
Les États-Unis de Donald Trump semblent agir dans une incohérence apparente.
Après avoir cru, à tort, pouvoir résoudre les plus graves crises de la planète en quelques jours pour entrer dans l'Histoire comme artisan de la paix, le président américain exige aujourd'hui une "reddition inconditionnelle" de l'Iran, tout en n'ayant pas encore décidé s'il s'engagera ou non dans la guerre aux côtés d'Israël. Une posture ambiguë, alors même que les bases américaines dans le Golfe sont renforcées et que la machine militaire s'active.
Les derniers rapports des services de renseignement américains et de l'AIEA dressent un tableau complexe.
Malgré les accusations, l'Iran n'était pas en mesure de fabriquer une arme nucléaire avant l'offensive israélienne du 12 juin. Mais les soupçons sur l'enrichissement de l'uranium et les réticences de Téhéran à coopérer pleinement avec les inspecteurs ont suffi à offrir à Tel-Aviv un prétexte.
Aucune preuve d'un programme structuré renouvelé n'aurait été trouvée, et pourtant ...
Trois des quatre sites concernés faisaient partie, selon l'AIEA et les agences de renseignement américaines, d'un programme nucléaire militaire coordonné par l'Iran jusqu'en 2003. Bien que des expériences isolées aient pu se poursuivre, aucune preuve d'un programme structuré renouvelé n'a été trouvée.
Mais un paradoxe subsiste : tandis que l'Iran est soumis à des inspections rigoureuses, Israël n'a jamais permis à l'AIEA d'inspecter son site nucléaire de Dimona — soupçonné d'abriter environ 200 ogives — et refuse toujours de signer le Traité de non-prolifération nucléaire, contrairement à l'Iran.
Une étude récente de l'Institute for Science and International Security montre que l'Iran aurait déjà produit ses premiers 25 kilos d'uranium hautement enrichi (WGU) à Fordow, quantité suffisante pour une ogive. En combinant les capacités de Fordow et de Natanz, l'Iran pourrait accumuler en un mois suffisamment de matière fissile pour 11 bombes, et jusqu'à 22 en cinq mois.
La weaponization — c'est-à-dire la transformation en ogives opérationnelles — pourrait déjà être en cours.
Course contre la montre
Trump, selon CBS News, aurait reçu des briefings confidentiels recommandant la destruction du site de Fordow. Ce site, enterré dans la montagne, est quasiment imprenable avec des armes conventionnelles. Israël, seul, ne peut pas le détruire. D'où l'appel de Netanyahu à une "aide extérieure".
La réponse de l'ayatollah Khamenei, publiée sur X, ne s'est pas fait attendre : "L'arrivée des Américains aux côtés du régime sioniste prouve leur faiblesse." Pour l'Iran, l'attaque israélienne est moins un acte de force qu'un aveu : Israël sent que le monopole régional de la dissuasion nucléaire est en train de s'effriter.
Selon la CNN, un rapport confidentiel dirigé par Tulsi Gabbard, à la tête du renseignement américain, affirme que l'Iran est encore à au moins trois ans de la mise au point d'une arme nucléaire opérationnelle. Les frappes israéliennes auraient endommagé Natanz mais laissé Fordow intact.
Or, c'est là que réside désormais le cœur du programme nucléaire iranien.
Une stratégie du chaos.
Certains analystes estiment même que les frappes pourraient pousser l'Iran à accélérer sa marche vers la bombe. Le professeur Foad Izadi, de l'université de Téhéran, l'a résumé ainsi : "Si l'Iran avait eu la bombe, 500 civils ne seraient pas morts." La pression populaire monte, et la confiance envers un futur accord avec Washington s'évapore.
Les divergences entre États-Unis et Israël, jusqu'ici contenues, éclatent désormais au grand jour. Les services partagent les données mais divergent dans les conclusions. Gabbard, dans son rapport, réaffirme que "la République islamique n'a pas relancé son programme d'armement".
Trump, pourtant, écarte ces évaluations. "Ils sont à quelques semaines de l'avoir", affirme-t-il — contredisant ainsi à la fois ses propres agences et l'AIEA. Rafael Grossi, directeur général de l'agence onusienne, a été très clair : "Aucune preuve d'un effort systématique pour fabriquer une arme nucléaire n'a été trouvée."
Pourquoi alors tant d'insistance ? Pourquoi construire un récit d'urgence ?
Parce que, selon Foad Izadi, le véritable objectif est la destruction de la République islamique. Comme en Libye, il s'agirait de faire tomber le pouvoir, démanteler les institutions, et provoquer un effondrement. Une stratégie du chaos.
Nouvelle course à l'armement nucléaire
Mais les précédents historiques sont accablants. Afghanistan, Irak, Libye : autant de régimes renversés au prix de décennies de violence, d'instabilité régionale, de terrorisme globalisé. Appliquer cette logique à la Perse serait ouvrir les portes de l'enfer sur le Golfe et l'Asie centrale.
Et avec quelles conséquences ? Le risque est de précipiter une nouvelle course à l'armement nucléaire. La Corée du Nord, en devenant puissance atomique, est devenue intouchable. Un précédent que Téhéran observe attentivement.
Le SIPRI et le CNA avertissent : les frappes contre l'Iran pourraient pousser d'autres pays — Arabie saoudite, Turquie, Égypte — à chercher la bombe. Même les alliés de Washington pourraient reconsidérer la valeur de ses garanties sécuritaires et vouloir leur propre dissuasion.
Dans ce contexte, la question "bombe ou pas bombe ?" perd tout son sens. La guerre est déjà là. Et il ne s'agit plus d'empêcher une arme. Il s'agit d'abattre un État. À tout prix.
Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE).
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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