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Interview Audrey Knauf – Master Veille Stratégique et Organisation des Connaissances (VSOC), Université de Lorraine, Crem


David Commarmond


Audrey Knauf est maîtresse de conférences hors classe à l’université de Lorraine et chercheuse au sein de l’équipe Pixel du Centre de recherche sur les médiations (CREM). Elle est directrice du Master Veille stratégique et organisation des connaissances (VSOC), co-rédactrice en cheffe de la Revue Internationale d’Intelligence Economique (R2IE), et ambassadrice des données à l’université de Lorraine, chargée de travailler sur la science ouverte. Elle est également membre élu au Conseil national des universités (CNU 71). Par le passé, elle a mené de front plusieurs activités dans le privé et dans la recherche, en particulier au sein du NANCIE (le Centre international de l’eau de Nancy) et au sein du Loria (Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications). De 2006 à 2008, Audrey Knauf a aussi été vice-présidente et responsable du pôle Régions de l’ANAJ-IHEDN (l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale), aujourd’hui appelée IHEDN Jeunes. Enfin, elle collaboré à de nombreux ouvrages et rédigé des articles pour des revues universitaires tant françaises qu’internationales. Elle est l’auteure de l’ouvrage : les dispositifs d'intelligence économique : compétences et fonctions utiles à leur pilotage, publié en 2010 et ayant reçu le Prix du Jury CED-3AF, parrainé par le cercle Turgot.



DC : Depuis quand votre Master existe t-il ?

AK : Le Master  (VSOC) a ouvert en 2018, il est issu du Master IST-IE (information scientifique et technique – intelligence économique) créé à la fin des années ’90 par le Pr. Amos David.

DC : Depuis quand êtes-vous responsable de ce Master ?

AK  :  Depuis 2018 en tant que co-responsable et depuis 2022 en tant que responsable pour les deux années.

POUVEZ VOUS LE DÉCRIRE EN QUELQUES LIGNES ?

AK  :  Le Master VSOC est un parcours-type du Master Information-Communication de l’Université de Lorraine, et adossé au laboratoire Crem (Centre de recherche sur les médiations). Sa capacité d’accueil est de 18 étudiants par année, dont la plupart provient d’une licence infocom et plus largement des SHS. Il est ouvert à l’alternance et s’appuie sur une équipe d’enseignants chercheurs et d’intervenants issus du milieu socio-économique local, national et international. En effet, 50% des enseignements sont professionnalisants. Le Master accorde également une place importante à la recherche, menant à la réalisation d’un mémoire dont l’objectif est d’apporter une dimension réflexive aux pratiques professionnelles.
 
Les enseignements fondamentaux du Master VSOC répondent à deux facettes essentielles de l’IE. La première porte sur l’information avec la veille stratégique, la gestion des risques (sur le versant sécurité de l’information et gestion de crise), l’ingénierie des connaissances, l’analyse et la visualisation des données. La seconde repose sur la communication avec l’animation de communautés, la stratégie et conception web. Le tout dédié à la gestion de projet en intelligence économique et territoriale. Ce double ancrage information/communication en fait sa force et permet aux étudiants d’appréhender le marché de l’emploi avec une diversité de compétences qui les rend polyvalents et adaptables.

DC : QUELLE EST VOTRE MOTIVATION À DIRIGER UN MASTER EN IE ? EXISTE-IL UNE FORME DE RECONNAISSANCE POUR CETTE RESPONSABILITÉ ?

AK : Ma motivation repose sur mes convictions. J’aime mon métier et la discipline dans lequel il s’inscrit. Je suis convaincue de son intérêt et de son caractère essentiel. Je reste insatisfaite parce que nous manquons de reconnaissance pour faire valoir notre discipline. Nous nous sentons parfois isolés, par le caractère justement singulier de l’IE qui la place « à part » tant à l’université, que dans la plupart des laboratoires de recherche. Au sein de la revue internationale d’intelligence économique (R2IE), nous tenons à valoriser les travaux de recherche de la discipline, à rendre visibles les travaux d’étudiants méritants, mais aussi à dédier un espace de publications pour des praticiens dont les missions quotidiennes touchent de près ou indirectement à l’IE.
 
C’est aussi cette dimension recherche et sa valorisation qui me conforte dans l’utilité de mon métier et me permet de faire le lien avec le Master. Enfin, diriger ce diplôme me conduit à initier chaque année de nouveaux projets, de conclure des partenariats, d’être partie prenante dans des évènements de grande envergure, comme celui de Cyberhumanum Est par exemple, etc… Nous avons cette chance d’avoir carte blanche lorsqu’il s’agit de faire vivre nos formations. Cette liberté d’exercer, ça n’a pas de prix…

DC : Rencontrez-vous des difficultés quant à sa gestion ?

AK : Un premier constat est lié au fait que l’IE est considérée comme une discipline de niche et cela se vérifie à deux échelles : celui de la difficulté à attirer des étudiants qui en ont une méconnaissance ou des a priori, et celui du manque de (re)connaissance par le tissu socio-économique en dehors des grands groupes qui sont déjà dotés d’une cellule de veille et/ou d’IE ou de certaines entreprises/start up qui en ont compris l’intérêt. Je trouve effarant qu’il y ait encore aujourd’hui des organisations publiques et privées qui ne mesurent pas l’utilité de l’IE ou de la veille. Ce phénomène n’incite pas les étudiants à candidater dans nos formations, surtout en province. C’est un fait, 80% des offres sont concentrées en région parisienne.
 
Un second constat est lié à la communication : l’université publique manque aussi de moyens pour communiquer sur ses filières diplômantes, à la différence de formations privées et d’écoles qui accordent un budget conséquent à la communication et à la promotion. Ceci impacte forcément sur les candidatures des étudiants et sur la perception que l’on peut avoir de l’ESR. En tant que responsable de diplôme, j’effectue en grande partie ce travail de communication, en plus de la gestion « classique » du Master.
 
C’est un travail important qui s’ajoute à mon métier de chercheuse et d’enseignante. Mener de front ces différentes missions se révèle souvent fastidieux. D’autant plus que les lourdeurs et injonctions administratives ne cessent de s’intensifier, alors que le temps n’est pas extensible. Mais cette tendance n’est pas propre à ce métier….
 
- Ces difficultés se sont-elles amplifiées avec le temps ?
AK :  Oui malheureusement, dû notamment à la baisse des moyens qui se font ressentir sur les emplois, et à une diminution de thèses soutenues dans le domaine qui peut s’expliquer par une dynamique politique nationale qui peine à se manifester pour faire rayonner la discipline. Gageons que la proposition de loi de la sénatrice Marie-Noëlle LIENEMANN soit adoptée puis promulguée…



DC : Auriez-vous des recommandations et/ou souhait pour améliorer ces difficultés ?

AK :  En 3 mots  légitimer, communiquer et pérenniser. Il faut surtout acculturer à l’IE dès le lycée. Pour exemple, nos étudiants qui arrivent en licence infocom n’ont qu’une vision très étroite de la discipline. Pour beaucoup, l’infocom se réduit au journalisme ou encore, à la publicité. Accentuer la formation des personnels en charge de l’orientation des lycéens sur la diversité des métiers auxquels préparent nos Masters (qui reposent sur les licences…) apporterait beaucoup.

Pourquoi ne pas aussi intégrer une sensibilisation à l’IE dans le programme de terminal. Il me semble aussi qu’Il y aurait nécessité à porter et à valoriser davantage les SHS dans lesquelles s’inscrit l’IE, au même titre que les autres Sciences.
 
Enfin, et j’insiste sur ce point, il faut un élan politique au niveau national, pour espérer une répercussion en local. Je perçois toutefois ces derniers temps le signe de nouvelles initiatives menées en région Grand-Est.

DC : Que pensez-vous du nouveau mode de recrutement via la plateforme monmaster ?

AK : Nous essuyons les plâtres. Un certain nombre de candidatures a disparu dans la nature, d’autres se sont engagées pour finalement se désister au dernier moment pour de multiples raisons, dont celle de rejoindre une formation privée. On nous avait promis une rationalisation des procédures et l’assurance de connaître nos effectifs en juillet.

Ce que l’on a finalement découvert c’est que la plateforme ne garantit en rien le fait que le candidat viendra finalement s’inscrire dans votre Master. Ceci a poussé beaucoup d’universités à lancer une seconde session d’admission.
 
D’un autre côté, ce sont des étudiants qui se sont retrouvés sans aucune acceptation, malgré le nombre conséquent de voeux. Comme toute nouveauté, il y a des ratés. Des réajustements sont prévus pour la prochaine rentrée. Espérons que ce soit plus efficient pour tout le monde.

DC : Comment voyez-vous l'avenir de votre Master et celui plus largement de l'ESR dans le public ?

AK : L’avenir de l’ESR me préoccupe, avec notamment le gel des moyens et donc de recrutements d’enseignants-chercheurs et de personnel d’appui, alors que le nombre d’étudiants (en licence) ne baisse pas. Il y aurait beaucoup à dire, mais cela ferait l’objet d’une autre tribune. Quant à l’avenir du Master VSOC, je ne saurais dire puisque nous entrons dans une nouvelle offre de formation à la rentrée 2024 et que nous refusons d’adhérer au jeu des classements des Masters.
 
S’il y a une impulsion politique au niveau de l’université sur les formations en IE, alors je serai plutôt confiante. Si nous continuons à rester dans la (pén)ombre, cela risque d’être de plus en plus compliqué. Je compte sur une prise de conscience venant de tous les milieux (académique, politique et socio-économique).

Biographie d'Audrey Knauf

Audrey Knauf est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine, et chercheuse au Centre de recherche sur les médiations (Crem). Elle est directrice du Master Veille stratégique et organisation des connaissances (VSOC), co-rédactrice en cheffe de la Revue Internationale d’Intelligence Economique (R2IE), et ambassadrice des données à l’université de Lorraine, chargée de travailler sur la science ouverte. Elle est également membre élue au Conseil national des universités (CNU 71).
 
Ses travaux de recherche portent notamment sur les pratiques info-communicationnelles déployées au sein de territoires donnés : qu’ils soient académiques ou socio-économiques. Elle y interroge les processus et la gouvernance informationnelle, ainsi que les dispositifs sociotechniques pour l’intelligence territoriale.

Lien vers la l'interview au colloque A3F