Le biais de l'angle mort

« De Gaulle, Delors, Délocalisés : chronique d’une souveraineté perdue en dix traités ». Thierry Lafon

Thierry Lafon Dr PhD 博士 Chercheur associé au laboratoire CeReGe (UR 13564) axe Intelligence Stratégique Internationale chez Université de Poitiers


Thierry Lafon
Jeudi 15 Mai 2025


Un rêve bleu… blanc… Bruxelles
Il fut un temps où la France, tel un coq gaulois, recommençait à chanter fièrement au lever du soleil industriel européen quand vint l’Europe. Sur fond de paix éternelle, nous avons signé, ratifié, harmonisé, transposé, et surtout… ouvert nos marchés. Quarante ans plus tard, alors que la plupart de nos champions industriels sont devenus des souvenirs, il est temps de revisiter cette épopée en adoptant la posture d’un exercice « Red Team », avec humour (pour ne pas pleurer) et avec un zeste de cynisme (pour ne pas hurler). Il s’agit donc ici de penser contre ses convictions profondes en étudiant les faits développés par des contradicteurs. Voici, pour les détracteurs de l’Union Européenne telle qu’elle est devenue et qu’elle fonctionne, comment la France a transformé son génie en liquidation judiciaire collective.



Les années 50-60 : Le bal des naïfs et la valse des barrières

« De Gaulle, Delors, Délocalisés : chronique d’une souveraineté perdue en dix traités ». Thierry Lafon
Tout commence dans la douce euphorie d’après-guerre. On veut la paix, la reconstruction, et surtout éviter que le voisin allemand ne vienne encore brouter nos champs de betteraves. La CECA, puis le Traité de Rome, c’est la promesse d’un marché commun, de la prospérité, et de la PAC (merci De Gaulle qui en garde les bénéfices, tout en piétinant les obligations au profit de la France). On dynamise les échanges, mais on garde quelques protections : pas folle la guêpe. Sauf que le charbon et l’acier, ça file à la CECA. Première concession, mais qui s’en soucie ? Après tout, on a gagné la guerre… ou presque.

Les années 70-80 : L’Europe, c’est chic ! Surtout pour les autres

Les années Pompidou-Giscard sont marquées par les premiers élargissements et la montée du droit européen.
Les juges français résistent un temps à l’idée de voir Bruxelles dicter la loi à Paris, mais finissent par lever le drapeau blanc. Pendant ce temps, chaque pays conserve jalousement son système social et fiscal. La France croit encore qu’elle peut influencer le cours des choses. La réalité ? Le droit européen devient le boss, la France l’exécutant. Mais rassurez-vous, on a toujours la baguette et le vin de Bordeaux.

Les années 80-90 : La grande braderie des champions

Avec l’Acte Unique Européen, c’est le début de la grande explosion normative. Des directives, des règlements, des harmonisations… En deux ans, plus de lois européennes qu’en trente ans de vie commune. Les barrières non tarifaires tombent. Les marchés s’ouvrent, les entreprises françaises s’ouvrent… les veines. L’État perd son droit de veto, et, pour faire bonne mesure, la majorité qualifiée remplace l’unanimité. Les multinationales trépignent : Bruxelles, c’est une seule porte à franchir pour imposer leurs désirs. Les PME françaises, elles, espèrent encore remplir leur carnet de commande.

Les années 90-2000 : L’euro, ce piège doré (pour l’Allemagne)

La France voulait l’euro pour ancrer l’Allemagne à l’Ouest. Résultat : elle est ancrée, mais c’est la France qui coule. L’euro, c’est cette magnifique idée d’une même paire de chaussures pour 20 pays. Pour l’Allemagne, c’est du sur-mesure. Pour la France, c’est deux pointures trop petites : nos produits sont 15 à 20% « taxés » par un euro trop fort, tandis que les Mercedes roulent surclassées à -15%.
Les entreprises françaises ? Elles délocalisent, elles ferment, ou elles se font racheter par des fonds étrangers ravis. L’industrie automobile, l’électronique, l’aluminium, l’énergie… tous sur la sellette, ou déjà au cimetière.

2000-2020 : Rachats, délocalisations, enterrements de première classe

La libéralisation s’emballe. EDF, GDF, La Poste : tout doit passer à la moulinette de la concurrence. Les fleurons français sont rachetés un à un. Arcelor, Alstom, Péchiney, Lafarge, Alcatel… Liste non exhaustive, hélas. Nos ingénieurs s’expatrient, nos usines ferment, et nos PME sous-traitantes déposent le bilan.
L’ouverture des marchés ? Un mot doux pour dire que tout est à vendre, sauf les fromages au lait cru (pour l’instant, H1N1 n’a pas encore émergé). L’harmonisation sociale et fiscale ? Un mythe : chaque pays garde ses privilèges, la France sa naïveté.

Les années 2010-2020 : La démocratie en mode avion

Désormais, les grandes décisions se prennent à Bruxelles, Francfort ou sur le marché. Les traités verrouillent tout, le Parlement français n’a plus qu’à applaudir (ou à se disputer, afin de s’occuper). L’harmonisation ? Toujours absente. La fiscalité ? Verrouillée. La capacité de négociation de la France ? Résiduelle, pour ne pas dire fantomatique. Les entreprises françaises sont vulnérables aux chocs mondiaux, les rachats étrangers se poursuivent, et la France découvre les joies du chômage industriel de masse.

Quoi qu’il nous en coûte… bienvenue dans l’Europe d’après-Covid !

Ah, le Covid ! Ce moment d’union sacrée où l’on pensait enfin pouvoir débrancher la calculette de Bruxelles et laisser filer le déficit, en mode « quoi qu’il en coûte » et sans les remontrances habituelles de la Commission. Suspendu, le pacte de stabilité ! Gelés, les 3 % ! Spoiler : tout cela était un mirage. Une pause, à peine le temps de respirer. Car, fidèle à sa tradition, l’Union européenne a aussitôt réactivé le pacte de stabilité dès juin 2024. Au passage, les dettes européennes mutualisées à titre « exceptionnel » du plan Covid (42 milliards d’euros, champagne !) se transforment allègrement en dettes à rembourser.

Mourir pour l’Europe, ou être exclu du premier cercle ?

Quarante ans de construction européenne, c’est l’histoire d’une dépossession progressive, méthodique et subie. Les gouvernements français, toutes couleurs confondues, ont sacrifié, au nom de l’Europe, leur capacité à défendre leurs entreprises, leurs brevets, leurs emplois. La France, jadis terre de leaders mondiaux, est devenue le supermarché discount de la mondialisation. Reste à savoir si, dans les zones industrielles désertées, il restera de la place pour l’humour… ou faire une place à l’Intelligence Economique à la française, si elle ne se borne pas à faire des autopsies.

Dans le cas contraire, si la France n’a toujours pas de pétrole, elle ne manque pas d’idées : faute de pouvoir désobéir à la Commission, elle pousse habilement à l’instauration d’un impôt européen, histoire de mutualiser un peu le fardeau et de faire payer les voisins. Pour y arriver ? On milite pour plus de dettes européennes, on encourage l’élargissement (allez, 35 membres, le Lebensraum n’est pas si loin !), et on réclame une défense commune, tout cela financé à crédit. L’idée ? Créer tellement de besoins budgétaires à l’échelle de l’UE que la seule issue sera…
A tenter d’infirmer, comme de bien entendu en retenant toutefois quelques faits non falsifiables qui vous permettront d’enrichir votre perception de la réalité observable.
 

A propos de l'auteur

Auteur Thierry Lafon Dr PhD 博士 Chercheur associé au laboratoire CeReGe (UR 13564) axe Intelligence Stratégique Internationale chez Université de Poitiers.
Après avoir navigué dans les rapides des PME et d'ETI, Thierry Lafon a jeté l'ancre à La Poste en 1996 où il déploie depuis 15 ans des compétences en Intelligence Économique et Stratégique acquises à l'EGE, puis comme thésard. Comme tout facteur aimé et respecté par ses usagers, il anticipe les crises avant qu'elles n'aient posté leur lettre de cachet. En effet, quelles que soient les conditions climatiques ou de perturbation des chaines logistiques, le courriers, les services et les colis doivent passer.
Chercheur associé à l'Université de Poitiers, conférencier à HEC Montréal et ailleurs, ce membre fondateur du Cercle K2 et administrateur du Collège enseignant-chercheur au SYNFIE, est aussi le promotteur du SMIst, Système de Management de l'Information Stratégique, - ou l'IE enseignée comme une science de gestion parmi d'autres -, et d'AReS, une méthodologie d'achats responsables qui, comme tout bon vin de Bordeaux, s'est bonifiée avec le temps et qui continue d'être savourée par l'Ademe et l'Afnor 15 ans après sa création ;  preuve qu'on peut être un précurseur sans avoir à plonger son regard dans un Palantir.

« De Gaulle, Delors, Délocalisés : chronique d’une souveraineté perdue en dix traités ». Thierry Lafon

MOURIR POUR L’EUROPE : 40 ans de destruction obsessionnelle de la France -
Elucid : https://www.youtube.com/watch?v=lGsSAKq4fJY

Film documentaire - Au nom de l'Europe - Camille Adam : https://www.youtube.com/watch?v=yY9h0edVVPk


 

« De Gaulle, Delors, Délocalisés : chronique d’une souveraineté perdue en dix traités ». Thierry Lafon
BusinessEurope est la principale organisation patronale européenne, représentant les intérêts des employeurs et des entreprises auprès des institutions de l’Union européenne. Fondée en 1958 sous le nom de l’Union des Industries de la Communauté européenne (UNICE), jusqu’en en 2007. L’association se définit comme la voix officielle des entreprises auprès de la Commission et du Parlement européen. Elle élabore chaque année des recommandations politiques, des rapports thématiques et un baromètre des réformes souhaitables par pays, qui, fait notable, se retrouvent souvent repris quasi à l’identique dans les recommandations officielles de la Commission européenne quelques mois plus tard.  BusinessEurope revendique également un engagement dans la transition verte, la digitalisation, l’innovation industrielle et la représentation des intérêts des grandes entreprises européennes sur la scène mondiale. Elle a joué un rôle clé dans la rédaction des traités européens des années 1990 à aujourd’hui et continue d’être un acteur incontournable du processus décisionnel européen.

 

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