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Fake News, mésinformation : focus sur les 'documenteurs' avec Faustine Boulay


David Commarmond
Lundi 29 Mars 2021




DC : Pouvez-vous vous présenter ?

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Faustine BOULAY, Je suis doctorante en Histoire de l’art et Egyptologie, créatrice de l’Association de Lutte contre la Désinformation en Histoire, Histoire de l'Art et Archéologie ou ALDHHAA.  Parler de désinformation en Archéologie ou en Histoire des arts est un « Sujet ancien, pas anodin avec un fond politique souvent orienté, qui à l’heure d’internet fait un bond surprenant (RS, Youtube, et depuis peu, les financements participatifs). Protéiforme, le fond demeure le même, idéologique. Avec une pensée qui alimente la défiance envers la Science et les scientifiques, et très vite, les dérives sectaires complotistes peuvent être en embuscade. »
 
DC : Quel est l’objectif de cette Association de Lutte contre la Désinformation en Histoire, Histoire de l'Art et Archéologie ?
Notre objectif est d’être un acteur intermédiaire entre le grand public et les professionnels, favoriser une vulgarisation de qualité et contrer le discours des fakes news en cultivant l’esprit critique et éviter les dérives.
 
DC : La vulgarisation scientifique est votre cheval de bataille, en quoi celui-ci est un enjeu de santé « publique intellectuelle » ?
Dans le domaine de la vulgarisation scientifique quel que soit le domaine abordé, le documentaire est un véhicule parfait. Face à un documentaire, nous sommes passifs, réceptifs, disposés au mieux pour accueillir l’information. Et la plupart du temps nous faisons confiance à ce qui est dit dans ces documentaires.
 
Avec internet, et avec le très populaire Youtube, nous avons aussi l’immédiateté, pour ne pas dire l’instantanéité. Nous avons beaucoup moins le réflexe d’attendre la diffusion sur une grande chaîne deux, trois ou quinze jours plus tard. Les créateurs de pseudo-documentaires/ documenteurs, qui reposent sur de la désinformation, l’ont bien compris et les plateformes telles Youtube sont devenues les lieux de diffusion privilégiés pour leurs créations.
 
Dans le domaine de l’Égyptologie, en tapant simplement « pyramide » sur Youtube, les premiers choix proposés sont des « documenteurs », c’est-à-dire des métrages qui reprennent les codes du documentaire, mais qui vont participer à la désinformation. C’est donc ce qui est le plus vu, et le plus diffusé auprès du public.

DC : Qu’entendez vous par « documenteur » ?

Le terme est un peu « fourretout ». A l’origine il désignait plutôt un métrage de fiction ou un canular filmé comme un documentaire, mais qui dans les dernières minutes, ou à l’occasion d’un événement thématique, dans le cas du canular démontait toute l’argumentation qu’il a développée précédemment et révélait l’entourloupe.
 
Ici, pas du tout, ce sont des films qui reprennent les codes du documentaire, qui vont se vouloir informatifs, mais à aucun moment ils n’émettront de doutes. Ils vont annoncer une pseudo-vérité, présenter des experts qui vont apporter un crédit scientifique, même si ceux-ci ne sont pas experts de la discipline ni du sujet. De l’autre côté, les consommateurs de youtube, ont un profil plutôt jeune, sensible à ce discours et donc tout acquis à ces documenteurs qui vont leur apporter « une vérité alternative ». Cela ouvre la porte, auprès de ce public, à une défiance vis-à-vis des scientifiques, vers la Science, et c’est dangereux.
 
Vous avez un exemple de « documenteur » proposant une « une vérité alternative » ?
« La révélation des pyramides » ou LRDP est pour les égyptologues et les archéologues « le pire fléau de la terre ». C’est un documentaire qui comptabilise au moment où j’écris plus de 5 millions de vues, plusieurs versions (courtes, longues, tronquées, montées différemment). Un documentaire sur Toutenkamon 1 diffusé sur Arte n’obtient pas ses chiffres là. Et LRDP, bien qu’aujourd’hui largement « débunké » et son auteur complètement discrédité2, est toujours régulièrement diffusé à la télévision, sur RMC Découverte par exemple.
 
L’explication de ce succès est que dans ces documentaires, les codes utilisés vont toucher le spectateur, pour le rendre très réceptif aux propos portés. Dans un documentaire lambda, vous avez une voix off qui explique le propos, dans le « documenteur ou pseudo-documentaire », on va prendre le parti pris d’une personne qui comme le spectateur n’est pas spécialiste du sujet et qui va être amené à faire ses « propres recherches ». On va également mettre aussi en scène, aux côtés de ce « chercheur de vérité », un ou des « spécialistes » qui, bien que ne maîtrisant absolument pas le sujet, apportent une caution scientifique malgré tout.
 
Cette quête de la vérité, aux côtés de personnes « éclairées » rejetant la « science officielle », a dans le milieu du complotisme a une résonance particulière. Et va donc faire jouer à plein le phénomène d’identification. Bien sûr il y aura aussi de l’appel à l’émotion car cela marche très bien. Et bien sûr une binarité, entre non-spécialistes opposés aux spécialistes. Les non-spécialistes, sont ceux qui n’ont pas fait d’études en histoire de l’art, égyptologie, archéologie, et ils sont nombreux. Ce qui est tout à fait normal. Dans l’autre camps, les spécialistes, sont moins sympas et présentés comme ceux qui savent mais retiennent ou cachent l’information.
 
Quelles sont les conséquences de ce type de « documenteur » ?
Cela créé une véritable défiance vis-à-vis du monde scientifique, des scientifiques eux-mêmes, dans le domaine de l’archéologie, de l’histoire, et par extension une défiance vis-à-vis de l’éducation. Car l’Histoire, c’est ce qu’on apprend à l’école et le public le plus réceptif, est celui qui est scolarisé et encore en apprentissage. Ce public va être convaincu par ses idées et ce discours, et sur lequel l’identification joue à plein. Et si on ajoute à cela un climat actuel de défiance généralisé vis-à-vis des médias, de l’autorité, de la science, on a un terrain propice pour ces documenteurs.
 
Comment y répondre ?
En archéologie, La révélation des pyramides a été débunké de nombreuses fois, par des chaînes youtube comme « Le nettoyeur de mythes », « Mr Sam », « La Tronche en Biais », « Passé recomposé », « SCAM » ... Mais si « monter une salade prend cinq minutes, la démonter prend plusieurs années ».  Car souvent le documenteur devient une part de l’identité de celui qui y croit.
 
Ce n’est pas le fruit du hasard : dans les documenteurs, la dimension de l’enchantement, du mystère, la question du nous contre eux, etc, marche très bien, surtout que beaucoup de métrages ont des qualités techniques exceptionnelles, les images sont sublimes, le scénario est bien écrit, le montage habile... tout est fait pour faire fonctionner le piège. A titre informatif, le deuxième opus de « La révélation des pyramides » a lancé une nouvelle la campagne de financement participatif, elle a recueilli pour le moment plus de 180,000 euros de dons. Ce qui peut vous donner une idée de l’engagement des personnes derrières qui vont adhérer à ces théories.
 
Est-ce que ce phénomène ne touche au final que l’archéologie ?
Le documenteur touche tous les sujets, celui qui fait l’actualité actuellement est Plandemic aux USA qui a compilé tous les fakes news, tous les complots imaginables. On a des Américains qui défilent dans les rues avec des pancartes contre le masque, le vaccin. Sa déclinaison française s’appelle Hold-up. Réalisé par un ancien journaliste de France Télévision, un ancien producteur de documentaire, ce qui promettait un travail particulièrement bien fait et crédible, il a comme chacun sait défrayé la chronique.
 
Sur Ulule la somme récoltée fut au final de 183,000 et 124,000 sur Teepee, soit plus de 300,000 en tout. Au-delà de l’argent, l’engagement des personnes qui financent ce projet est révélateur d’un certain problème. 

DC : Un mot de conclusion ?

Fake News, mésinformation : focus sur les 'documenteurs' avec Faustine Boulay
Si les gens ont envie de croire à des documenteurs parce que cela leur plaît, ou qu’ils ont envie d’accorder leur confiance à des personnes non habilités à le faire, il y a un réel souci. Il est peut-être temps de manière publique par les services publics, qu’on s’engage à produire une vulgarisation scientifique de qualité et peut-être revenir à des fondamentaux et d’expliquer comment on apprend à apprendre et comment on sait. Et finalement réapprendre aux gens à faire de la science, et d’user son esprit critique.
 
C’est ce que justement un documentaire, « Egypte, le Grand Virage », va essayer de faire. Il est prévu pour sortir dans les prochains mois, et a besoin de tout notre soutien. On peut suivre le projet via la page Facebook : https://www.facebook.com/pyramidelegrandvirage/about

Ce documentaire fait intervenir des scientifiques, des experts sur les sujets traités, il offre une réflexion sur ce que sont ces documenteurs. Il et surtout le résultat du travail d’un ancien adhérent aux pseudo-théories véhiculées dans les documenteurs archéologiques. C’est un super travail, totalement indépendant, et qui annonce ce que nous aimerions aussi voir dans notre service télévisuel publique.

Pour en savoir plus sur le projet "Le Grand Virage" https://fr.tipeee.com/documentaire-le-grand-virage/  
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