Afrique

Entretien avec Driss Guerraoui - 5ème Rencontre du Forum des Associations Africaines d’Intelligence Economique, à Dakhla - Du 9 au 11 octobre 2025

« Intelligence économique et co-émergence africaine, quels rôles pour les diasporas ?


Jacqueline Sala
Vendredi 26 Septembre 2025


Au cœur de cette rencontre, un thème stratégique : « Intelligence économique et co émergence africaine, quels rôles pour les diasporas ? ».
L’organisateur de cet événement est le Prof. Driss Guerraoui, Président de l’Université Ouverte de Dakhla et du Forum des Associations Africaines d’Intelligence Economique. Il porte une vision stratégique sur la Diaspora africaine. C’est dans cet esprit que nous l’avons rencontré, pour comprendre les ambitions, les coulisses et les promesses de cette édition.




Driss Guerraoui, vous ouvrez à Dakhla la 5ᵉ édition du FAAIE dans un monde en pleine recomposition. Quand vous regardez la carte des rapports de force économiques et géopolitiques, qu’est-ce qui rend cette édition particulièrement stratégique ?

Cette 5 ème édition se tient, en effet, dans un monde nouveau marqué par le développement de nouvelles générations de guerres, de conflits et de crises de plus en plus redoutables, destructrices et déstabilisatrices. Ce monde connait aussi l’émergence d’insécurités alimentaire, hydrique, énergétique et sanitaire dont l’impact accroit la vulnérabilité de pans entiers des sociétés humaines indistinctement en Occident et dans le Sud global. Toutes ces réalités évoluent, de surcroît, sur un fond d’éclatement et de fractionnement du système mondial, de quasi-faillite du multilatéralisme et d’impossibilité objective d’un pilotage institutionnel unifié, coordonné et partagé, d’une gouvernance mondiale responsable et solidaire de défis d’un  nouveau monde en cours de structuration.

C’est dans ce contexte que nous assistons à un déclassement graduel, continu et réel de l’Occident, Europe et Etats- Unis en tête, dont les perspectives économiques sont sombres et les démocraties s’essoufflent, et l’émergence d’un Sud global qui se réveille et se structure en alliances géoéconomiques et géopolitiques pour peser sur les rapports des forces futurs.

Dans ce cadre, et malgré les défis colossaux qu’elle affronte, l’Afrique, partie intégrante de ce Sud global, se prépare pour devenir la locomotive de la Nouvelle Economie Mondiale, le marché de l’avenir, le nouveau pôle de la croissance mondiale et l’espace privilégié des grandes transitions du futur, y compris sur le plan sociétal. Cependant, pour réussir ce challenge dans le cadre des rapports de forces géoéconomiques et géopolitiques actuels, l’Afrique  aura besoin d’une stratégie de co-émergence portée par tous ses acteurs et forces vives.

C’est cette spécificité du contexte mondial et la complexité de ce challenge qui donnent toute la portée stratégique à cette édition du Forum des Associations Africaines d’Intelligence Economique et lui donne toute son importance.
 

Cette année, le forum sera ponctué de moments forts, comme la remise d’un Doctorat honoris causa et la 4ᵉ édition des Prix de l’Intelligence Économique en Afrique. Derrière le protocole et les projecteurs, que racontent ces distinctions sur l’évolution de la discipline sur le continent ?

Le Forum inaugurera pour la première fois depuis la création de l’Université Ouverte de Dakhla en 2010,  l’octroi d’un Doctorat Honoris Causa pour rendre hommage à des personnalités du monde académique, diplomatique,  politique, économique et de la culture qui ont contribué à approfondir la connaissance des grandes questions du développement dans le monde en général et en Afrique en particulier, à promouvoir les relations de coopération entre le Maroc, et à travers lui l’Afrique et le reste du  Monde,  ainsi qu’au rayonnement international  de l’Université Ouverte de Dakhla et à travers elle des Provinces du Sud du Maroc.

Quant au Prix de l’Intelligence Economique en Afrique, il est dans sa quatrième édition. Il vise à encourager la recherche africaine dans la discipline de l’intelligence économique, en récompensant les meilleurs masters, doctorats et ouvrages en intelligence économique réalisés par des jeunes chercheur-e-s du continent Africain. 

Mais au-delà de ces actions symboliques, la rencontre constituera un moment fort pour examiner l’évolution de la discipline, dans le sillage de ce qui a été entrepris en décembre 2024 lors de la 4 ème rencontre du FAAIE, rencontre qui a permis de faire un état des lieux de la discipline et d’analyser ses champs nouveaux. Ce travail a été couronné par la publication en 2025 chez l’éditeur parisien l’Harmattan,  dans le Collection «  Les Afriques de demain»,  d’un ouvrage de référence  intitulé «  L’intelligence économique en Afrique et dans le Monde, Etat des lieux et nouveaux champs », auquel ont contribué les plus éminents experts, professionnels  et chercheurs de la discipline.

Cette année, outre l’examen des modalités de valorisation des rôles des africains du monde dans la co-émergence de leur continent par l’intelligence économique, l’édition 2025 va tenter de mettre en exergue les inflexions majeures que connait le champ de l’intelligence économique à partir de la spécificité de la thématique de la rencontre.
 

Le thème 2025 place les diasporas africaines au cœur de la réflexion. Comment passer du discours à l’action pour que ce formidable capital humain et relationnel devienne un moteur concret de co émergence ?

Selon les estimations de l’Union Africaine et de la Banque Africaine de Développement, la diaspora africaine, c’est environ 22 à 25 millions de personnes en 2025, réparties sur tous les continents, bien que de façon inégale.
Cette diaspora représente un capital humain riche et diversifié inestimable composé de savants, de chercheurs, d’étudiants, d’entrepreneurs, de travailleurs qualifiés, d’hommes et de femmes de lettres et d’artistes, de leaders politiques et de haut cadres dans tous les domaines stratégiques pour le développement de leur contient. Ce qui l’érige en véritable levier futur de la co-émergence africaine.

 Considérant cette importance démographique, scientifique, technologique, économique, socio –politique, culturelle et civilisationnelle et tenant compte  des potentialités plurielles que recèle cette diaspora, le Forum des Associations Africaines d’Intelligence Economique entend fédérer le génie collectif des Africains du Monde et valoriser par l’intelligence économique leurs savoirs, savoir-faire et qualifications au service de la construction d’une Afrique Nouvelle.

A cet effet, et à l’occasion de cette rencontre, le Forum va créer en son sein une structure permanente, dite « Pôle Africains du Monde », dont les missions seront d’approfondir la connaissance des problématiques des diasporas africaines conformément aux enjeux du monde nouveau, d’organiser à leur profit des formations en intelligence économique, en veille stratégique et en prospective, d’offrir aux décideurs nationaux et aux organisations régionales et internationales l’expertise nécessaire à l’élaboration des politiques publiques, des programmes d’actions et des projets dédiés aux Africains du Monde, de mettre en valeurs les success stories des diasporas et de développer des partenariats avec les institutions africaines et non-africaines, gouvernementales et non-gouvernementales, publiques et privées qui poursuivent les mêmes  missions.     
 

Dakhla, carrefour entre Afrique, Europe et Amériques, n’a pas été choisie au hasard. Que symbolise ce lieu pour vous, et comment sert-il la portée internationale du forum ?

Dakhla c’est une population de 219 965 habitants (RGPH - Recensement Général de la Population et de l’Habitatde 2024), vivant sur une superficie qui s’étend sur 130 898 km² sur une superficie totale du pays de 710 850 km², avec un PIB régional estimé en 2021 à 18,42 milliards de dirhams et un PIB par habitant évalué à 84 069 dirhams, le plus élevé à l’échelle nationale où il est évalué à 33.600 dirhams. Mais Dakhla, c’est aussi et surtout un grand chantier de développement ouvert depuis 1975, année de la marche verte, qui connait aujourd’hui la réalisation de 137 projets pour une enveloppe financière de l’ordre de 20,7 milliards de Dirhams dans tous les domaines. Certains sont de portée nationale et d’autres de portée continentale et internationale.
 
Parmi ces derniers projets de portée continentale et internationale, deux en particulier vont faire de Dakhla un réel carrefour entre Afrique, Europe et Amériques. Il s’agit du port de Dakhla Atlantique et du nouvel aéroport international.
 

Avec ces deux projets d’envergure, joint à l’aménagement numérique du territoire des trois régions du Sud, la réalisation d’infrastructures autoroutières, routières et aériennes, les nombreux projets industriels, énergétiques, miniers, agricoles, et touristiques,  il est fort à parier que les provinces du Sud du Royaume, se hisseront dans un horizon moyen en un véritable hub international, qui rayonnera sur  la grande zone Afrique-Europe-Atlantique et Asie par le Moyen Orient. C’est alors qu’on parlera de « la Route de Dakhla », comme on parle aujourd’hui “de la Route de la Soie “ et du hub international de Dubai.
 
Cette perspective géostratégique sera renforcée et étendue par la dynamique que produira dans les années à venir l’Initiative de l’Afrique Atlantique lancée par le Roi Mohammed VI en novembre 2023,
 
Partant de toutes ces considérations, on comprend dès lors la portée hautement stratégique d’une telle rencontre organisée à Dakhla par notre Forum, et centrée sur la mise à contribution des africains du monde à la réalisation de cette ambition panafricaine, portée par le Maroc, au cœur et à partir  de ses provinces sahariennes. 

Au terme de ces trois jours, que souhaitez-vous que les participants emportent avec eux : une vision, des alliances, des projets… ou peut-être un peu des trois ?

Nous sommes un réseau panafricain et international qui est animé par « l’esprit de Dakhla », un esprit que nous avons construit collectivement par touches successives depuis 2010 autour des valeurs et des principes de solidarité, de fraternité, de respect mutuel, d’engagement et de mise à contribution de la connaissance, du savoir, de l’intelligence et du génie de nos  membres au service de la paix, de la prospérité partagée, de la sécurité humaine globale et du développement inclusif, intégré, soutenable et durable au profit de nos populations et de nos territoires.

C’est cet « esprit de Dakhla » qui nourrit notre vision, nos alliances et nos projets, qui nous habite et qui donne un sens à ce que nous entreprenons et apportons à notre niveau pour contribuer à bâtir le Monde Nouveau et l’Afrique Nouvelle. Et c’est cet élan, dont nos participants sont déjà porteurs, que nous souhaitons voir perdurer, et se renforcer pour les générations futures.
 

Peut-être une remarque plus personnelle, un conseil …

L’observation du monde nouveau nous impose de propager, à travers les rencontres que nous organisons, un message capital : celui de la nécessité de rester en veille permanente et de demeurer mobilisé pour préserver les valeurs et principes que nous partageons, armés en cela par la culture de l’espérance et de la foi dans ce que nous entreprenons, et inscrire nos actions dans des dynamiques qui concourent à bâtir un avenir meilleur pour tous. 
 

Merci Driss Guerraoui. Nous vous souhaitons plein succès dans cette initiative !

Driss Guerraoui, est président de l’Université ouverte de Dakhla et du Forum des Associations africaines d’intelligence économique. Il est en outre membre de l’Académie du royaume du Maroc, de l’Académie des sciences du Portugal, de l’Académie royale européenne des Docteurs d’Espagne, de l’Académie française d’intelligence économique dans la catégorie des Emérites et membre du Comité Exécutif du Conseil International d’Action Sociale.

L’Académie de l’Intelligence Économique (AIE) joue un rôle de partenaire intellectuel et stratégique au sein du Forum des Associations Africaines d’Intelligence Économique (FAAIE). Concrètement, pour l’édition 2025 à Dakhla

À Dakhla, l’Académie de l’Intelligence Économique apporte non seulement son expertise mais elle incarne une caution intellectuelle et une passerelle stratégique entre l’Afrique et l’Europe. Sa présence, portée par Philippe Clerc et Mounir Rochdi, confère au Forum une légitimité qui dépasse le cercle des praticiens pour toucher aux enjeux de souveraineté et de co‑émergence. Alain Juillet sera également présent.
En s’associant à la remise d’un doctorat honoris causa et en soutenant les Prix de l’Intelligence Économique en Afrique, l’Académie inscrit son action dans une double dynamique : reconnaître les talents africains et inscrire leurs pratiques dans un récit global. Elle agit ainsi comme un catalyseur, rappelant que l’intelligence économique n’est pas seulement une méthode, mais un instrument de puissance et de diplomatie. À travers ce rôle, l’AIE contribue à redessiner les équilibres, en affirmant que l’Afrique n’est plus un simple terrain d’observation, mais un acteur central de la réflexion stratégique mondiale.

FAAIE

  • Missions

- Contribuer à la promotion des pratiques de l’intelligence économique en Afrique ;
 
- Diffuser auprès des entreprises, des administrations, des territoires, des Universités et des      centres de recherches  la connaissance scientifique relative à l’intelligence économique et à la veille stratégique en Afrique ;
 
- Développer les échanges et partager les savoirs et les savoir-faire entre les associations membres du forum ; 

- Approfondir la connaissance des dimensions géostratégiques du continent Africain ;
 
- Aider à la création d’associations nationales d’intelligence économique dans les pays africains ;
 
 -  Assurer des formations en intelligence économique et veille stratégique au profit des        institutions publiques et privées, des Administrations, des collectivités territoriales et  des Universités ;

- Mener des études et des recherches en intelligence économique et veille stratégique ;
 
- Organiser des activités scientifiques, culturelles et tous autres évènements rentrant dans le cadre des objectifs du forum.
 
  • Objectifs du FAAIE
 
- Contribuer à élever le niveau de formation, de qualification et d’expertise des opérateurs économiques, des acteurs institutionnels, des collectivités territoriales et des étudiants du continent Africain en matière de pratiques d’intelligence économique et de veille stratégique ;
 
- Mettre à la disposition de ces opérateurs et acteurs les e-documents (livres, publications, audio et vidéo books...) susceptibles de favoriser le développement auprès de leurs membres de la connaissance et des applications des méthodes et outils de l’Intelligence Economique ;
 
- Favoriser le transfert des savoirs et des savoir-faire entre les pays Africains ;
 
- Développer des partenariats entres les pays du continent en matière d’intelligence économique et de veille stratégique;
 
- Lancer les bases de la création d’un Centre PanaAfricain d’Etudes et de Recherches sur l’intelligence économique et la veille stratégique ;
 
- Initier et développer des partenariats avec les associations non Africaines d’intelligence économique.