
Ceux qui affirment que la Terre est plate (Flat Earth – 1) ne le font pas, dans la majorité des cas, pour provoquer ou pour jouer avec les codes de l’absurde. Ils défendent une vision du monde dans laquelle les institutions sont vues comme intrinsèquement mensongères, voire malveillantes. À leurs yeux, ces structures ne cherchent pas à informer mais à manipuler, à fabriquer un récit officiel destiné à neutraliser les consciences.
Depuis quelques années, on observe une même montée en puissance de croyances qui pensent que les institutions seraient engagées dans des conspirations silencieuses. Climatoscepticisme, rejet des campagnes vaccinales, déni de certaines violences sociales ou inversement surexploitation des récits d’effondrement. Ce ne sont pas simplement des idées absurdes ou provocantes : elles traduisent une défiance généralisée et un nouveau régime de vérité.
Nous sommes passés d’un monde où l’on débattait des faits à un monde où les faits eux-mêmes sont devenus discutables, voire interchangeables. Chaque camp, chaque communauté, chaque individu peut construire un système d’explication fermé sur lui-même, cohérent en apparence, fondé non sur la preuve, mais sur la perception, l’émotion, la méfiance.
C’est ce que cette époque nous donne à voir : une prolifération de récits subjectifs où l’expérience intime vaut plus que le savoir établi, où plus rien ne semble faire autorité, pas même l’évidence.
Prouver ne suffit plus. L’expertise est contestée, la vérification est soupçonnée, et la contradiction est vécue comme une attaque. Dans cette dynamique, la tentation est grande de réagir avec condescendance ou colère, d’opposer des faits massifs à des croyances fragiles.
Mais cette posture échoue. Elle alimente ce qu’elle prétend combattre.
Depuis quelques années, on observe une même montée en puissance de croyances qui pensent que les institutions seraient engagées dans des conspirations silencieuses. Climatoscepticisme, rejet des campagnes vaccinales, déni de certaines violences sociales ou inversement surexploitation des récits d’effondrement. Ce ne sont pas simplement des idées absurdes ou provocantes : elles traduisent une défiance généralisée et un nouveau régime de vérité.
Nous sommes passés d’un monde où l’on débattait des faits à un monde où les faits eux-mêmes sont devenus discutables, voire interchangeables. Chaque camp, chaque communauté, chaque individu peut construire un système d’explication fermé sur lui-même, cohérent en apparence, fondé non sur la preuve, mais sur la perception, l’émotion, la méfiance.
C’est ce que cette époque nous donne à voir : une prolifération de récits subjectifs où l’expérience intime vaut plus que le savoir établi, où plus rien ne semble faire autorité, pas même l’évidence.
Prouver ne suffit plus. L’expertise est contestée, la vérification est soupçonnée, et la contradiction est vécue comme une attaque. Dans cette dynamique, la tentation est grande de réagir avec condescendance ou colère, d’opposer des faits massifs à des croyances fragiles.
Mais cette posture échoue. Elle alimente ce qu’elle prétend combattre.
Connecter avant de corriger
Face à une conviction enracinée, la vérité ne pénètre jamais en force. Et si l’on veut réellement sortir de la logique d’affrontement, il faut d’abord changer de registre : passer de l’opposition au lien.
C’est le principe fondateur de nombreuses approches relationnelles, dont la communication non violente : connect before correct. Cela signifie ne pas commencer par dire ce que l’autre doit penser, mais chercher à comprendre pourquoi il pense ainsi. Les récits servent de protection face à la peur, à la perte de contrôle, à l’exclusion, écouter devient une forme d’engagement politique.
Ce n’est pas un renoncement à la rigueur, ni une soumission aux discours délirants. C’est une stratégie de présence, une manière de faire exister un espace commun là où il n’y en a plus. Il ne s’agit pas de convaincre, mais de rendre possible une conversation. La correction, si elle a lieu, ne peut venir qu’après une reconnaissance mutuelle.
C’est le principe fondateur de nombreuses approches relationnelles, dont la communication non violente : connect before correct. Cela signifie ne pas commencer par dire ce que l’autre doit penser, mais chercher à comprendre pourquoi il pense ainsi. Les récits servent de protection face à la peur, à la perte de contrôle, à l’exclusion, écouter devient une forme d’engagement politique.
Ce n’est pas un renoncement à la rigueur, ni une soumission aux discours délirants. C’est une stratégie de présence, une manière de faire exister un espace commun là où il n’y en a plus. Il ne s’agit pas de convaincre, mais de rendre possible une conversation. La correction, si elle a lieu, ne peut venir qu’après une reconnaissance mutuelle.
En pratique : rouvrir l’échange
La question n’est plus seulement de savoir comment convaincre, mais comment entrer en relation dans une époque où la parole est immédiatement suspectée. Le débat ne se gagne plus à coups d’arguments, mais par la qualité du lien que l’on parvient à tisser. Voici trois manières concrètes de rouvrir l’échange, non pas pour imposer une vérité, mais pour réhabiliter une possibilité d’écoute réciproque.
1. Poser une vraie question qui n’est pas un reproche déguisé
Il y a une différence fondamentale entre une question qui cherche à comprendre et une question qui cherche à piéger. Demander « Tu crois vraiment que la Terre est plate ? » n’est pas une question : c’est une condamnation rhétorique. Et comme toute condamnation, elle provoque un repli.
À l’inverse, poser une question sincère, ouverte, qui invite à dérouler un récit intérieur, permet souvent de désamorcer le face-à-face. Cela peut ressembler à :
– « Qu’est-ce qui t’a donné envie d’explorer cette version des choses ? »
– « Qu’est-ce que tu ne retrouves plus dans les discours officiels ? »
Ce type de formulation ne vise pas à valider le contenu de la croyance, mais à suspendre le jugement pour entendre l’humain derrière la posture. Parfois, le simple fait d’être écouté sans sarcasme suffit à relâcher la rigidité du discours.
À l’inverse, poser une question sincère, ouverte, qui invite à dérouler un récit intérieur, permet souvent de désamorcer le face-à-face. Cela peut ressembler à :
– « Qu’est-ce qui t’a donné envie d’explorer cette version des choses ? »
– « Qu’est-ce que tu ne retrouves plus dans les discours officiels ? »
Ce type de formulation ne vise pas à valider le contenu de la croyance, mais à suspendre le jugement pour entendre l’humain derrière la posture. Parfois, le simple fait d’être écouté sans sarcasme suffit à relâcher la rigidité du discours.
2. Identifier la peur, ou la perte qui sous-tend la croyance
Les récits alternatifs, même les plus étranges, répondent souvent à un besoin : celui de reprendre du contrôle dans un monde perçu comme hostile, de comprendre ce qui échappe, ou de retrouver une forme de dignité quand on se sent déclassé.
Une croyance devient un abri. Elle protège de l’humiliation, du sentiment d’impuissance, de la solitude.
Entrer dans ce territoire, c’est refuser de réduire l’autre à ce qu’il affirme. On peut dire :
– « T’as l’air d’avoir cherché longtemps avant d’arriver à cette conclusion. Qu’est-ce qui t’a fait basculer ? »
– « Qu’est-ce que ça te permet, de croire ça ? Est-ce que des réponses que tu n’avais pas ailleurs ? »
Reconnaître un ressenti ne veut pas dire légitimer une fausse information. Cela veut dire s’adresser à la personne avant de discuter de son idée. Et dans ce cadre-là, il arrive que la croyance vacille d’elle-même, parce que l’émotion qui la soutenait a été reconnue.
Par exemple, au lieu de dire : « Les scientifiques sont formels sur le changement climatique », on peut dire :
– « Là où j’habite, les étés sont devenus invivables, et mon père qui est agriculteur n’arrive plus à récolter comme avant. »
L’idée n’est pas de prendre l’autre de court, mais de sortir du terrain du combat idéologique, pour revenir à un espace plus humble, plus incarné. Ce type de témoignage n’a pas la prétention de « prouver », mais il a parfois la capacité de toucher.
Une croyance devient un abri. Elle protège de l’humiliation, du sentiment d’impuissance, de la solitude.
Entrer dans ce territoire, c’est refuser de réduire l’autre à ce qu’il affirme. On peut dire :
– « T’as l’air d’avoir cherché longtemps avant d’arriver à cette conclusion. Qu’est-ce qui t’a fait basculer ? »
– « Qu’est-ce que ça te permet, de croire ça ? Est-ce que des réponses que tu n’avais pas ailleurs ? »
Reconnaître un ressenti ne veut pas dire légitimer une fausse information. Cela veut dire s’adresser à la personne avant de discuter de son idée. Et dans ce cadre-là, il arrive que la croyance vacille d’elle-même, parce que l’émotion qui la soutenait a été reconnue.
3. Revenir à l’expérience vécue, plutôt qu’à la bataille des idées
Lorsque les faits sont contestés et les chiffres disqualifiés, il reste une chose que l’on peut encore partager : le vécu, le quotidien, ce que l’on a vu, ressenti, traversé. Ce terrain, parce qu’il est personnel, échappe aux procès d’intention. Il peut ouvrir une brèche.Par exemple, au lieu de dire : « Les scientifiques sont formels sur le changement climatique », on peut dire :
– « Là où j’habite, les étés sont devenus invivables, et mon père qui est agriculteur n’arrive plus à récolter comme avant. »
L’idée n’est pas de prendre l’autre de court, mais de sortir du terrain du combat idéologique, pour revenir à un espace plus humble, plus incarné. Ce type de témoignage n’a pas la prétention de « prouver », mais il a parfois la capacité de toucher.
Aujourd’hui il y a urgence à réhabiliter l’échange comme expérience humaine. Une conversation n’est pas une arène.
C’est une rencontre, même imparfaite, même momentanée. Et c’est peut-être là, dans ces frictions modestes,
que peut renaître la possibilité d’un vrai dialogue, lent, fragile, mais vivant.
Natalie Maroun et Johnny Maroun
C’est une rencontre, même imparfaite, même momentanée. Et c’est peut-être là, dans ces frictions modestes,
que peut renaître la possibilité d’un vrai dialogue, lent, fragile, mais vivant.
Natalie Maroun et Johnny Maroun
A propos de Natalie Maroun
Natalie Maroun est une experte reconnue en communication de crise et gestion de l'incertitude. Présidente du cabinet de conseil Element, elle accompagne entreprises et institutions publiques dans des situations sensibles ou dégradées. Titulaire d'un doctorat en sciences de l'information et de la communication, elle forme à l'Institut National du Service Public (INSP) et collabore avec des organisations internationales telles que l'OMS, la Banque mondiale, l'OCDE et le GIZ. Auteur prolifique, elle a participé à plusieurs ouvrages collectifs, rédigé de nombreux articles et a publié récemment La boîte à outils de la communication de crise (Dunod, 2025).
A propos de Johnny Maroun
Johnny Maroun est un consultant senior, spécialiste en communication des marques, communication de crise, communication non-violente et médiation culturelle. Il accompagne institutions, collectivités et artistes dans leurs stratégies de communication grand public. Diplômé en Publicité et en médiation culturelle, il collabore avec diverses structures, notamment dans les secteurs public et culturel.