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Entretien – Veille territoriale : entre mobilisation citoyenne et confiance démocratique

Propos recueillis auprès de Pierre Crosnier Leconte, maire adjoint à Bois-Colombes


Jacqueline Sala
Dimanche 20 Juillet 2025




Entretien – Veille territoriale : entre mobilisation citoyenne et confiance démocratique
Depuis l’annonce de la décision d’Yves Révillon de ne pas se présenter aux prochaines municipales après trente années à la tête de Bois-Colombes, la commune des Hauts-de-Seine entre dans une phase de renouveau. Les prochaines échéances municipales constituent un moment charnière pour redéfinir la gouvernance locale et la stratégie territoriale.

Pierre Crosnier Leconte, adjoint en charge de la planification des projets structurants depuis 2020, se porte candidat pour reprendre le flambeau lors des prochaines élections municipales qui se tiendront en mars 2026. Le premier tour est programmé le dimanche 15 mars 2026 et le second tour le dimanche 22 mars 2026.

De sa carrière de patron du BTP, il tire une expertise en intelligence territoriale et urbanisme. Il propose de concilier continuité et innovation en plaçant la tranquillité publique, la résilience urbaine, la transition écologique et la participation citoyenne au cœur de son projet. Cette candidature marque une ambition claire : traduire les enjeux de développement en politiques opérationnelles au service d’un territoire qui évolue.

Nous l’avons rencontré pour connaître ses analyses et convictions sur ces différents domaines.

Comment abordez-vous aujourd'hui la question de la veille territoriale au sein de votre collectivité ? Quels outils ou méthodes mobilisez-vous pour être en lien avec le terrain, détecter les signaux faibles et anticiper les tensions ?

Comme beaucoup de collectivités de 30 000 habitants, nous commençons à structurer une veille territoriale en croisant plusieurs sources : retours des rencontres des élus, remontées via les services municipaux, mais aussi écoute active des échanges publics, y compris sur les réseaux sociaux. Ce travail s’enrichit des retours terrain d’acteurs du quotidien : commerçants, présidents d’associations, police municipale, etc.
 
Il faut dire que cette présence sur le terrain est un héritage fort de l’histoire de notre territoire. Pendant trente ans, le maire, Yves Révillon a incarné une gouvernance de proximité, à l’écoute, profondément enracinée dans les différents quartiers de la ville. Avec l’équipe municipale depuis 2020, nous en avons fait un état d’esprit : être présent au contact direct avec les habitants. Cela nous permet une écoute directe, sans filtre. L’approche peut sembler plus empirique, mais elle permet une multitude de sources : la rue, les conseils d’école ou les échanges au bord d’un terrain de sport. Cette démarche de proximité vient compléter la veille réseaux sociaux et permet de structurer l’approche qualitative et quantitative. Et venant moi-même du privé, je suis très attentif aux indicateurs. 
 
Mais ma conviction demeure que la veille territoriale ne se fait pas uniquement derrière un écran, elle est d’abord une culture : l’attention, l’écoute active. Cela nécessite du temps, et surtout une posture ouverte à la remontée d’informations, notamment les signaux faibles. Je rajouterai que l’ enjeu de la veille territoriale c’est l’analyse des données, pour que l’écoute du territoire contribue efficacement aux prises de décisions et aux choix politiques concrets. En une phrase, je dirai que la veille territoriale, c’est ce qui permet à une équipe municipale de rester au contact du terrain, voire du réel.

La participation citoyenne autour de certains projets publics peut-elle être une chance pour les collectivités ? Où placez-vous la frontière entre mobilisation légitime et tentative d'instrumentalisation politique ?

La participation citoyenne, y compris pour exprimer des désaccords, est une véritable chance pour nos villes.  C’est d’ailleurs la direction que je souhaite pour Bois-Colombes à travers l’innovation publique.  Cela exige d’accepter que la participation ne se résume pas à valider ce que la collectivité a déjà prévu. Car une ville vivante, c’est une ville où les habitants s’approprient les projets, et je crois à l'expérience d’usage et à l’intelligence collective.
 
Pour cela nous avons mis en place une méthodologie reposant sur trois piliers :
 
  • des temps réguliers de présence terrain, sans dispositif formel, pour garder le lien direct ;
  • une analyse des retours citoyens (concertation, réseaux sociaux, réunions publique, etc.) ;
  • et une mobilisation des services municipaux pour faire remonter les expériences terrain.
 
Cela ne remplace pas une enquête d’opinion, mais cela permet de prendre le pouls d’un quartier et de désamorcer des tensions, souvent invisibles dans les tableaux de bord.
Le désaccord, quand il est sincère, argumenté, fondé sur des faits, est toujours utile, car il permet de mobiliser l’intelligence collective. Il révèle ce qui nous échappe et oblige les élus à ajuster les projets,
 
Une mobilisation sincère pose des questions. Une instrumentalisation cherche à imposer des réponses. De là naissent des dérives qui nous éloignent du débat démocratique :  l’instrumentalisation  des projets locaux pour régler des comptes politiques ou caricaturer des choix complexes.
 

Comment distinguer une inquiétude sincère d'un mouvement d'opinion organisé ? Dans un contexte où les réseaux sociaux accélèrent la diffusion des messages, quelles sont vos clés de lecture pour interpréter ce qui se joue ?

C’est toute la difficulté de la tâche ; identifier ce qui relève d’une émotion légitime, d’un besoin d’explication ou d’une volonté de cliver. Les réseaux sociaux ne sont toujours un baromètre fiable. Une colère exprimée en ligne reflète l’émotion de celui qui l’exprime, mais pas toujours l’état d’esprit général d’un quartier ni l’opinion plus globale sur un projet. La sincérité se mesure à la manière dont les habitants prennent la parole : expriment-ils un désaccord ou une colère ? Font-ils une proposition ou simplement une interpellation ? Un mouvement sincère ne cherche pas d’abord l’exposition médiatique, mais la transformation.
 
Les réseaux sociaux imposent un format court, souvent réducteur. C’est là tout l’enjeu : ne pas confondre volume et légitimité. Une indignation virale ne signifie pas nécessairement une majorité silencieuse mobilisée. Nous prenons au sérieux ce qui s’y dit bien entendu, mais nous nous attachons à le mettre en perspective avec d’autres canaux de veille : réunions publiques, associations, remontées terrain, etc.
 
De plus, nous nous attachons à écouter ceux qui ne s’expriment pas spontanément. Ces personnes-là méritent aussi que les services et les élus aillent à leur rencontre et à leur écoute La difficulté, aujourd’hui, c’est que certains discours sont produits par des logiques d’activisme numérique, surtout en période pré-électorale.  La veille territoriale permet alors de garder le cap.
Pour conclure, je dirai, surtout, garder son calme. L’écoute n’est pas une faiblesse. C’est ce qui fait tenir un élu dans la durée.
 

En tant qu'élu, comment composez-vous avec les temporalités très différentes du projet public et de l'indignation numérique ? Peut-on encore prendre le temps d'expliquer dans un monde où tout se commente à chaud ?

Aujourd’hui, c’est un vrai défi. Le temps long du projet public se heurte à la logique de l’instantané. Et l’indignation numérique oblige les élus à résoudre une équation complexe : répondre immédiatement là où l’action publique demande du temps, de l’analyse, des arbitrages.

Je crois qu’il faut résister à la tentation de répondre dans la précipitation. Expliquer reste possible, à condition de le faire sans jargon, en se rendant disponible, et en assumant qu’on ne peut pas tout régler en un commentaire sur les réseaux sociaux. Notre réponse consiste à ne pas renoncer à expliquer. À assumer ce décalage. À reconnaître, parfois, que nous ne savons pas encore tout, mais que nous sommes au travail.  Cela suppose de dire la vérité, même quand elle est incomplète, même quand elle ne plaît pas. D’expliquer les contraintes, les étapes, les évolutions. On ne fait pas taire la colère par un démenti sec, mais par une parole qui respecte l’intelligence de chacun.

Et puis il faut incarner cette parole, et être présent, même dans la tempête. On ne combat pas l’indignation numérique par des algorithmes, mais par une présence constante sur le terrain.

Souhaitez-vous faire une remarque plus personnelle sur votre expérience ?

Je crois que, face aux défis qui pèsent sur les collectivités territoriales, et sur les citoyens, nous avons besoin d’une démocratie du quotidien, lucide et exigeante. Cela exige une parole citoyenne qui nourrit la réflexion des élus, l’enrichit et lui permet de s’adapter aux usages.

Cette démocratie locale est un sport d’endurance, surtout dans la période d’incertitude actuelle, marquée par les Fake News et la polarisation du débat. Elle demande de la constance et surtout de la cohérence. Car la confiance ne se décrète pas, elle se tisse, s’éprouve et se renforce dans les épreuves.
 
Et c’est peut-être cela, la plus grande mission d’un élu local aujourd’hui : agir pour le bien commun, même si certains choix ne font pas l’unanimité. La veille territoriale est alors ce fil tendu entre l’écoute des signaux faibles et la capacité à décider sans céder à l’émotion immédiate, avec un cap clair : rester fidèle au territoire que l’on sert.
 

Merci d’avoir accepté de répondre à ces questions. Jacqueline Sala – Veillemag