Personnalités

Entretien avec Thomas Parisot à l’occasion du Forum gf2i & ADBS du 9 octobre. Rassembler, Mobiliser, Partager.


Jacqueline Sala
Mardi 30 Septembre 2025


À la croisée de ses responsabilités au GF2I, à l’ADBS et chez Cairn.info, Thomas Parisot porte une conviction forte : les professionnels de l’information doivent unir leurs compétences pour bâtir des écosystèmes résilients, transparents et durables. Dans un contexte de mutations technologiques et de désinformation croissante, il plaide pour une communauté capable de conjuguer héritage documentaire et innovation afin de garantir l’avenir du savoir partagé. Nous l 'avons rencontré à l'occasion du Forum ADBS & gf2i du 9 octobre.




Président du GF2I et administrateur de l’ADBS, Thomas Parisot s’engage depuis plusieurs années pour renforcer la place des professionnels de l’information dans le débat public. Au Forum du 9 octobre, il partage sa conviction : face aux mutations numériques et aux enjeux de fiabilité, la communauté doit affirmer ses valeurs d’innovation, de fiabilité, et de transparence.
 
parisot_2.pdf Thomas Parisot 2.pdf  (813.42 Ko)

Thomas Parisot, vous êtes à la fois directeur général adjoint de Cairn.info, président du GF2I et administrateur de l’ADBS. Qu’est-ce qui relie ces trois responsabilités et comment se complètent-elles dans votre vision de l’écosystème de l’information ?

Chez Cairn.info, nous cultivons une culture plurielle, à la jonction entre des mondes très divers : édition, médias, documentation, recherche, etc. L’information originale et de qualité est au cœur de ces secteurs, qui ne dialoguent pas suffisamment et pensent souvent les mêmes objets sans forcément en avoir conscience.
Je retrouve cette culture de métissage au sein du Gf2i et de l’ADBS – entre métiers, entre secteurs public et privé, entre enjeux techniques, économiques, juridiques et sociétaux – et suis heureux de participer à mon niveau à l’établissement de passerelles entre acteurs de la connaissance.




 

En tant que président du GF2I et administrateur de l’ADBS, comment percevez-vous la complémentarité entre ces structures et leur capacité à peser dans le débat public sur l’information ?

Le Gf2i confronte depuis plus de 40 ans les idées, les points de vue, les propositions et les analyses des acteurs qui composent la chaine de valeur de la connaissance.
L’ADBS est, quant à elle, un vivier d’utilisateurs/trices, aguerri(e)s aux outils et services qui structurent l’espace informationnel, en position d’observation directe de l’évolution (rapide) des usages.

Le dialogue entre ces deux espaces me semble particulièrement fécond et nécessaire à l’heure où l’on observe une concentration grandissante de l’attention autour d’outils généralistes, portés par des géants technologiques peu enclins au dialogue et au jeu collectif. La co-construction par toutes les parties prenantes d’alternatives informationnelles n’est plus simplement souhaitable : elle est indispensable à la construction d’un socle sur lequel toute organisation, publique comme privée, doit se fonder pour construire un futur plus désirable que celui que l’on souhaite nous imposer.
 

L’intelligence artificielle bouleverse la chaîne éditoriale et documentaire. Quels risques et quelles opportunités identifiez-vous pour les éditeurs et les professionnels de l’information ?

Le risque est immense, plus fondamental certainement que ceux qu’a pu nous donner à penser le web ouvert durant ces 20 dernières années : il s’agit ni plus ni moins que de préserver un espace informationnel commun, à l’heure où fake news, services abusivement génératifs et concentration de l’attention au sein de bulles fermées mettent dramatiquement à mal la bibliodiversité de notre écosystème.

De la même manière qu’une coexistence plus harmonieuse de l’humanité avec son environnement reste à inventer dans la décennie à venir, nous avons la responsabilité de construire des bases informationnelles qui permettront de garantir l’accessibilité des savoirs au plus grand nombre, de favoriser la découverte et la créativité.
L’enjeu est considérable : quand les GAFAM voient dans les productions des acteurs de la connaissance des supports de publicité et d’exploitation des données personnelles, il importe de miser au contraire sur leur valeur propre, si fondamentale pour nos sociétés : leur apport à la connaissance, au débat, à l’émancipation personnelle et collective.
 

Le Forum ADBS–GF2I met en avant la question de la désinformation et de la traçabilité. Quel rôle spécifique peuvent jouer ces associations professionnelles dans ce combat ?

Les professionnels qui composent ces associations sont au cœur de la transformation qu’il nous faut opérer : mobiliser les savoir-faire anciens (création et entretien de métadonnées, de référentiels, mise en place de passerelles d’interopérabilité, etc.) et nouveaux (granularisation fine de la connaissance, mobilisation à bon escient des modèles de langage, nouveaux formats porteurs d’une remobilisation de l’attention sur les contenus fiables à forte valeur ajoutée, etc.) pour lutter contre la désinformation et permettre une sédimentation plus solide des connaissances chez les apprenants et les professionnels.

Loin des solutions « sur étagère », les chaînes de traitement susceptibles de créer réellement et durablement de la valeur dans les organisations remobilisent nos métiers sur leurs fondamentaux, mais doivent aussi les pousser à évoluer, à hybrider les savoir-faire issus des cultures documentaires, éditoriales, médiatiques, pour saisir les opportunités nouvelles qui se font jour et faire advenir une vision positive de l’intelligence artificielle, loin des sur-promesses et des dérives qui nous guettent.
 

Comment concilier ouverture (open access, science ouverte) et modèles économiques viables pour les éditeurs et plateformes de diffusion ?

Cette question, déjà ancienne, se voit revisitée à l’aune du nouveau schéma d’attention qui s’impose et des nouvelles médiations opérées par les agents IA ou les réseaux sociaux. La question de la découvrabilité remplace peu à peu celle de l’accès, avec des frontières de plus en plus floues entre service et contenu.

Les investissements à consentir pour permettre cette découvrabilité sont importants, pourraient devenir insoutenables si nous n’intégrons pas la sobriété et la coopération dès les fondations de la nouvelle architecture de l’information à construire. L’ouverture est nécessaire mais ne peut constituer une fin en soit, à l’heure où réutilisation rime trop souvent avec captation par les plus puissants. Les écosystèmes informationnels à construire doivent au contraire impliquer l’ensemble des acteurs qui participent à la production et à la circulation de l’information de qualité, prendre en compte leurs contraintes et leur donner les moyens de jouer pleinement leur rôle.
 

Quel conseil donneriez-vous à un jeune professionnel de l’information qui entre aujourd’hui dans le métier ?

De constituer un bagage technique solide, de ne pas négliger systématiquement les stratégies de traitement plus classiques au profit des plus nouvelles, de travailler en réseau et de rejoindre nos associations pour échanger et débattre de l’évolution de nos métiers en pleine transformation !



 

Si vous deviez projeter le rôle des professionnels de l’information à horizon 2030, quelles compétences seront décisives ?

La maitrise et l’intériorisation des capacités des modèles de langage, mais aussi de leurs limites. La conduite de projets complexes, associant des profils très techniques, mais aussi juridiques, éditoriaux, créatifs, etc. La capacité à maintenir les utilisateurs au centre des dispositifs, pour ne jamais perdre de vue que la valeur est créée pour eux, non pour les concepteurs des outils mis en place.

En une phrase, quel est selon vous l’enjeu majeur du Forum 2025 ?

Plus qu’une phrase, quelques mots clés : rassembler, mobiliser, partager.

Peut-être une remarque plus personnelle, une recommandation, un souhait…

Après quelques années dans le secteur, voir enfin les professionnels de l’information (éditeurs, chercheurs, journalistes, veilleurs, documentalistes, etc.), si proches dans leurs valeurs et leurs objectifs, partager et construire ensemble des systèmes d’information robustes et responsables pour demain.

Merci Thomas Parisot pour ces éclairages et rendez-vous le 9 octobre !

Directeur général adjoint de la plateforme Cairn.info, Thomas Parisot est par ailleurs président du Groupement français de l'industrie de l’information (Gf2i), vice-président du groupe universitaire du Syndicat national de l’édition (SNE) et administrateur de l’Association des professionnels de l’information et de la documentation (ADBS).

A propos de l 'ADBS

L’ADBS, créée en 1963, est la principale association française rassemblant les professionnels de l’information et de la documentation. Elle fédère un réseau de spécialistes – documentalistes, bibliothécaires, veilleurs, gestionnaires de données – engagés dans la valorisation et la maîtrise stratégique de l’information. Par ses formations, ses publications et ses événements, elle accompagne l’évolution des métiers, défend la place de l’infodoc dans la société de la connaissance. Elle édite notamment la revue I2D – Information, données & documents, référence dans le domaine.

Inscription gratuite au Forum