Innovation et Connaissances

Discussion : Géopolitique des matières premières critiques avec Guillaume Pitron et Laurent Griot 2/3


David Commarmond


2021 est encore une année exceptionnelle. Pour la deuxième année consécutive, la semaine de Géopolitique de Grenoble s’est tenue en distancielle. Si les webinaires demandent plus d’attention et d’énergie, elle n’entame en rien la qualité des interventions. Parmi la vingtaine de conférences et discussions qui se sont déroulées tout au long de la semaine, difficile de les suivre toutes, difficile d’en choisir. Nous avons dû cependant nous y résoudre. Ce choix arbitraire, est une invitation à découvrir les interventions sur la chaîne Youtube.



Discussion : Géopolitique des matières premières critiques avec Guillaume Pitron et Laurent Griot 2/3
« L’enfer est pavé de bonnes intentions » dit la sagesse populaire. Nous savons que nous devons changer nos comportements, nos modes de vie mais également nos systèmes de productions. Et pour cela nous sommes prêts à troquer nos véhicules thermiques pour des véhicules électriques et de la mobilité douce. Mais ces changements technologiques ne sont pas neutres : ils ont eux aussi leurs conséquences environnementales et pourraient bien nous, faire entrer dans une nouvelle forme de dépendance. La géopolitique des terres rares et du coltan est différente de celle du pétrole et du gaz mais pas moins problématique.
 
Menée par Laurent Griot , Enseignant-Chercheur – Grenoble Ecole de Management   et Guillaume Pitron , Journaliste et réalisateur – Editions. Cet échange (26 mars 2021) vise à nous esquisser une géographie complexe, souterraine des terres rares. Il a réalisé un documentaire et diffusé sur Arte l’an passé : « la face cachée des énergies vertes  ». Il a publié en 2018 un ouvrage : la guerre des métaux rares, la face cachée de la transition énergétique et numérique.

1er point : Cet enjeu nous concerne tous, en tant que citoyen, en tant que consommateur. Et qui va aller croissant.

Constat de Laurent GRIOT : « Les matières critiques nous entourent, elles alimentent tous les éléments électroniques, et par extension notre capacité d’adaptation à la lutte contre le réchauffement climatique grâce à ce que nous estimons être des technologies vertes.
 
 
Ces matières premières sont à double tranchant, elles sont à la fois indispensables et difficiles d’accès. Et notre grande consommation de produits technologiques en fera peut-être notre prochaine dépendance. Cela fait naître une nouvelle géopolitique pas moins complexe que la précédente sur le pétrole.
 
 
Pour Guillaume PITRON, la Géopolitique évoque les contrées et les enjeux lointains. Il est souvent difficile d’intéresser le grand public à ces enjeux, encore plus de les rendre « concernés ». Toutefois ce travail n’est pas impossible, « à condition de savoir les intéresser » en trouvant des exemples parlant et impliquant. Par exemple : la gomme arabique que l’on trouve dans le coca-cola. Cet élément essentiel dans sa production, cette gomme provient d’un acacia qui ne pousse que dans les zones reculées du Soudan où les moyens d’accès sont rares et difficiles. En partant de cet exemple, on peut faire comprendre que de consommateur passif, nous pouvons devenir acteur et influencer l’autre bout du monde.
 
Pour mieux comprendre :
Le terme « matières premières critiques » est un concept récent. Il apparaît pour la première fois dans un rapport de 2011 de la Commission européenne. C’est une liste qui incluait une quinzaine de matières premières dites critiques, étendue, comprenant des produits agricoles et surtout des minerais et métaux.
 
Cette liste fait suite à un événement en 2010 passé inaperçu ; un embargo chinois sur les terres rares. Sans prévenir, sans le dire, la Chine a bloqué de manière informelle ses exportations de terres rares à destination du Japon et des États-Unis pendant six mois.
 
Les pays européens ont pu alors constater la forte dépendance de leur économie de cette poignée de pays producteurs.
 
Évolutive, elle est mise à jour tous les trois ans, la dernière édition datée de septembre 2020 compte aujourd’hui une trentaine de matières premières critiques. La Commission européenne annonce dans cette nouvelle liste de 30 matières premières critiques. Parmi les nouveaux « entrants », des matériaux courants comme le silicium, ou le graphite, sont soumis à une forte demande internationale. A côté bien sûr des métaux stratégiques et rares (indium, bismuth, terres rares, lithium…).
 
Un métal critique est un métal qui peut être rare pour des raisons géologiques, et qui est stratégique pour nos économies modernes (panneaux solaires, éoliennes, moteurs des voitures électriques…).

 


2e point : Une répartition inégale dans le monde, qui profite à la Chine

Plusieurs facteurs naturels font que la concentration d’exploitation et la production des métaux rares sont réparties dans certaines zones du monde, indépendamment de tout autres critères.
 
On se retrouve alors avec des pays qui tiennent la majorité de la production par nature. Et par voie de conséquence, présente tout au long de la chaîne des risques de rupture d’approvisionnement. Et plus cette chaîne est longue, plus il y a d’intermédiaires, plus le risque grandi. Et le point majeur est que la Chine produit plus de 80 % des terres rares du monde. 60 % des batteries de voitures mais la Chine n’a pas de cobalt.

3e point, les aimants, si petits, si puissants, si indispensables.

Leurs usages sont divers, elles sont civiles ou militaires même si ce dernier domaine est prédominant. Les aimants sont particulièrement présents dans de nombreux produits tels que les moteurs de voitures et/ou d’avions, et afin de les rendre toujours plus puissants, plus petits, il faut toujours une plus grande quantité de terres rares. Etant avant tout un enjeu militaire, les Américains sont particulièrement inquiets de leur dépendance aux terres rares chinoises pour leurs besoins.

4e Point des pistes de solutions, mais il existe de nombreux freins ?

Nous pourrions extraire des terres rares en Europe, dans les océans, relocaliser des centres de productions.
 
Historiquement, l’Europe a été un grand producteur de minerai. Puis notre production minière a commencé à baisser pour être finalement abandonné. Et depuis 30 à 40 ans, nous nous sommes organisés pour que la production de ces terres rares échoue à quelques pays spécialisés. Ce n’est pas un hasard géologique, mais un choix d’organisation industrielle et politique qui explique cette situation. Le principe de libre circulation des marchandises et des matières premières par l’offre et la demande (libéralisme) organise le marché et les échanges.
 
La réalité s’est toutefois invitée dans ces grands principes. De fait ce sont installés de quasi-monopoles et les pays ayant des leviers de contrôle les ont utilisés… à leur avantage. Aujourd’hui, l’Europe consomme le quart des matières premières minérales et métalliques de la planète alors qu’elle n’extrait que 3 % des terres rares mondiale !
 
Pourquoi en sommes-nous là ?
Parce que les mines sont polluantes par nature. Nous avons externalisé le coût environnemental de nos modes de vies. Sous la pression de l’opinion, nous voulons une planète plus propre, et nous avons mis en place des réglementations environnementales plus sévères. Ce qui par voie de conséquence a abouti à la fermeture d’outils industriels… pour ne plus avoir à assumer la pollution. Le fait de ne pas vouloir assumer le coût environnemental a un coût géopolitique.
 
Si nous en sommes aujourd’hui dans une situation de dépendance à la Chine, nous le sommes aussi face au Congo Kinshasa pour le cobalt, à l’Afrique du Sud pour les platinoïdes, à la Russie pour le palladium et le nickel.

La manifestation de nombreux paradoxes

Si la violence collective entre les hommes a beaucoup diminué, la violence s’est déplacée sur l’environnement, elle s’est même accrue et a pris de nombreuses formes (pollution plastique en Méditerranée, forêts primaires indonésiennes, pollution des matières premières critiques en Chine, sur ce point les ravages sont effroyables).
 
La Chine est toujours le premier pollueur mondial en matière de rejet de CO2 dans l’atmosphère, elle ouvre des centrales à charbon par centaine et en même temps c’est elle qui souhaite basculer le plus rapidement vers les mix électriques décarbonés.
 
La pression sociale de la population sur les institutions est tellement forte, l’environnement étant tellement pollué, que les questions environnementales sont un enjeu de politique intérieure. C’est le premier sujet de troubles sociaux et de manifestations dans le pays.
 
La pression est telle, que pour maintenir des taux de pollution « acceptable » de nombreuses usines polluantes ont été fermées temporairement ou définitivement, principalement des industries de sidérurgies lourdes au profit des industries plus légères (informatique, …) qui polluent moins tout en générant autant de valeur ajoutée. Pour maintenir cet objectif, elle a l’intention de limiter sa croissance de 4 points ces dernières années.

5e point, Comment l’Europe, la France peut continuer à jouer sa partition ?

La main invisible du marché a fait son temps et montré ses limites. Aujourd’hui, nous sommes dans des logiques de puissance. Il faut adapter le capitalisme.
 
La Covid est un événement fondamental catalysateur de transformation, nous devons en profiter.
 
La souveraineté était déjà dans l’air du temps depuis plusieurs décennies, mais la Covid accélère la prise de conscience, les débats et bisbilles sur les livraisons des vaccins ont sont un bon exemple.
 
Nous devons prendre notre part sur la pollution des métaux rares et mettre en place des filières adéquates. Face à l’enjeu écologique, qui sera plus propre mais c’est surtout pour des enjeux de souveraineté qui sont en question. Le monde politique et industriel vont devoir se réveiller pour sécuriser leur approvisionnement et retenir les leçons de la Covid, il va falloir produire ces matières premières par nous-mêmes, et pourquoi pas rouvrir des mines, il faudra aussi développer une diplomatie minérale.
 
Développer le recyclage qui sera un élément clé, mais pas une solution miracle, En l’absence d’éco-conception en amont, le recyclage est très compliqué, cela demande beaucoup d’argent, d’énergie. Et pour le moment cela coûte plus cher que l’extraction. Des outils comme la fiscalité pour rendre cette dimension viable ainsi qu’une chaîne industrielle et pour cela il faut une quinzaine d’année. Enfin les innovations de rupture sont un frein au progrès du recyclage. Il est très difficile de faire des pronostics à long terme sur les métaux qui seront stratégiques demain.

Pour en savoir plus :