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Communication & Influence
Désinformation : l'arme invisible qui est en train de réécrire la géopolitique mondiale. Entretien avec Henri Pinard Legry.
Entretien entre Bruno Racouchot et Henri Pinard Legry. "La désinformation vue par l'AASSDN, l'Amicale des anciens des services spéciaux de la Défense nationale : le décryptage "
Giuseppe Gagliano, Cestudec
Dans un monde qui court sur les circuits numériques, la bataille pour le pouvoir ne se mène plus seulement avec des chars d'assaut et des drones. Les vraies victoires se conquièrent en manipulant les perceptions, en saturant les esprits d'informations contradictoires et en sapant la confiance collective. Voilà la nouvelle guerre : invisible, silencieuse, mais terriblement efficace. Un conflit où l'arme principale est la désinformation, comme le révèle avec lucidité le dossier de l'AASSDN.
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Une arme ancienne dotée d'une puissance moderne
« La désinformation est une arme de guerre à basse et haute intensité », affirme Henri Pinard Legry, général et ancien directeur à la DRM. Ce n'est pas un concept nouveau. Déjà dans le passé, des empires et des services secrets ont utilisé le mensonge et la propagande pour affaiblir leurs ennemis. Mais aujourd'hui, l'innovation technologique a multiplié de façon exponentielle son efficacité. Grâce aux réseaux sociaux, un simple message peut devenir viral en quelques heures, exploitant des algorithmes qui favorisent l'indignation et la polarisation. Les acteurs de la désinformation – États, ONG, fondations et même entreprises privées – se déplacent comme des ombres. Leur objectif n'est pas seulement de semer la confusion, mais de plier la perception collective à un dessein géopolitique précis.
France, Ukraine, Moyen-Orient : la géopolitique des narratifs
Un exemple clé : la campagne contre le nucléaire civil en France. Soutenue par des fonds étrangers et des groupes écologistes, elle a érodé l'une des rares sources d'énergie qui garantissaient la souveraineté énergétique du pays. Une stratégie qui a permis à l'Allemagne, forte de ses renouvelables (et du gaz russe jusqu'en 2022), de gagner un avantage compétitif. En Ukraine, la guerre ne s'est pas seulement menée avec de l'artillerie et des drones Bayraktar. L'Occident a orchestré un narratif manichéen : d'un côté l'héroïsme ukrainien, de l'autre la barbarie russe. Les images de Boutcha, les histoires du « fantôme de Kiev » et les accusations de génocide ont servi à mobiliser les opinions publiques européennes. Mais derrière ces campagnes se cache souvent une régie sophistiquée combinant spin doctors américains, médias complaisants et ONG utilisées comme proxys. Au Moyen-Orient, enfin, la désinformation est employée pour délégitimer des États et justifier des interventions militaires ou des sanctions économiques. Pensons au cas syrien : des images d'enfants sous les décombres ont justifié des raids aériens occidentaux, avant qu'on découvre que certaines de ces preuves avaient été construites de toutes pièces.
La guerre cognitive : conquérir le cerveau de l'adversaire
Il ne s'agit plus seulement de propagande, mais de guerre cognitive. Une stratégie qui exploite les neurosciences, l'intelligence artificielle et les algorithmes pour frapper directement les processus mentaux. L'objectif est de contourner la rationalité, en jouant sur des émotions primaires telles que la peur, la colère et la culpabilité. Les États-Unis, pionniers de ces techniques, parlent de cognitive superiority : dominer l'espace mental de l'adversaire pour anticiper ses mouvements et neutraliser sa volonté politique.
Défense et contre-attaque : une question de souveraineté
Face à l’offensive informationnelle, la réaction ne peut être improvisée. Le général Pinard Legry estime que la riposte doit s’articuler en profondeur, en combinant l’éducation critique des citoyens, capables de distinguer les faits des manipulations, avec l’élaboration d’un contre-narratif solide, destiné à démonter les fake news et à désigner sans détour ceux qu’il nomme les « traîtres », motivés par l’idéologie ou le profit. À cette démarche s’ajoute une vigilance renforcée sur les réseaux, afin d’identifier les courroies de transmission de l’influence et les circuits financiers opaques qui les soutiennent. Mais un élément trouble la donne : les principaux artisans de la désinformation ne se présentent pas toujours sous les traits d’un ennemi. Bien souvent, ce sont des partenaires officiels, voire des alliés, qui agissent en fonction de leurs propres intérêts, quitte à compromettre ceux de la nation.
La bataille pour l'esprit : le futur de la guerre globale
La désinformation n'est plus une arme accessoire : elle est la nouvelle frontière de la guerre globale. Celui qui contrôle le narratif façonne la réalité. Celui qui domine l'espace informationnel détermine les vainqueurs et les vaincus sans tirer un seul coup de feu. Si l'Europe et la France veulent survivre dans cette jungle médiatique, elles doivent repenser l'information comme un instrument de souveraineté. Car aujourd'hui, le véritable champ de bataille n'est ni la steppe ukrainienne ni le désert syrien. C'est le cerveau de chacun d'entre nous.
A propos de général Pinard Legry
Le général Pinard Legry est un Ancien élève de Saint-Cyr, il débute sa carrière dans l’infanterie avant de servir pendant plus d’une décennie à la Légion étrangère, où il exerce des responsabilités opérationnelles majeures. Il contribue ensuite à la formation des officiers à Coëtquidan, puis évolue dans l’administration centrale, notamment au SIRPA Terre et à la Direction du renseignement militaire, jusqu’à la fin de sa carrière active en 2002. Hautement qualifié — breveté parachutiste, instructeur commando, diplômé de l’École de guerre et auditeur de l’IHEDN — il se distingue aussi par ses engagements intellectuels, notamment à travers l’ASAF (Association de Soutien à l’Armée Française), qu’il préside depuis 2009, en défendant vigoureusement la souveraineté nationale et le rôle des armées.
Bruno Racouchot - Comes Communication
Comes Communication est un cabinet fondé en 1999, spécialisé dans la stratégie de communication et d’influence. Il accompagne les organisations publiques et privées dans la construction de leur identité et de leur notoriété, en combinant réflexion stratégique, contenus éditoriaux haut de gamme et vecteurs d’influence issus de l’intelligence économique. Comes Communication, c’est l’art de bâtir l’influence — entre stratégie fine, contenu percutant et intelligence économique au service des idées.
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