Ali Laïdi a rencontré Anaïs Vogilis, docteure en géographie et grande spécialiste des questions industrielles, le constat est sans appel : l’industrie manufacturière française ne pèse plus que 10 % du PIB, là où la moyenne européenne tutoie les 15 %.
Selon elle, il ne s’agit pas seulement de rapatrier des lignes d’assemblage, mais de bâtir un véritable projet de société. Il faut à la fois consolider et moderniser les usines existantes, encourager la création de filières innovantes et repenser chaque maillon des chaînes de valeur.
Cette démarche est le garant de notre souveraineté économique et le terreau indispensable pour enclencher une transition écologique ambitieuse.
L’émission "L’entretien de l’intelligence économique " jette un éclairage sur la réindustrialisation de la France, devenue une priorité partagée après les crises financières, géopolitiques et sanitaires qui ont secoué le pays.
Invitée phare du plateau, Anaïs Vogilis, docteure en géographie, experte des enjeux industriels et directrice stratégie et RSE dans un grand groupe chimique, puise dans son ouvrage "Pour une révolution industrielle" des analyses précises sur les ressorts et les obstacles de cette ambitieuse relance.
Recul industriel
La France accuse aujourd’hui un net décalage industriel par rapport à ses partenaires européens. L’industrie manufacturière ne pèse plus que 10 % du PIB national, contre 17 % au début des années 1990 et une moyenne de 15 % au sein de l’Union européenne, où l’Allemagne et l’Italie préservent respectivement des parts de 15 % et 17 %.
Cette érosion se traduit au-delà des chiffres macroéconomiques par une destruction massive d’emplois industriels, un déficit persistant de la balance commerciale et une productivité, voire un taux d’occupation des sites, au point mort.
Le réveil post-crises et l’émergence d’un consensus
Face à ces chocs, la réindustrialisation s’est imposée comme un leitmotiv politique sans distinction de couleur, replacée au cœur des stratégies nationales et reprise, au plan mondial, par les États-Unis avec l’Inflation Reduction Act, la Corée, le Japon ou même la Chine.
Au-delà de la relocalisation : trois leviers complémentaires
Le premier enjeu est de consolider et moderniser le tissu productif existant pour éviter la faillite de nos piliers industriels. Parallèlement, la France doit attirer de nouveaux capitaux et soutenir les start-ups industrielles qui installent leur premier site de production sur le territoire.
Enfin, il est indispensable de bâtir des chaînes de valeur complètes : s’en tenir à des « usines tournevis » ne nous rendra pas maîtres de nos approvisionnements et affaiblira notre souveraineté économique.
Un projet de société
Sur le plan géopolitique, il s’agit de retrouver une souveraineté stratégique et de sécuriser nos chaînes d’approvisionnement.
Sur le plan climatique, certaines activités, incompatibles avec nos objectifs de décarbonation, devront être réduites, alors que d’autres filières vertueuses devront se renforcer pour porter la transition énergétique.
Normes environnementales, dumping et externalités
Simplifier notre régime normatif ne doit pas signifier sacrifier nos ambitions climatiques ou stratégiques, mais identifier et alléger uniquement ce qui entrave la compétitivité sans apporter de gains en matière de souveraineté ou de décarbonation.
La production locale, malgré le coût élevé des normes, offre des bilans environnementaux souvent supérieurs à ceux de la production à l’autre bout du monde.
Investissements et perspectives
La réindustrialisation passe inévitablement par des investissements massifs : réduction de la consommation d’eau, préservation de la biodiversité et décarbonation exigent de mobiliser des capitaux et de repenser nos infrastructures. Sans une stratégie intégrée, portée par l’État, les collectivités et les acteurs privés, la France risque de rester à la traîne d’une transformation industrielle globale.
En conclusion, la réindustrialisation doit être pensée comme un projet de société cohérent, articulant souveraineté, transition écologique et compétitivité. Pour les professionnels de l’information stratégique, l’heure est venue d’élaborer des scénarios opérationnels et de suivre de près les arbitrages politiques et financiers qui façonneront le paysage industriel de demain.
A propos d'Anaîs Voy-Gillis
Chercheuse associée à l’IAE de Poitiers et autrice d’ouvrages sur la renaissance industrielle, elle intervient régulièrement dans les médias et auprès des décideurs pour promouvoir une industrie à la fois souveraine et écologique.
A propos de l'émission
Chaque mardi à 11 h 45 sur France 24, Ali Laïdi reçoit experts et décideurs pour décrypter les stratégies de compétition économique, la souveraineté et les enjeux géostratégiques.
Docteur en sciences politiques et chercheur associé à l’IRIS, Ali Laïdi est chroniqueur en intelligence économique sur France 24 et auteur de plusieurs ouvrages de référence après une vingtaine d’années passées au Nouvel Observateur, L’Express et France 2.