Acteurs

L'Evaluation des pratiques d’Intelligence Compétitive dans le monde


David Commarmond


Le 22 Janvier 2015, à l'IAE de Paris (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), s'est tenue la 115ème conférence du Club IES présidée par Jérôme Bondu et animée par Christophe Bisson sur le thème de « L'Evaluation des pratiques d’Intelligence Compétitive dans le monde».



Christophe Bisson est Président du comité de direction de Internationally Accepted Marketing Standards, et Vice-Président de International Institute of Marketing Professionals  (représentant plus de 192 pays). Il exerce à travers le monde en tant que consultant en Intelligence Compétitive (voir http://www.strategic-warnings.fr ) et dans divers programmes de master et doctorat. Il a été précédemment Attaché de Direction d’Automa-tech en charge de l’Intelligence Economique (entreprise qui a reçu le prix SCIP/ IDT « Action d’Intelligence Economique»).

- Il est titulaire d’un doctorat en Intelligence Economique, l’auteur du « Guide de gestion stratégique de l’information pour les PME  » paru en 2013 et articles publiés dans des journaux scientifiques internationaux majeurs.

Christophe Bisson en abordant le thème de « L'Evaluation des pratiques d’Intelligence Compétitive dans le monde  » s'est lancé un défi, devant une assemblée d’une quarantaine de personnes, professionnels pour la plupart du secteur et quelques étudiants. Pendant près de 2 heures, il étaya sa démonstration puis il répondit avec précision aux nombreuses questions.

En effet, le constat que dresse Christophe Bisson est le deuxième constat sorti depuis 2008 qui était déjà très critique sur la pratique de l'Intelligence Economique dans les petites et grandes entreprises. Ce second travail apportant un nouvel éclairage sur la pratique de l'IE en France en la comparant à d'autres pratiques culturelles telles que Chine, Turquie, Japon, Russie, Allemagne. Il souligne et confirme pour l'essentiel les points faibles déjà connus. Mais au-delà, il replace en perspective les différents éléments constitutifs de l'intelligence économique.

Son étude basée sur une vaste collecte au niveau mondial de documents scientifiques et professionnels dans diverses langues sur le sujet évalue qualitativement 5 points :

  • L’image de l’Intelligence Compétitive (IC)

  • Pratiques en entreprise en IC

  • Education et Recherche en IC

  • Intervention de l’Etat pour développer l’IC

  • Intelligence Collective

  1. Une discipline vitale qui cumule les handicaps et suit des étapes

Intelligence économique, une discipline qui a mauvaise presse. Issue de la guerre froide, par certaines de ses méthodes, elle est souvent assimilée à de l'espionnage. La première génération d'acteurs en était directement issue et utilisait les méthodes qu'elle y avait apprises. Cette génération disparaît peu à peu du marché pour laisser place à des gens formés aux pratiques en entreprise, en même temps que s'éloigne de notre mémoire la chute du mur de Berlin (1989) et la chute de l'union soviétique (1992). En parallèle, s'organisait la définition d'un nouveau cadre, comme le rapport Martre de 1994, qui propose une définition de l'intelligence économique qui inclut la veille, le lobbying et la sécurité (Claude Revel, 2010). Cette définition est unique au monde et intègre des usages dits offensifs et défensifs de l’information alors que dans les autres pays, l’Intelligence compétitive est dédiée uniquement à la décision économique.

Ces différentes tentatives, peinent cependant à s'enraciner dans la culture managériale et demeure marginale en France. En effet. Si Henri Martre et Bernard Carayon, pour ne citer que ces deux acteurs principaux ont donné une définition, ce n'est pas moins de 116 définitions qui sont recensées en France. 116 définitions qui ne font pas consensus. De nombreuses questions demeurant dans la pratique sans réponse satisfaisante. Déterminer la bonne personne, le bon moment au sein de l'entreprise est vendeur, mais relève plus du marketing que de la réalité. Elle est beaucoup plus subtile et complexe qu'il peut y paraître.

Les difficultés d'appropriations de l’IE ne sont pas propres à notre contexte national. Et c'est là tout l'intérêt de l'étude, c'est que cette appropriation n'est pas forcément beaucoup mieux ailleurs qu’en France (notamment dans les pays émergés tels que le Brésil ou l’Inde) et que son appropriation suit des étapes. Cette appropriation est fortement corrélée à l'histoire, au système éducatif et la culture du pays.

 

  1. Comparaison entre la France, le Japon, Allemagne, Royaume-Uni et USA

Si l'Allemagne au niveau national ne propose pas de concept d’IC, elle délègue au niveau des landërs beaucoup d'initiatives et de pouvoir. Cette approche s'expliquant par son histoire récente issue de la 2ème Guerre Mondiale qui n'est pas complètement digérée par les institutions et la population. La dynamique se reporte au niveau des landërs, qui crée une forte Intelligence collective entre les banques, les groupes de l’industrie et les assurances.

Le Royaume-Uni fait appel à des acteurs privés et à quelques acteurs publics dans le domaine qui sont fréquemment évalués afin d’optimiser la dépense publique. Christophe Bisson a appuyé l’importance de l’évaluation des services publics pour éviter d’être dans “l’espace” et s’assurer d’un effet levier de l’argent prélevé sur les citoyens et entreprises.

Les Usa ont un faible engagement public en IC et l’initiative est laissée aux acteurs du privé. L’excellence de la recherche et de l’éducation a été soulignée et de nombreuses disciplines intègrent l’IC telle que la stratégie, le marketing et la gestion des systèmes d’information.

Le Japon possède une très forte culture de l’information, de la connaissance, de sa recherche et son partage ainsi que de la surprise stratégique. Il est très surprenant d’apprendre que très peu de professionnels de l’information existent ainsi qu’il y a peu de personnels ayant reçu une formation spécialisée. Mais en ont-ils besoin, si pour eux cela est une seconde nature ?

 

La place de la France par rapport à ces pays est :

Négatif : la pire en matière d’image, d’Intelligence Collective et des pratiques des PME.

Positif : la meilleure concernant le nombre de programmes spécialisés et quantité de recherche dans le domaine avec les USA. La meilleure avec le Japon concernant l’Intervention de l Etat.
 

Enfin, l'arrivée des nouvelles technologies, le degré d'ouverture des pays à l'internet, qui n'est pas homogène sur tous les territoires accroît les disparités concurrentielles et influence déjà la collecte d'informations commerciales dans le cadre des benchmarkings. Que dire alors du Big data, de l'Open data qui sont encore émergeant en Europe.

Christophe Bisson a mis en avant que la France devait développer des filtres « intelligents » (telle que ceux des Systèmes Stratégiques de Signaux Précoces ®) pour faire face au Big data car les algorithmes informatiques ne pourraient suivre l’évolution des données ou de façon cloisonnée et ciblée et non systématique.

 

  1. Conclusion : Ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain

Christophe Bisson appelle les professionnels et les institutions à continuer l'évangélisation et garder confiance en l'avenir. De rejeter l'envie peut-être un peu trop prompte que nous avons de « jeter le bébé avec l'eau du bain » et de s'adonner au french bashing. D’ailleurs, il a souligné que même dans des pays anglo-saxons, beaucoup de professionnels auraient souhaité que leur Etat s’engage autant qu’en France. L’initiative était donc remarquable.

Il souhaite apporter une pierre à l'édifice et suggère quelques modifications et met en avant le déficit de l’Intelligence Collective Compétitive des organisations françaises. De plus, il mentionne que nous continuons de croire que « Intelligence » veut dire renseignement en anglais. Ce qui est vrai pour la société de l’information. Hors, nous sommes passés à une ère plus avancée ou « intelligence » veut dire création de connaissances. Il faut donc passer à la société de l’intelligence.

  

Ses propositions :

La base, c’est la défense : Gilbert Chastre (ancien responsable de la DST dans le Sud-Est) en 2000, pensait que l’Intelligence Economique était de la Sécurité Economique Active. Christophe Bisson soutient cette vision et propose donc « de garder l’IE comme proposé mais avec une veille seulement défensive (et donc non plus aussi offensive) i.e. de collecter de façon continue et ciblée, analyser et diffuser l’information pour se protéger ».

En effet, comme évoqué par Alain Juillet en 2012, la mission de l’Etat est de s’occuper de ses secteurs stratégiques qui sont la défense et la sécurité. Ainsi, mélanger le défensif et l’offensif ne peut résulter que sur la domination écrasante du défensif sur l’offensif (chose évidente en France). De plus, avec les agressions croissantes en matière d’espionnage, il faut donner la place qu’elle mérite à notre sécurité économique nationale. La partie offensive doit être aussi émancipée en étant donc détachée de l’IE et il propose donc que l’Etat développe séparément un autre concept : l’Intelligence Collective Compétitive (voir proposition 2).

  

Proposition 1 : Afin de renforcer notre sécurité économique, l’Intelligence Economique se concentre sur la veille défensive, lobbying et sécurité.

 Louis Gallois dans son rapport en 2012 soulignait « notre déficit en Intelligence Collective ». Christophe Bisson propose des solutions pour pallier à cela et à des fins compétitives.

Afin d’aider les entreprises à innover davantage, exporter et anticiper, il souligne l’importance de développer le partage de l’information et de la connaissance dans les entreprises et autant que possible entre les différents acteurs afin d’être plus compétitif et concurrencer notamment les Landërs allemands. Il souligne d’ailleurs que le Japon et l’Allemagne où l’Intelligence Collective est élevée sont des champions de l’innovation et de l’export. Même nos grands groupes sont considérés comme moins compétitifs en Chine que les Allemands par exemple car ils viennent eux avec leurs fournisseurs, qui sont des PME et ETI, ce que ne font pas les grands groupes français.

De plus, il met en avant l’importance des signaux précoces basés sur un travail stratégique amont pour permettre d’anticiper les événements et aussi la mise en place de simulateurs stratégiques (pour plus d’informations voir www.strategic-warnings.fr ). Ces simulateurs stratégiques permettraient d’éprouver les plannings stratégiques, les stratégies ou tactiques des entreprises ou lors d’investissements lourds et donc risqués qui pourraient les mener à des Austerlitz plutôt qu’à des Waterloo.

 

Proposition 2 : Développer l’Intelligence Collective Compétitive par la veille sur signaux précoces, créer des structures de Knowledge Management élargie, alliant l'interne aux partenaires de l'entreprise, qu’ils soient privés ou publics) et travailler sur des simulations stratégiques.

Au lieu d’avoir pléthore de formations dans le domaine, il propose d’intégrer automatiquement à tous les cursus universitaires pas seulement les aspects veille, sécurité économique et lobbying mais aussi Knowledge Management (interne et entre acteurs économiques).
 

Proposition 3 : Intégrer à tous les cursus universitaires des cours de veille, sensibilisation au KM et sécurité économique.

En ce sens la volonté d'intégrer des cours de sensibilisation dès la première année post-bac va dans le bon sens.

Enfin, dans le but de développer l’importance de l’information, le partage de celle-ci ainsi que de la connaissance, la solidarité nationale, travaux des le plus jeune âge a l’école. L’exemple japonais démontre l’efficacité de tels travaux dans la performance économique d’un pays.

 

Proposition 4 : Systématiser des recherches d’informations ainsi que les travaux en groupe pour favoriser l’apprentissage collectif et le partage de connaissances des le plus jeune âge. Renforcement de l’identité nationale.

Il a la certitude que les résultats seraient rapides, tangibles et aideraient la France dans sa reconquête des marchés internationaux et dans la protection de ses intérets économiques.