien indispensable qui liait, dans l’espace et le temps, les membres d’une Nation autour d’un destin commun ? Et pourquoi ?

Bien sûr, il y eut un terreau fertile : l’illusion de la fin des guerres, les crises multiples, l’impunité d’une communication anonyme sur les réseaux sociaux, etc. On peut trouver mille raisons à notre échec mais aucune excuse.
Ce fut sans doute d’abord une volonté d’une partie des élites, cette « noblesse » moderne qui possède l’argent et donc le pouvoir. Elle a cherché à accroître obstinément l’un et de l’autre, sans considération pour les dommages collatéraux. Cette caste minoritaire qui n’a ni pudeur, ni retenue, a regardé impassible le massacre de la planète et de ses habitants, soucieuse de préserver ses intérêts coûte que coûte. En oubliant qu’on ne scie pas la branche sur laquelle son succès est assis !

Les gouvernants ont aussi leur part de responsabilité. Pour se garantir des lendemains sans contestation, il fallait que les masses populaires, dont la seule force est le nombre, demeurent obéissantes et n’aient donc pas conscience de l’état de spoliation dans lequel une minorité les enfonçait progressivement. Un cheval dressé accepte sa longe, pas un sauvage. Il fallait donc que seule une fraction du peuple jugée utile et digne de confiance puisse accéder à la connaissance car celle-ci a toujours été jugée dangereuse en ce qu’elle remet en cause l’ordre établi et menace la productivité de la machine sociale.

Mai 1968 ayant constitué un point Soyouz pour certains responsables politiques, ils se sont donc systématiquement employés depuis à réduire les capacités de réflexion et le sens critique des citoyens.

À commencer par les plus jeunes, rebelles par nature. Ils les ont tenus éloignés de tout ce qui pouvait nuire à leur soumission sociale et par là, à leur futur rendement comme actif, en le définissant comme superflu ou obsolète : les arts, la lecture, l’histoire et ses héros, la langue, la culture en somme. Ils ont été aidés par un mouvement international qui, depuis 1945, recherchait les alliances internationales en favorisant les minorités nationales. Le mondialisme n’est pas un humanisme mais un matérialisme drapé dans un placebo démocratique

Pire, ils ont abruti le peuple en occupant en permanence son esprit fragilisé par des activités ludiques ne nécessitant pas d’efforts de compréhension, ni de prise de responsabilités : des jeux, des amusements permanents ou des compétitions sportives, le tout maquillé d’informations soigneusement triées et prêtes à avalées. Une bouillie médiatique pré-mâchée déversée quotidiennement par des industries soumises à rentabilité.

Après le temps du fastfood est venu celui du fast think. Il sonne le glas de l’homo sapiens au profit de l’homo debilis (au sens de faible et non d’idiot).

Car cette domestication intellectuelle au forceps, loin de renforcer les individus les fragilise au contraire.

En confondant liberté de vivre et droit à l’amusement, nous avons produit successivement deux générations d’individus éteints et non des citoyens éclairés. La première, qui restait encore docile par habitude, a accepté sans broncher de devoir travailler toujours plus pour toujours moins.
Mais il y eut un revers à cette médaille du travail forcé : nous avons sous-traité l’éducation de ses enfants à l’école et le soin de ses aînés aux EHPAD. Les seconds ont été placés souvent par confort, parfois par nécessité, dans de lucratives antichambres de la mort. Ils y souffrent mais ne regimbent plus.
Et puis, qui peut sérieusement croire à une révolte des « séniors », à qui on laisse maintenant la possibilité d’en finir plus vite ?
 

Nos enfants, en revanche, sont confinés dans des écoles devenues des arènes où ils subissent autant l’enseignement pour leur bien, que le harcèlement pour leur mal. Un nivellement par le bas a permis jusqu’à aujourd’hui de masquer l’hécatombe des cerveaux, en maintenant des statistiques de réussite aux examens qui ne reflètent en rien la réalité. La plupart de cette jeunesse est incapable de se projeter dans l’avenir, d’analyser un problème même simple, de proposer des solutions argumentées et de se projeter dans l’avenir en imaginant des scénarios divers. Mais ne sont-ils pas en cela l’exacte reproduction de leurs ainés ?

Or l’éducation n’est pas une option. Qui a pu croire que des enfants à qui on donne toute liberté d’apprendre ou pas, ne choisiraient pas la paresse ? Personne n’aime l’école mais il faut y passer parce qu’être citoyen oblige à certaines choses.
Le processus qui s’est enclenché était prévisible car à l’oisiveté et à la facilité, érigées en dogme, succède toujours la violence. Surtout lorsqu’il n’y a plus d’espoir et que l’on se sent abandonné par les personnes chargées de nous fixer des limites.
Le rosier devient une ronce s’il n’est pas taillé régulièrement. Notre jeunesse a été mise en jachère parce que nous sommes plus intéressés par notre petite personne que par la santé physique et mentale de notre progéniture

Le réveil est brutal et nous n’en sommes qu’au début.

Déconnectés de la réalité par les fictions et les jeux vidéo violents, gavés d’informations tronquées, simplifiées ou mensongères et surtout privés de toute capacité intellectuelle de faire un tri parmi elles, notre jeunesse est propulsée dans une société en déliquescence où ils n’ont d’autre choix que de devenir des travailleurs - consommateurs. Une société où le pouvoir d’achat a remplacé le devoir être.
Quant aux adultes, ils sont loin d’être des références et dans ce couloir de la mort sociale, les idéologues et les pervers se frottent la panse.

Pour de plus en plus d’enfants, il ne restera qu’une seule option pour avoir l’impression d’exister et d’être pris au sérieux : l’hyper violence. Les mécanismes permettant d’évacuer la pression sociale ayant disparu, ils sont engagés dans une impasse puisqu’il leur est impossible de mettre des mots sur leurs maux.
La volonté d’abrutir les masses pour les rendre malléables aura donc l’effet inverse. Nous allons voir émerger une génération faite d’une minorité de loups, incultes et violents, et d’une majorité de moutons, incapables de se défendre et cherchant désespérément un berger, peu importe s’il les conduit à l’abattoir.

Notre responsabilité d’adultes est immense. Nous avons oublié que la démocratie et les libertés qui s’y rattachent ne sont pas un dû, qu’elles se méritent et qu’elles reposent sur deux piliers : l’éducation des citoyens et l’exemplarité des gouvernants.
Dans les deux domaines, il reste énormément à faire. Et vite !
 

A propos de l'auteur

Expert en communication de crise et d’influence, Thierry Fusalba a fondé en 2009 l’Agence C4 (Conseil et Coaching en Conduite de Crise) qui propose une méthode de pilotage de crise UNIQUE (www.agencec4.com). Il a travaillé avec différents cabinets de conseil (Didier Heiderich, Layer Cake, Nanocode Easylience, Element), conduit des exercices et dirigé des cellules de crise à l’international et écrit différents ouvrages sur la gestion des crises. Il enseigne actuellement à l’IRIS Paris, l’IEC de Lyon dont il est membre du Conseils scientifique et à l’UFR Santé de Rouen.

Résidant en Touraine où il est élu dans sa commune, Thierry FUSALBA est passionné d’écriture. Il a publié un roman » Les vies multiples », un carnet de route « Les hommes du bord de terre », un essai politique « Moi, électeur de la République », ainsi qu’un recueil de nouvelles, « Mémoires d’outre espace » et un recueil de poésies « Poésies incomplètes ».
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