PackWeb, les chroniques

Gestion des Risques Corporate - Questions de Confiance

© Jérome Marchand




Même si elles ont intégré les principes élémentaires de la communication institutionnelle et de la communication de crise, quantité d’entreprises restent à la traîne pour ce qui concerne la gestion raisonnée de leur capital réputationnel. Ce déficit constitue une source non négligeable de troubles. Et parce que la confiance sociale représente un atout-maître dans l’environnement concurrentiel contemporain. Et parce qu’une brèche mal colmatée peut ruiner des décennies de vertueux efforts. Et parce que les thérapies d’urgence et autres réponses ad hoc n’ont qu’une portée limitée. L’ouvrage d’un enseignant universitaire allemand nous explique comment préserver cette ressource. Sans basculer dans les simplismes et les outrances paranoïaques . Et sans se fourvoyer dans les recettes semi-éventées du spin .



Information sur le livre

Daniel Diermeier
Reputation Rules
Strategies for Building Your Company’s Most Valuable Asset
McGraw Hill 2011
296 pages  
ISBN 978-0-07-176374-5

L'auteur

Daniel Diermeier enseigne à la Kellogg School of Management (Northwestern University). Il fait également œuvre de consultant pour diverses entreprises de premier plan, telles qu’Accenture, Johnson & Johnson, Kraft, McDonald’s, Shell… 

Le livre

Reputation Rules est le produit de prestations et d’expériences hétérogènes. Outre les réflexions théoriques menées par le Pfr. Diermeier, outre  les interventions et les consultations effectuées ici et là, l’ouvrage intègre plusieurs cas d’étude écrits en collaboration avec des chercheurs de qualité. Mention spéciale, dans cette direction, aux passages concernant le lancement difficile de la classe A de Mercedes-Benz, qui ont été préparés avec Astrid Marechal et qui s’insèrent naturellement dans l’ensemble.  

Le sujet

Reputation Rules explique pourquoi les entreprises globales ont tout intérêt à se préoccuper de leur réputation et comment s’y prendre pour incorporer cette ressource stratégique dans un dispositif de management – schémas d’interprétation / veilles / stratégies / processes d’implémentation – réceptif, cohérent et évolutif. 

Seuils critiques

Ce qui fait défaut ? Peut-être quelques précisions plus fournies concernant le contenu du terme « réputation ». L’une des manières d’envisager cette dernière consiste à la définir comme le jugement 1) porté sur les dispositions et les activités d’un acteur social donné, et 2) utilisé pour prédire ou expliquer ses comportements à venir (et de là se positionner soi-même par rapport à lui et à ses associés). Pour l’essentiel, Reputation Rules ne traite pas des mécanismes complexes qui président à l’attribution d’une réputation organisationnelle, bonne ou mauvaise. L’ouvrage se préoccupe plutôt des processes liminaires au cours desquels les projections, les appréciations et les représentations préexistantes se trouvent questionnées, et dont elles sortent invalidées, contestées, stabilisées ou renforcées.

A côté de la plaque

Terrae incognitae : 
A en juger par les observations glanées de ci de là par l’auteur, de nombreux dirigeants d’entreprise sont conscients des avantages que procure une réputation positive, mais peu ou prou ignorants de ce que sont ses éléments constitutifs et de la manière dont ils s’articulent ou se réarticulent en période de crise. Ce qui augmente d’autant la vulnérabilité des structures placées sous leur autorité.

Ventilateur :
Pour aider ces responsables, Reputation Rules s’applique donc à dissiper un certain nombre d’idées fausses. En même temps, le texte fournit des repères organisationnels / opérationnels susceptibles de s’appliquer dans des secteurs d’activité très variés. 

Croyances erronées :
Trop de firmes, explique le Pfr Diermeier, s’imaginent 1) qu’il suffit d’avoir de bons produits et de bonnes pratiques pour bénéficier d’une réputation positive stable, et 2) que les responsables internes en charge de la communication institutionnelle et / ou des questions juridiques sauront naturellement faire face, en cas de besoin (p.47-49). Dans les deux cas, souligne l’auteur, les entités concernées se trompent. Non seulement il faut mettre en place une politique proactive de gestion des risques, faisant appel à des spécialistes réellement qualifiés et crédibles. Mais surtout, l’environnement médiatique contemporain accroît considérablement la vulnérabilité symbolique des organisations nanties d’un capital de confiance important. Quelle que soit la qualité de leurs outputs immédiats ou lointains.

Idées fausses

« Reputation Rules » fait œuvre de démystification et prend le contre-pied de tout un lot de fausses croyances. Bref échantillon :  
 
 
  • De nombreux PDG s’estiment investis d’un capital élevé de confiance sociale. Les récents sondages Gallup réalisés aux USA indiquent qu’ils sont perçus collectivement comme à peine plus fiables que les vendeurs de voitures d’occasion, situés en bas de l’échelle fiduciaire.
  • Les tactiques d’ensablement couramment pratiquées par le personnel politique et ses spin doctors ne sont pas adaptées au monde de l’entreprise. Ce qui passe pour de la patience et de la sagesse dans la sphère étatique se constitue très rapidement en marqueur  d’incompétence dans le monde du business et sur son pourtour.
  • Une organisation confrontée à une crise réputationnelle doit comprendre ce qui est en jeu. Chercher des coupables dans ses rangs ou à l’extérieur ( les ONG, les médias, les concurrents, etc…) n’est pas une réponse adéquate et / ou suffisante. Ce qui prime, c’est de déterminer en quoi les événements en cours affectent les échanges avec les clients / les stakeholders de référence et jusqu’où ils remettent en cause le business model dominant et les schémas de fonctionnement afférents.
  • Répondre aux provocations symboliques d’une ONG protestataire par un ensemble de mesures para-militaires n’est pas une trouvaille bien judicieuse. Shell UK l’a découvert à ses dépens lors de l’affaire Brent Spar (1995). Manquant de recul et de discernement, la société pétrolière a fait le jeu de Greenpeace et subi un boycott massif en Allemagne.
  • Les fournisseurs et leurs clients organisationnels ne sont pas dissociables. Toute crise réputationnelle affectant les uns peut rejaillir sur les autres. C’est pourquoi il faut choisir ses partenaires avec soin et se séparer sans état d’âme de ceux ne présentant plus les garanties symboliques / instrumentales requises.

Sous l’œil des médias :
Selon l’auteur, deux phénomènes en particulier contribuent à fragiliser le capital réputationnel des entreprises. D’une part, les boucles d’information en continu (cycles 24/7), qui génèrent toutes sortes de réflexes sensationnalistes et qui raccourcissent en même temps les délais de réaction utile des organisations exposées à la controverse (p. 40-41). D’autre part, la montée en puissance des médias sociaux, qui donnent l’occasion aux citoyens-consommateurs de faire connaître leurs doléances au plus grand nombre (p.73-75). Sans passer par des filtres journalistiques plus ou moins indépendants et plus ou moins dignes de crédit.

Réponse structurée :
En guise de remède, Reputation Rules recommande donc d’établir un dispositif de gestion des risques réputationnels performant, c’est-à-dire 1) en harmonie avec la culture, les processes et la stratégie de l’entreprise (dans leur version constructive), et 2) apte en cas de problème grave à déclencher ou accélérer les ajustements organisationnels requis.

Torchons contre serviettes :
Rien à voir avec une banale officine de spin, animée par des rhéteurs et des menteurs plus ou moins subtils, et qui va se charger d’amortir les secousses médiatiques ou de réduire au silence les voix qui dérangent. De manière parfois expéditive. Sans s’interroger sur l’impact à long terme de ses tactiques d’obstruction. Pour être efficace, martèle Daniel Diermeier, un système de gestion des risques réputationnels doit se préoccuper du lendemain et du surlendemain. Et manifester un minimum de sophistication dialectique / conceptuelle. Travailler avec des rustres et des simplets obéissant à des logiques primaires n’est pas un gage de réussite. 

Architecture

Situations à risques :
Voilà pour le message central de l’ouvrage. Si l’on passe maintenant au découpage, Reputation Rules est divisé en 9 chapitres. Les 6 premiers passent en revue une série de situations à risques susceptibles de compromettre durablement l’image des entreprises mises en cause et expliquent comment telle équipe a su ou non déclencher les réponses appropriées. Les 2 suivants décrivent le fonctionnement idéal-typique d’un système de gestion des risques réputationnels à vocation proactive.  Quant au dernier chapitre, il utilise la chute de la maison Andersen (post Enron) pour illustrer les dégâts auxquels s’expose une structure de prestige déconnectée de son système de valeurs fondatrices et incapable d’appréhender les retombées éthico-symboliques de cette coupure. 

Plan de l’Ouvrage

Introduction – Beyond the Obvious.
Chap 1 – Thomas Off the Rails: the Decisive Moment and How to Miss It.
Chap 2 – Mercedes and the Moose: Brand Management beyond Customers.
Chap 3 – Shell Turns on the Water Cannons: The Growing Impact of the Second Circle.
Chap 4 – Of Shower Curtains and Wastebaskets: Perks, Scandals and Moral Outrage.
Chap 5 – The Katrina Chronicles:  Doing the Right Thing and Getting Credit for It.
Chap 6 – The Terminator Gene: From Outrage to Fear.
Chap 7 – Beat the Grim Reaper: Strategic Anticipation and the Management of Reputational Risk. 
Chap 8 – The Aim Team: How to Build a Sixth Sense.
Chap 9 – Andersen before the Fall: Values, Culture and the Teachable Moment.
Conclusion – The Expert Trap: Reputation, People and the Need for Strategic Thinking.

Echantillon restreint :
A contrario de ce qu’on pourrait attendre, l’ouvrage traite un ensemble limité de situations à risques : crises-produits (commercialisation de produits inaboutis, toxiques ou défectueux), protestations ciblées d’ONG activistes, scandales liés à la sur-rémunération des dirigeants d’entreprise et à la sur-facturation de certains produits exclusifs, catastrophes naturelles…Pas question pour autant de faire la fine bouche. Reputation Rules n’est pas un outil de recensement énumérant crises et recettes de gestion de crise, mais un ouvrage de réflexion, qui cherche 1) à conceptualiser les processus d’érosion fiduciaire et 2) à comprendre pourquoi telle réponse organisationnelle fonctionne dans tel contexte ou pas. 

Freinée dans son élan :
A recommander tout particulièrement le chapitre 2 de l’ouvrage, qui prend appui sur le lancement raté de la Mercedes Classe A (1997) mais qui se sert de cet exemple pour mener une réflexion de qualité sur le terrain réputationnel et les critères qui conditionnent la couverture médiatique d’un problème ou d’un incident quelconque (Importance sociétale / Intérêt de l’audience) par les différentes catégories de producteurs de nouvelles (agences de presse, journaux de référence , etc..).

Glissement de terrain :
Point non négligeable, le chapitre 2 explique pourquoi et comment les acteurs dotés de flexibilité dialectique et de subtilité interprétative parviennent à changer de terrain réputationnel et à transporter la polémique dans un espace de traitement plus favorable à leurs intérêts immédiats / différés.

VIP Transfert :
Ce type de transfert requiert une excellente coordination mais aussi une bonne dose de discernement et de créativité. Comme le montre la gestion de la crise de la classe A, l’intervention a priori anecdotique d’une célébrité étrangère aux faits mais tenue pour fiable et compétente (Niki Lauda, ex champion du monde de F1 et rescapé d’un grave accident de course) peut se révéler un atout maître (p.82-83)…Encore faut-il établir le bon casting. Et ça, c’est un art à part entière, qui demande des qualités spéciales, fort peu répandues.

Les clés de la confiance

Vox populi :
Reputation Rules contient également une série de précisions touchant aux attentes informulées de l’opinion et aux logiques qui poussent telle ou telle strate de stakeholders à manifester son mécontentement, puis le cas échéant à retirer sa confiance (et à le proclamer haut et fort).

Raison et émotion :
Pour aider les managers indécis à s’orienter, l’auteur a pris soin de recenser les facteurs-clés qui, selon lui, influencent de manière décisive les flux et reflux de la confiance sociale en période de crise. Ces facteurs d’ordre à la fois rationnel et émotionnel sont au nombre de quatre : Transparence / Expertise / Engagement / Prestations calibrées : Toujours selon l’auteur, chaque crise appelle un dosage particulier entre ces quatre éléments, en fonction des attentes qu’expriment les clients de l’entreprise / les autres stakeholders et en fonction de ce que dicte la couverture médiatique (p. 21-30). C’est pourquoi les recettes toutes faites et les tentatives de transposition mécaniques se révèlent fréquemment inopérantes.

Cercles concentriques :
Reputation Rules livre également des indications bienvenues sur les différentes catégories de stakeholders à même d’intervenir durant une crise réputationnelle et de façonner les jugements collectifs. La liste retenue dans l’ouvrage est relativement restreinte. Outre les clients de l’entreprise, elle comprend les medias et les influenceurs - ONG, activistes, politiciens - capables à tout moment de s’emparer d’un problème donné pour booster leur standing et / ou forcer le milieu d’affaires concerné à revoir ses pratiques usuelles.

Le syndrome du Piranha :
Tels que les décrit Reputation Rules, les influenceurs constituent une catégorie d’intervenant particulièrement sensible. Car ils n’obéissent pas aux critères de mise en action privilégiés ou soi-disant privilégiés par les instances administratives conventionnelles (implication vs. extranéité / culpabilité vs. innocence). Ce sont plutôt des questions de vulnérabilité stratégique et de visibilité médiatique qui déterminent leur engagement saillant sur tel ou tel dossier.


Décodages distanciés

Comprendre l’Autre :
Par-delà les processes d’identification et de cartographie, le Pfr Diermeier recommande de mener un travail approfondi de décodage sociologique et psychologique, de façon à appréhender correctement les schémas de pensée et les logiques d’action des stakeholders gravitant autour de l’entreprise (p. 3). Même si ces acteurs sont porteurs de messages défavorables, déplaisants à entendre ou dévalorisants, leurs points de vue doivent être entendus, compris et intégrés. A la fois parce qu’ils peuvent refléter des doléances légitimes ou des critiques fondées (ce qu’aucune entreprise « saine » et « réactive » ne saurait ignorer). Parce qu’ils sont constitutifs du capital symbolique de l’organisation, que celle-ci le veuille ou non. Et parce qu’ils indiquent, en période de crise aiguë, où mener ses efforts de désamorçage et de réhabilitation.

A éviter :
En contrepartie, les logiques binaires de décodage paranoïaque – cf. les grilles de contre-subversion prisées par les bureaucraties militaires et policières, avec diabolisation crypto-sacerdotale des « hérétiques » à la clé  – et les réponses musclées à dominante émotionnelle / pulsionnelle sont peu adéquates, sinon contre-productives. Car elles trahissent le plus souvent des insuffisances latentes (faiblesses dialectiques / manque de discernement / bouffées pulsionnelles / tropismes de domination / frustrations névrotiques), peu compatibles avec le statut de tiers de confiance.

Fiasco relationnel :
Shell UK l’a découvert à ses dépens lors de la confrontation qui l’opposait à Greenpeace et qui mettait en jeu le sort de la plate-forme Brent Spar, promise à un sabordage de fin d’exploitation, et désignée à tort comme un foyer de pollution étendue (p. 88-99). Croyant pouvoir déloger les activistes au moyen de canons à eau, la société britannique a exposé ses carences dialectiques et ses fragilités émotionnelles, mais aussi réveillé dans l’opinion allemande des souvenirs déplaisants (répression des protestations populaires en RDA par les mêmes techniques). Les activistes et les médias se sont immédiatement engouffrés dans la brèche.

Réponses d’experts :
De même, Daniel Diermeier attire l’attention sur les troubles susceptibles de frapper les structures qui abordent les problèmes en termes techniques, sans se soucier des craintes fondées ou infondées qui agitent l’opinion. Toyota en a fait l’expérience aux USA. N’ayant pas géré comme il le fallait l’épisode des accélérateurs bloqués, n’ayant pas su convaincre et rassurer, le constructeur japonais a enregistré un recul notable et durable de ses ventes de véhicules (p.25-27). Aujourd’hui encore, Toyota continue à payer le prix de ses erreurs d’appréciation initiales.

Apprendre à se défier de soi-même : La leçon ? Quelque part, l’auteur invite les entreprises et leurs équipes dirigeantes à s’auto-évaluer avec un minimum de distance critique. Ce que l’on perçoit en temps normal comme une force / un atout, fondant les rapports de pouvoir dans l’organisation et au-dehors, peut très bien devenir un frein cognitif en période de crise, donc susciter toutes sortes de contre-mesures (discours, tactiques, postures) inappropriées et dommageables.

Non à l’inconséquence

Le remède :
A la suite des études de cas, les chapitres 7 à  9 de Reputation Rules contiennent une série de prescriptions adressées aux dirigeants d’entreprise. Cette partie de l’ouvrage revient à plusieurs reprises sur un point essentiel, à savoir la futilité des interprétations complotistes centrées sur les menées d’ennemis effectifs / imaginaires / virtuels : « la plupart des atteintes réputationnelles ne surviennent pas à cause d’un événement extérieur ou de la malchance, mais se présentent plutôt comme la résultante directe d’actions menées par les entreprises » (p.182). A charge donc pour celles-ci d’appréhender sereinement et méthodiquement les retombées potentielles de leurs choix avant de prendre une décision d’importance.

Enjeux :
Cette politique d’évaluation anticipée présente, selon le Pfr. Diermeier, plusieurs avantages.  D’abord, elle permet de maintenir un minimum de contrôle sur les situations de crise et leur traitement médiatique.  Ensuite, elle montre que l’organisation n’est pas prise de court par ce qui survient autour d’elle. Enfin, elle permet de s’attacher des soutiens crédibles et de les faire intervenir avant que l’entreprise ne soit labellisée à grande échelle comme « nuisible » et / ou « incompétente » et / ou « peuplée de menteurs ».

Le juste prix :
Exprimés tels quels, ces conseils peuvent sembler flous. Par chance, l’auteur prend soin d’expliquer concrètement, à travers un cas d’étude centré sur le monde de l’assurance, comment une entreprise « prudente » va évaluer les risques réputationnels liés à un de ses produits, puis déterminer à partir de là quelle politique de prix paraît préférable (p. 177-203). L’exemple est parlant, car il dépasse le cadre cosmétique des rhétoriques de crise ou des argumentaires juridiques, et suggère de quelle manière les considérations d’image et de statut peuvent s’intégrer de façon naturelle aux prises de décisions opérationnelles.

L’art de viser juste

Cellule spécialisée :
Vu leurs charges courantes, les dirigeants d’entreprise et leurs proches collaborateurs ne sont pas en mesure de se consacrer à plein temps à la surveillance des conflits symboliques en gestation. C’est pourquoi Reputation Rules suggère de mettre en place une équipe de gestion proactive des risques (p. 214-223). Avec mission pour cette AIM (Anticipatory Issue Management) Team 1) d’identifier à l’avance les différents types de problèmes susceptibles d’affecter la réputation de l’entreprise , 2) de hiérarchiser ces problèmes en fonction de leur impact sur le business model et de leur potentiel de mobilisation protestataire, 3) de surveiller les processus de transition qui mènent d’un problème latent à une crise ouverte, et ce dans des délais parfois très restreints.

Destinataires : Telle que la décrit Daniel Diermeier, cette AIM Team est censée alimenter les échelons dirigeants et le conseil d’administration via un flux régulier de renseignements, mêlant signaux d’alerte et analyses calibrées. Ce qui impose un effort poussé de filtrage. Gare aux capteurs incompétents.

Du réalisme avant tout :
La notion de renseignement, dans Reputation Rules, n’a pas le sens procédurier qu’on lui prête couramment dans les appareils étatiques de surveillance. Il ne s’agit pas d’informations à diffusion restreinte acquises de manière clandestine / illégale et couvertes par un voile épais de secret bureaucratique. Ce qui prévaut, dans le monde de la gestion de crise, c’est la capacité 1) à réunir des informations fiables indiquant qu’un problème a priori mineur (faible périodicité / faibles enjeux apparents / faible visibilité) est susceptible d’avoir un impact réputationnel majeur et 2) à faire en sorte que les décideurs stratégiques soient sensibilisés à l’avance et ne paraissent pas pris de court.

Neutralisme :
Point notable, Diermeier laisse entendre qu’une AIM Team trop dépendante de la hiérarchie organisationnelle en place risque de s’aligner sur les vues de cette dernière et de tronquer les remontées d’informations destinées au conseil d’administration. C’est pourquoi il suggère d’externaliser la gestion du renseignement d’alerte (transfert vers des consultants externes), afin de limiter les distorsions volontaires / involontaires.

Remplir le réservoir

CSR :
Hors crise, Reputation Rules recommande également aux chefs d’entreprise éclairés de jouer la carte de la CSR (Corporate Social Responsibility). Avec sérieux. Ce qui implique de dépasser le stade de la gesticulation de bureau et de mettre en place des programmes et des processes relevant d’une authentique démarche progressiste. Evaluations régulières à l’appui.

Bonus :
Jouer le carte de la CSR présente plusieurs avantages. D’abord, cela contribue à créer un réservoir d’attitudes positives dans l’opinion. Ensuite, cela permet aux entreprises de se constituer des alliés utiles dans le monde des influenceurs (ONG / activistes). Surtout, cela augmente la capacité à tirer parti des opportunités environnementales et à se constituer en Sauveur, dès lors que les structures théoriquement en charge de gérer les situations critiques se révèlent, pour une raison ou une autre, incapables de s’acquitter de leurs missions premières.

Substituts compétents :
L’auteur évoque à ce sujet le méga-désastre urbain causé conjointement par l’ouragan Katrina et par l’incompétence bureaucratique (août 2005). Alors que les structures administratives de tous niveaux se montraient initialement peu concernées et / ou dépassées par les évènements, plusieurs entreprises réactives se sont mobilisées dans des délais très restreints. Mention spéciale à Wal-Mart, dont l’Emergency Operations Center a fait parvenir aux habitants de La Nouvelle-Orléans (via 2500 remorques de camions) tout un ensemble d’aides prioritaires : approvisionnements, informations, équipements de communication, abris, réserves d’énergie…Ce faisant, ajoute D. Diermeier, Wal Mart s’est constitué un réservoir d’attitudes favorables, susceptible à la fois de lui procurer un avantage compétitif durable et d’atténuer d’éventuels troubles réputationnels.


A part

Uptown :
On l’a compris, Reputation Rules n’est pas un énième livre de recettes listant une suite de crises et de contre-mesures tactiques. L’ouvrage se place dans une perspective plus large et s’adresse en priorité aux équipes dirigeantes.

Spécificité :
A la différence des textes destinés aux pros de la communication, le texte n’est pas centré sur les questions cosmétiques (postures / images / discours) mais sur les gestes concrets et les investissements fiduciaires qui conditionnent l’attribution d’une bonne réputation.
Interdit aux ballons à air chaud : Gérer la réputation de la firme que l’on dirige, souligne le Pfr. Diermeier, cela demande un investissement personnel poussé et durable. Non de simples péroraisons sans lendemain. Aux conseils d’administration 1) de s’assurer que les responsables en place s’acquittent correctement de leur mission et 2) de procéder aux remplacements qui s’imposent en cas de défaillance prononcée.

Partage :
Loin de verser dans les ruminations paranoïaques (type discours d’infoguerre), Reputation Rules fait sienne l’idée selon laquelle les entreprises ne sont pas propriétaires de leur réputation. Ce capital symbolique est dans une large mesure le fruit des jugements (justes / injustes) posés par les tiers et activés par les phénomènes de surmédiatisation. A ne jamais perdre de vue lorsqu’on décide de répondre aux doléances, aux provocations, aux critiques.

Au fil des pages


·        Un gestionnaire de risques qualifié sait faire la part des choses. Un incompétent n’arrive pas à différencier démangeaisons et infections.
 
·        Pratiquer la transparence, cela impose d’abord de parler de manière simple et accessible, au lieu de se réfugier derrière un jargon-écran.
 
·        Des excuses publiques qui apparaissent stéréotypées et dénuées de sincérité font plus de mal que de bien.
 
·        Pratiquer la politique du « no comment » n’empêche pas le public de se faire sa propre idée.
 
·        A défaut d’apporter très vite la solution à un problème, une entreprise doit établir un processus « fiable » de traitement du problème si elle veut maintenir la confiance. Les expédients biaisés ou approximatifs sont sources de troubles additionnels.
 
·        Les coups d’éclat menés par les ONG à l’encontre des entreprises font partie d’une nouvelle forme de « politique privatisée », qui n’obéit pas aux mêmes règles que la politique traditionnelle de régulation monopolisée par les administrations, les partis politiques et les parlements. Ignorer cette évolution est source de troubles d’appréciation à répétition.
 
·        Gare à la paranoïa de bureau. Une ONG activiste n’est pas tant un ennemi à combattre par tous moyens qu’un compétiteur cherchant, à travers des gestes opportunistes, à refaçonner sa réputation en même temps que celle de l’entreprise-cible.  
 
·        Si elle n’est pas en mesure de reconstituer directement son capital-confiance, une entreprise en difficulté a tout intérêt à s’assurer le support de tiers tenus en estime dans le public et à susciter un transfert de crédibilité.
 
·        Une crise aiguë conduit logiquement l’opinion à s’interroger sur les mesures de sûreté prises en amont et sur le niveau de professionnalisme de la hiérarchie organisationnelle.
 
·        Dès lors qu’un scandale dévoile la faillite de certains contrôles verticaux et latéraux, une purge élargie s’impose.
 
·        Aucune entreprise ne peut réagir sainement en période de crise si ses membres ignorent ce qu’on attend précisément d’eux.


Discrimination positive : Si l’ouvrage de Daniel Diermeier se distingue des textes usuels sur la communication de crise, c’est parce qu’il prend en compte les phénomènes de mobilisation émotionnelle très variés qui s’expriment d’une crise à l’autre. Selon que l’opinion manifeste de l’angoisse, de la peur, de la colère, de la réprobation, les logiques d’action varient. Penser en termes mimétiques, avec des schémas mécaniques reproduits d’une crise à l’autre, sans effort particulier de décodage et d’adaptation, sans réflexion poussée sur le substrat symbolique / psychologique / sociologique des événements, c’est forcément aller au-devant de graves problèmes de communication.