VIDEOS & PODCASTS

David Colon. Guerre cognitive et système médiatique. Ecoutez cet article...


David Commarmond
Mercredi 30 Avril 2025


Dans une longue itw parue dans les Echos du 27 et 28 Avril 2025 intitulée « la guerre cognitive est aujourd'hui menée contre le système médiatique » David Colon, historien et professeur à Sciences Po aborde une idée centrale. Cette idée s'inscrit dans un cadre plus large de guerre de l'information, décrite comme une guerre sourde et non déclarée, qui est perçue comme une menace mortelle pour nos démocraties.



David Colon. Guerre cognitive et système médiatique. Ecoutez cet article...

Cette analyse s’articule sur plusieurs fronts et sur plusieurs dimensions
  1. La Guerre de l'Information comme Guerre Politique : La guerre de l'information est définie comme l'utilisation de l'information par un État comme une arme à diverses fins (militaires, politiques, économiques, culturelles, diplomatiques), constituant un levier de puissance dans les relations internationales. Au sens large, elle correspond à la "guerre politique" visant à atteindre des objectifs nationaux en dehors d'une guerre déclarée, une "guerre sans fumée". Cette guerre oppose principalement les États autoritaires aux régimes démocratiques, et elle fait de chaque citoyen un potentiel soldat.
     
  2. L'Évolution vers la Guerre Cognitive : L'art de la tromperie et de la ruse a été poussé à son paroxysme avec l'essor des technologies. La désinformation vise à semer le chaos dans les sociétés adverses. Avec l'avènement de l'intelligence artificielle (IA) et de la guerre cognitive, les plateformes numériques, notamment les médias sociaux, sont devenues un théâtre majeur de cette confrontation. La guerre cognitive utilise notamment l'analyse prédictive et le nanociblage pour atteindre les individus au plus profond de leur esprit et instrumentaliser les failles de nos esprits à des fins politiques ou de chaos. Les progrès de l'apprentissage machine (IA) permettent de prévoir et d'instrumentaliser les comportements.
     
  3. Le Système Médiatique comme Cible Principale : L'article fourni et d'autres sources soulignent que les médias sont le principal champ de bataille de la guerre mondiale de l'information. L'enjeu est d'influencer et conditionner les perceptions de l'opinion publique. Même les opérations numériques sophistiquées visent à produire des effets dans les médias traditionnels. Les États s'efforcent d'insérer des narratifs dans la chaîne de production de l'information de la société adverse, parfois à l'insu de ceux qui y contribuent.
     
  4. Vulnérabilité des Médias Démocratiques : Cette bataille est asymétrique. Il est difficile pour les démocraties d'influencer les médias autoritaires qui sont étroitement contrôlés, tandis qu'il est aisé pour les régimes autoritaires d'influencer les sociétés ouvertes et leurs médias libres. Les médias occidentaux, fragilisés économiquement et dépendants de la publicité, sont devenus plus perméables aux influences informationnelles étrangères.
     
  5. La Stratégie de Décomposition et l'Attaque du "Régime de Vérité : L'objectif de certains acteurs, notamment la Russie, est d'accélérer la "décomposition" des sociétés démocratiques en y encourageant les dissensions, le chaos et la défiance envers les institutions. Cela implique aussi de fragiliser le "régime de vérité", c'est-à-dire le cadre qui définit ce qui est vrai et ce qui est faux. Attaquer le système médiatique permet d'affaiblir la crédibilité des journalistes, des médias et de la parole politique.
     
  6. Tactiques Utilisées : Les tactiques employées incluent l'exploitation des biais cognitifs (biais de nouveauté, biais d'autorité, effet de vérité illusoire, biais de confirmation), l'utilisation de déclencheurs émotionnels (comme la colère ou la peur), la polarisation des opinions en amplifiant les points de vue extrêmes, l'inondation de l'espace informationnel par des versions contradictoires pour semer la confusion, et la manipulation du contexte (sortir des faits, images ou déclarations de leur contexte). Ces techniques, bien qu'anciennes dans leur principe (théorisées par Lénine par exemple), sont redoutablement efficaces avec l'avènement des médias sociaux.
     
  7. Rôle des Plateformes Numériques : Les plateformes numériques, notamment les réseaux sociaux (comme Facebook, Twitter/X, TikTok), amplifient l'efficacité de ces techniques. Leurs algorithmes, conçus pour maximiser l'engagement (souvent émotionnel) et les revenus publicitaires, favorisent la circulation rapide des fausses informations (le mensonge circule 6,5 fois plus vite que la vérité selon une étude citée). Ils peuvent enfermer les utilisateurs dans des "bulles informationnelles" et des chambres d'écho. TikTok est spécifiquement mentionné comme une plateforme dont les algorithmes peuvent fausser la perception de la réalité et qui est utilisée par la Chine.
     
  8. Acteurs Clés et Leurs Stratégies : L'article et les sources identifient plusieurs acteurs majeurs :
    • La Russie qui applique l'art opératif à la sphère informationnelle pour accélérer la décomposition des sociétés démocratiques et fragiliser le régime de vérité, utilisant notamment le microciblage et les théories du complot (comme QAnon, décrit comme un "virus psychologique mondial"). L'Internet Research Agency de Prigogine a joué un rôle clé dans ces tactiques.
    • La Chine qui développe la "guerre intelligentisée" et la "guerre cognitive algorithmique", visant à saturer l'espace informationnel avec l'IA et à exercer une influence précise et individualisée, notamment via TikTok, pour faire entrer les populations cibles dans des "cocons informationnels" et remporter la guerre sans recourir à la force conventionnelle. La Chine a délibérément bloqué l'influence occidentale chez elle.
    • L'alliance Moscou-Téhéran-Pékin cherche à substituer à l'hégémonie informationnelle occidentale leur propre hégémonie à long terme.
    • Les États-Unis sont considérés comme ayant une lourde responsabilité dans la situation actuelle en ayant ouvert la "boîte de pandore" par diverses actions dans le champ informationnel et cyber.

Conclusion

L'idée que la guerre cognitive cible le système médiatique signifie que les acteurs étatiques, en particulier les régimes autoritaires, ne cherchent pas seulement à diffuser de fausses informations pour tromper ponctuellement, mais à corrompre le fonctionnement même de l'écosystème d'information pour miner la confiance dans les médias et les institutions, polariser la société et rendre difficile l'accès à une réalité partagée, ce qui est essentiel pour le fonctionnement d'une démocratie. David Colon et les sources fournies soulignent l'urgence de prendre conscience de cette menace et d'y faire face.