Intelligence des Territoires, PME, ETI

En quoi l’intelligence économique constitue-t-elle, pour les TPE/PME/ETI, un levier de développement et de compétitivité à l’international ? 1/3


David Commarmond


Le 13 mars 2019, autour de trois grands acteurs de l’Intelligence Économique et de la donnée plus d’une quarantaine de personnes ont répondu présent à l’invitation du Café Économique, dans les locaux de Bercy au restaurant « Le Club » (bâtiment Colbert).



Cet événement est ouvert à tous, mais sur inscription. Intitulé « En quoi l’intelligence économique constitue-t-elle, pour les TPE/PME/ETI, un levier de développement et de compétitivité à l’international ? » donnait la parole à deux grandes institutions et une entreprise, les intervenants, Emmanuelle Gidoin, chargée de mission Action Economique et Entreprises, Sous-direction du commerce international, Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), Benoît Maille, Chargé de mission intelligence économique internationale, Chambre de commerce et d’industrie de région Paris Ile-de-France, Jacques Orjubin, Délégué à la Communication et aux Relations publiques, GICAN (Groupement des Industries de Construction et Activités Navales1), Georges Fischer, fondateur de Fischer Corporate Consulting International, organisme de conseil en stratégie des organisations et développement commercial des entreprises en France et à l’international, et cofondateur de The Next @ction, spécialisée dans le conseil, l’accompagnement et la formation des entreprises dans le domaine de l’utilisation du digital (e-commerce/e-business/ e-export), un spécialiste de la coopération internationale et de la gestion des risques à l’export.

 
1, Le GICAN a pour mission de favoriser le développement de l’industrie maritime française pour lui permettre de jouer un rôle de premier plan dans la valorisation, la sécurisation et la protection des espaces maritimes, aéro-maritimes, sous-marins et côtiers. Le GICAN représente l’industrie navale au sein de la filière « industriels de la mer ». Le contrat stratégique de filière « Industriels de la mer », signé fin octobre 2018, vise notamment à internationaliser les entreprises et à développer l’export, en particulier pour les PME et les ETI. Cette filière comprend 4 composantes (industrie navale, offshore, énergies marines renouvelables, industries et services nautiques), réalisant un chiffre d’affaires de plus de 30 milliards d’euros, dont 60% à l’export.

Ambitieux, ce café souhaite tenter de savoir si une démarche d’Intelligence économique :

 
  • peut-être opérationnelle pour permettre aux TPE/PME de développer leurs activités à l’international ?
  • peut-être vecteur de coopération internationale ?
  • peut-être incluse dans les procédures de dédouanement et la lutte contre la contrefaçon, pour accompagner les entreprises à l’export ?
  • quels apports du Big Data à la démarche d’internationalisation des PME ?
  • focus sur les enjeux et la démarche mise en place par une filière industrielle très présente à l’export
 
Après quelques mots de bienvenue, par Frédéric Copit organisateur de l’événement, il fit un bref rappel du contexte de la transformation numérique, que nous vivons et rappela que Bercy était tout aussi impacté par cette évolution.

Emmanuelle Gidoin prit la parole pour expliquer comment les douanes incluaient l’approche de l’intelligence économique et son application dans la procédure de dédouanement et la lutte contre la contrefaçon.
  
Quelques éléments de contexte et dates clés :
  • 1992 : Fin des deux blocs nés après la 2ᵉ GM et notamment de l’effondrement du bloc communiste et de « l’équilibre » qui en résultait, avec passage d’une logique bipolaire, politique, à une logique multipolaire dominée par la mondialisation des économies et par les affrontements concurrentiels entre les entreprises, entre les territoires et entre les Etats eux-mêmes.
  • 1994 : Rédaction du rapport Martre, qui est l’acte fondateur définissant la vision française de l’intelligence économique. « L’intelligence économique peut être définie comme l'ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution, en vue de son exploitation, de l'information utile aux acteurs économiques. Ces diverses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l'entreprise, dans les meilleures conditions de qualité, de délais et de coûts. L’information utile est celle dont ont besoin les différents niveaux de décision de l’entreprise ou de la collectivité, pour élaborer et mettre en œuvre de façon cohérente la stratégie et les tactiques nécessaires à l’atteinte des objectifs définis par l’entreprise dans le but d'améliorer sa position dans son environnement concurrentiel. Ces actions, au sein de l'entreprise, s’ordonnent autour d’un cycle ininterrompu, générateur d’une vision partagée des objectifs de l'entreprise. »
 
Ce contexte économique et politique a encore évolué notamment dans le domaine de la logistique, après les attentats de 2001 qui ont véritablement changé la manière d’envisager les rapports commerciaux. « Le risque terroriste est devenu une réalité. Le transport de personnes et de fret est devenu des un vecteur de ce risque . Pour contrecarrer, les États ont mis en place des mesures accrues pour surveiller les marchandises arrivant sur leur sol. Cet accroissement de contrôles risquant lui-même d’entraver la fluidité des échanges, les acteurs économiques ont vu leur responsabilisation sollicitée afin de contribuer à sécuriser à leur niveau la gestion de leurs chaînes logistiques et de leurs flux, dans le cadre de démarche de certifications effectuées auprès des administrations douanières. Ce que toutes les entreprises ne maîtrisent pas encore aujourd’hui.

En matière économique, nous avons une vision nouvelle de la mondialisation, nous observons :

  •  une interconnexion croissante des économies et avec elle une interdépendance entre les entreprises qui sont liées aux chaînes d’approvisionnement,
  • un affaiblissement du multilibéralisme commercial, paradoxalement par le pays qui en a été la figure de proue. Depuis deux ans, on voit une multiplication des barrières douanières tarifaires et non tarifaires, c’est-à-dire un retour du protectionnisme, dans le cadre d’une concurrence exacerbée et de la multiplication des accords bilatéraux ou d’accords régionaux.
 
Si ce tableau paraît sombre, il ne doit pas nous faire perdre de vue que l’export est un formidable outil de croissance pour l’entreprise, quelle que soit sa taille, à condition toutefois qu’elle ait conscience des risques et des menaces, qu’elle s’y adapte et qu’elle transforme ces menaces en opportunités.
 
La définition de l’intelligence économique répond à cette question, « en surveillant son environnement l’entreprise et en intégrant les données collectées pour les transformer en véritables informations stratégiques et opérationnelles ».

 


Une fois le décor planté, Emmanuelle Gidoin évoqua le rôle de la Douane

Les douanes sont associées à la politique interministérielle d’Intelligence Économique. Elles siègent dans les instances régionales et nationales. Du fait de son positionnement clé au cœur des échanges et des places de marchés, la douane est au centre de la régulation des échanges. Dans toutes opérations de commerce, la douane est présente à deux reprises, au départ et à l’arrivée des marchandises.
 
Par son positionnement au sein des échanges commerciaux, par ses missions quotidiennes auprès des entreprises, la démarche d’intelligence économique est intégrée dans les missions de la douane.
 
La douane a deux missions essentielles : une mission de contrôle et une mission économique.
La mission économique est une mission d’accompagnement des entreprises, exercée en province par des Pôles d’Actions Économiques. Il y en a au total 42 en France (métropole, DOM et PTOM). Son objectif est de faire comprendre aux entreprises que dans un contexte logistique et économique complexe, les délais d’acheminement et de livraison sont devenus des facteurs de compétitivité.
 
De facto le passage en douane et la logistique prennent une importance stratégique dans l’entreprise ; ils peuvent faire gagner du temps et de l’argent quand l’entreprise les maîtrise, en faire perdre quand elle les maîtrise pas.
 
C’est un message que les douanes souhaitent faire entendre auprès des entreprises :
  • Quelle que soit la procédure choisie par l’entreprise pour dédouaner ses marchandises...
  • Que l’entreprise fasse elle-même la déclaration en douane ou qu’elle passe par un prestataire, l’entreprise est toujours responsable des opérations. Dans tous les cas elle doit maîtriser tous ces process. La démarche de la douane est très cohérente, elle n’est pas contradictoire : les douanes accompagnent et accordent des facilités aux entreprises conscientes de leurs devoirs dans toutes leurs démarches afin, de les aider à anticiper et à sécuriser leurs opérations douanières et leur logistique. Ainsi, les opérations de ciblage et de contrôle se font principalement sur les autres, qui présentent un risque, même si, pour toute entreprise, la confiance n’exclut pas certaines vérifications !
 
La démarche d’intelligence économique au sein des douanes se fait de deux manières, par des leviers offensifs et défensifs. L’objectif de la douane est d’aider les entreprises à sécuriser leurs opérations de commerce, partant du principe que toute entreprise qui fait de l’import / export est vulnérable, ce que les entreprises ont du mal prendre conscience, surtout les PME. Le raisonnement des PME est souvent le suivant « Je suis bien au chaud dans ma campagne, je suis tout petit », pourquoi venez-vous me parler d’intelligence économique ?
 
Pour Emmanuelle Gidoin, il est important que l’entreprise comprenne que dès qu’elle fait des opérations d’import-export, elle s’expose à des risques.
 
A titre d’exemple, en matière de prévention de la contrefaçon, c’est-à-dire la protection du droit de propriété intellectuelle des entreprises, « demande d’intervention auprès des douanes » permet aux entreprises de mieux s’armer contre le risque d’atteinte à son droit de propriété intellectuelle.
 
La demande d’intervention est un outil de lutte contre la contrefaçon, c’est une démarche préventive qui est effectuée par une entreprise qui a déposé un droit de propriété intellectuelle à l’INPI et qui va donner à la douane la possibilité d’intercepter et de retenir des marchandises suspectées de porter atteinte à son droit, le temps que l’entreprise vienne expertiser les marchandises. La douane sera sensibilisée au fait que l’entreprise concernée a protégé ses droits et si le caractère de contrefaçon est avéré, l’entreprise pourra demander leur destruction voire attaquer en justice.
 
En matière de prévention, la douane effectue une veille stratégique vis-à-vis des pays qui mettent en place des pratiques de protections douanières sur des produits provenant de l’Union Européenne. Il s’agit de la Délégation aux Relations internationales (D.R.I) qui gère 18 attachés douaniers, douaniers français en poste à l’étranger, ces 18 douaniers couvrent 86 pays. Les services de la D.R.I informent les entreprises et les services douaniers de l’évolution des barrières que peuvent mettre en place certains pays.
 
Le levier offensif, vise à donner aux entreprises un avantage direct et immédiat, en termes de sécurité, en termes de visibilité de leur process douanier et logistique. Pourquoi ? Parce que la compliance est un avantage concurrentiel qui permet de dédouaner plus vite et à moindre coût. Être conforme, cela permet d’être efficace.
 
En douane il y a trois notions essentielles :
  • l’espèce tarifaire : c’est la traduction douanière de la désignation commerciale d’un produit par un code douanier et on se sert de cette espèce tarifaire pour déterminer les droits de douanes et de taxe et les différentes mesures de protections commerciales ;
  • l’origine douanière, qui est aussi essentielle, se distingue de la provenance. Ainsi, un produit d’Italie, mais constitué de pièces produites hors d’Europe n’aura pas l’ « origine UE ». De cette origine dépendront aussi des droits de douanes et toutes les mesures de politiques commerciales (droit, anti-dumping, etc.) ;
 
De même pour la valeur en douane.
  • Ces fondamentaux douaniers ne sont pas toujours faciles à sécuriser. Une pomme est facile à identifier, une bouteille de Champagne à déterminer, mais une machine outils, ou un écran constitué de milliers de composants sont beaucoup plus difficiles à définir en termes d’espèce tarifaire et de valeur douanière. Ces difficultés sont donc des facteurs de fragilité pour l’entreprise. La douane offre par exemple aux entreprises la possibilité de classer l’espèce tarifaire et l’origine du produit. On délivre alors un renseignement contraignant qui s’impose aux administrations douanières européennes. C’est une procédure gratuite et qui permet vraiment à l’entreprise de sécuriser et tracer ses flux, afin d’avoir sur eux une visibilité totale.

Cette procédure de sécurisation permet aux entreprises :
  • d’être conforme face au risque de contentieux douanier à l’importation et de contrôle,
  • d’estimer et de calculer les droits de douanes à l’importation et les formalités à accomplir,
  • d’organiser sa production en fonction des coûts d’approvisionnements et de faire le choix du bon marché,
  • de prospecter des marchés à l’étranger en fonction des taxations et coûts de formalités.
 
Sans en avoir l’air ce sont des avantages importants en termes de marges pour l’entreprise.
 
Autre exemple, la notion d’exportateur agréé, dans le cadre d’accords commerciaux entre l’Union européenne et des pays tiers : les entreprises qui bénéficient de ces accords peuvent faire bénéficier à leurs clients des droits de douanes réduits ou nuls, ce qui est intéressant pour les entreprises d’un point de vue financier. La douane offre aux entreprises un statut particulier qui remplace la preuve d’origine requise normalement par un statut qui permettra d’aller beaucoup plus vite et à coût réduit tout en garantissant la traçabilité.
 
Enfin, l’autorisation Opérateur Économique Agréé (OEA) est une certification douanière européenne; accordée aux entreprises qui se sont assurées, après un audit de la douane, qu’elles étaient un partenaire fiable du commerce international, par la maîtrise des fondamentaux douaniers, de la sécurité de leurs installations logistiques et de leurs flux. Ces entreprises ont intégré en leur sein les principes de l’intelligence économique. La douane accorde à partir de ce moment toutes les simplifications et facilitation possible à ce partenaire de confiance.

 

 


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