
L'Intelligence Économique, forgée durant la guerre froide et formalisée dans le Rapport Martre il y a trois décennies, n'a pas été conçue pour faire face au tumulte informationnel caractéristique du XXIème siècle, marqué par l'essor d'internet et la prédominance des algorithmes.
En complément, la méthode Ben-Israel - issue de ses recherches doctorales sur "la surprise stratégique provoquée par la Guerre du Yom-Kippour, suite à l'échec du renseignement à analyser l'information disponible" - offre une alternative aux cadres d'analyse désormais obsolètes (notamment dans la qualification des sources et des informations). Cette approche pourrait se substituer aux méthodes structurées traditionnelles toujours enseignées, dont la fiabilité a été remise en question par plusieurs études universitaires dans le domaine du renseignement."
En complément, la méthode Ben-Israel - issue de ses recherches doctorales sur "la surprise stratégique provoquée par la Guerre du Yom-Kippour, suite à l'échec du renseignement à analyser l'information disponible" - offre une alternative aux cadres d'analyse désormais obsolètes (notamment dans la qualification des sources et des informations). Cette approche pourrait se substituer aux méthodes structurées traditionnelles toujours enseignées, dont la fiabilité a été remise en question par plusieurs études universitaires dans le domaine du renseignement."
Un protocole mis à l’épreuve
L’enchaînement des premières frappes israéliennes du 13 juin 2025 contre le complexe d’enrichissement de Natanz, et des deux premières ripostes balistico-dronique iraniennes dans la nuit suivante qui ont conduit à l’activation immédiate des mécanismes de crise de l’AIEA fournit un cas d’école pour apprécier, in situ, la robustesse de la « méthode de confirmation par tentative d’infirmation » telle qu’elle fut formalisée par I. Ben-Israel dans Philosophie du renseignement (1999).
L’enjeu consiste à démontrer qu’un protocole reposant sur (1) la collecte exhaustive de faits qui n’ont pu être contestés, (2) la formulation d’hypothèses provisoires, puis (3) la recherche active de nouveaux faits tout aussi indiscutables destinés à détruire ces hypothèses, demeure opératoire dans une crise contemporaine saturée de flux informationnels concurrents ; plus encore, la même procédure peut s’appliquer – ironie assumée – au propos méthodologique de son propre concepteur.
L’enjeu consiste à démontrer qu’un protocole reposant sur (1) la collecte exhaustive de faits qui n’ont pu être contestés, (2) la formulation d’hypothèses provisoires, puis (3) la recherche active de nouveaux faits tout aussi indiscutables destinés à détruire ces hypothèses, demeure opératoire dans une crise contemporaine saturée de flux informationnels concurrents ; plus encore, la même procédure peut s’appliquer – ironie assumée – au propos méthodologique de son propre concepteur.
Étape 1 : isoler les faits de référence
Identification des faits « inattaquables ».
Pour l’attaque israélienne, la conjugaison des télémesures de la constellation Sentinel-1, des alertes sismiques iraniennes et du message NOTAM D0423/25 émis par l’Iran Civil Aviation Organisation établit l’heure, la zone et la cinétique de l’opération. À l’instant où ces données convergent, elles deviennent inaptes à être raisonnablement infirmées : elles entrent dans la catégorie des « faits de référence ».
Le même raisonnement vaut pour la riposte iranienne : comptage radar publié par l’IDF, images thermiques recueillies par le satellite américain SBIRS, bilan médical consolidé par Magen David Adom.
Peu importe que la narration politique diverge ; l’empreinte physique, technique ou administrative de chaque événement verrouille la donnée.
Pour l’attaque israélienne, la conjugaison des télémesures de la constellation Sentinel-1, des alertes sismiques iraniennes et du message NOTAM D0423/25 émis par l’Iran Civil Aviation Organisation établit l’heure, la zone et la cinétique de l’opération. À l’instant où ces données convergent, elles deviennent inaptes à être raisonnablement infirmées : elles entrent dans la catégorie des « faits de référence ».
Le même raisonnement vaut pour la riposte iranienne : comptage radar publié par l’IDF, images thermiques recueillies par le satellite américain SBIRS, bilan médical consolidé par Magen David Adom.
Peu importe que la narration politique diverge ; l’empreinte physique, technique ou administrative de chaque événement verrouille la donnée.
Étape 2 : fabriquer des hypothèses jetables
Elaboration d’hypothèses.
À partir de ces « faits de référence », trois hypothèses prioritaires sont formulées.
H1 : Israël vise à retarder l’atteinte du seuil d’armes nucléaires par Téhéran ;
H2 : la manœuvre est conçue comme une expérimentation tactique pour valider la prochaine couche laser (« Iron Beam ») du système antimissiles ;
H3 : il s’agit essentiellement d’un signal de dissuasion destiné aux États du Golfe, membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), en l’absence de garanties américaines plus explicites.
Conformément à la procédure, aucune de ces hypothèses n’est considérée vraie ; elles ne sont que des échafaudages logiques promis à la destruction.
À partir de ces « faits de référence », trois hypothèses prioritaires sont formulées.
H1 : Israël vise à retarder l’atteinte du seuil d’armes nucléaires par Téhéran ;
H2 : la manœuvre est conçue comme une expérimentation tactique pour valider la prochaine couche laser (« Iron Beam ») du système antimissiles ;
H3 : il s’agit essentiellement d’un signal de dissuasion destiné aux États du Golfe, membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), en l’absence de garanties américaines plus explicites.
Conformément à la procédure, aucune de ces hypothèses n’est considérée vraie ; elles ne sont que des échafaudages logiques promis à la destruction.
Étape 3 : falsifier sans relâche
Recherche d’éléments de réfutation.
L’activation, le 14 juin, du radar Green Pine B situé à Ein Shemer et l’allocation de 140 millions de shekels à la livraison accélérée de batteries Iron Beam constituent deux nouveaux « faits infalsifiables ». Ils infirment partiellement H1 (l’objectif d’entrave nucléaire n’implique pas forcément un déploiement antimissiles national élargi) tout en renforçant H2. À l’inverse, l’absence d’une communication offensive vers le CCG atténue la force probante de H3.
Ici, le processus de falsification ne se contente pas de hiérarchiser les hypothèses ; il les reconfigure en continu.
L’activation, le 14 juin, du radar Green Pine B situé à Ein Shemer et l’allocation de 140 millions de shekels à la livraison accélérée de batteries Iron Beam constituent deux nouveaux « faits infalsifiables ». Ils infirment partiellement H1 (l’objectif d’entrave nucléaire n’implique pas forcément un déploiement antimissiles national élargi) tout en renforçant H2. À l’inverse, l’absence d’une communication offensive vers le CCG atténue la force probante de H3.
Ici, le processus de falsification ne se contente pas de hiérarchiser les hypothèses ; il les reconfigure en continu.
La méthode appliquée sur son créateur
La séquence se prolonge lorsque les données radiologiques transmises par les balises de Natanz à l’AIEA confirment une contamination négligeable. Cette mesure invalide l’argument iranien selon lequel « une catastrophe nucléaire régionale » était en cours.
Simultanément, le jugement du professeur Ben-Israel selon lequel « le résidu d’échec des systèmes antimissiles crée un dilemme insoluble pour la défense civile » est, pour l’instant, corroboré : malgré un taux d’interception supérieur à 90 %, trois victimes israéliennes suffisent à illustrer la fragilité psychologique du dispositif. En poussant l’exercice jusqu’au bout, le même protocole d’infirmation pourrait un jour ruiner la promesse tactique du laser – par exemple si des données futures démontrent une incapacité systémique à gérer des nuées de drones à basse signature radar.
Autrement dit, la méthode tourne son scalpel critique contre son propre théoricien, démonstration circulaire de son impartialité.
Simultanément, le jugement du professeur Ben-Israel selon lequel « le résidu d’échec des systèmes antimissiles crée un dilemme insoluble pour la défense civile » est, pour l’instant, corroboré : malgré un taux d’interception supérieur à 90 %, trois victimes israéliennes suffisent à illustrer la fragilité psychologique du dispositif. En poussant l’exercice jusqu’au bout, le même protocole d’infirmation pourrait un jour ruiner la promesse tactique du laser – par exemple si des données futures démontrent une incapacité systémique à gérer des nuées de drones à basse signature radar.
Autrement dit, la méthode tourne son scalpel critique contre son propre théoricien, démonstration circulaire de son impartialité.
Leçons pour l’analyste
Quatre conclusions s’en dégagent.
Primo, la distinction entre fait potentiellement réfutable et fait irréfutable demeure un travail d’OSINT même dans un environnement informationnel dense ; elle exige seulement la pluralité des capteurs et la traçabilité des chaînes de mesure.
Secundo, l’édifice hypothétique gagne en finesse à chaque cycle de réfutation, tandis que les hypothèses non invalidées restent par définition provisoires.
Tertio, l’efficacité analytique ne tient pas à l’autorité d’une source ou à la notoriété d’un concept, mais à la possibilité permanente d’être contredit par une observation ultérieure.
Quarto, appliquer la méthode à son propre créateur — ici Ben-Israel et son paradigme défensif — confirme la symétrie épistémique fondamentale : aucune proposition, fût-elle méthodologique, n’échappe au tribunal des faits.
Secundo, l’édifice hypothétique gagne en finesse à chaque cycle de réfutation, tandis que les hypothèses non invalidées restent par définition provisoires.
Tertio, l’efficacité analytique ne tient pas à l’autorité d’une source ou à la notoriété d’un concept, mais à la possibilité permanente d’être contredit par une observation ultérieure.
Quarto, appliquer la méthode à son propre créateur — ici Ben-Israel et son paradigme défensif — confirme la symétrie épistémique fondamentale : aucune proposition, fût-elle méthodologique, n’échappe au tribunal des faits.
Conclusion : la falsification permanente, ultime boussole
En somme, la crise initiée le 13 juin 2025 aussi sujette à polémique soit-elle, illustre à la fois la validité et la réflexivité d’une procédure de collecte de traitement et d’analyse fondée sur l’auto-falsification permanente pour résister aux « manipulations politiques, aux agendas d'Etats ou de multinationales et à l’influence ».
Elle rappelle que l’unique antidote à l’incertitude stratégique n’est ni la certitude proclamée, ni la foi technologique, dogmatique ou religieuse mais la capacité d’accumuler des observations indestructibles et de laisser ces observations réviser, voire congédier, les grilles d’analyse les plus séduisantes ou les mieux médiatisées.
Les différents faits collectés depuis la rédaction de cette tribune, conduisent aussi à formuler une nouvelle hypothèse qui les coifferaient toutes H4 : Comme pour l’Ukraine, il s’agirait comme à l’accoutumée d’une tentative de « régime change », plaçant les Etats-Unis dans un déni plausible, Israël en proxy et les populations civiles comme éternelles victimes de la Guerre. Bien qu'Eric Denécé ne soit hélas plus parmi nous pour proposer une analyse sur ce sujet, il s'avère que sur les thématiques qui lui tenaient à cœur et sur lesquelles il s'était prononcé, ses conclusions d'expert ne différaient guère de celles auxquelles peut parvenir un novice appliquant rigoureusement la méthode Ben-Israel en Intelligence économique.
Comme le dit un proverbe Zen : « Il y a plusieurs chemins pour aller admirer la lune en haut d’une colline ». Et le sage de répondre : « Le Zen, c’est l’oiseau sur la branche ». Telle est donc la méthode Ben-Israel : quasi-impossible à utiliser dans le renseignement en raison du droit d’en connaitre et pourtant facile à appliquer aux sources ouvertes ; sous réserve de les collecter, etc…
Car vous l’avez reconnue, il s’agit ni plus ni moins que la méthode scientifique appliquée à l’IE.
Elle rappelle que l’unique antidote à l’incertitude stratégique n’est ni la certitude proclamée, ni la foi technologique, dogmatique ou religieuse mais la capacité d’accumuler des observations indestructibles et de laisser ces observations réviser, voire congédier, les grilles d’analyse les plus séduisantes ou les mieux médiatisées.
Les différents faits collectés depuis la rédaction de cette tribune, conduisent aussi à formuler une nouvelle hypothèse qui les coifferaient toutes H4 : Comme pour l’Ukraine, il s’agirait comme à l’accoutumée d’une tentative de « régime change », plaçant les Etats-Unis dans un déni plausible, Israël en proxy et les populations civiles comme éternelles victimes de la Guerre. Bien qu'Eric Denécé ne soit hélas plus parmi nous pour proposer une analyse sur ce sujet, il s'avère que sur les thématiques qui lui tenaient à cœur et sur lesquelles il s'était prononcé, ses conclusions d'expert ne différaient guère de celles auxquelles peut parvenir un novice appliquant rigoureusement la méthode Ben-Israel en Intelligence économique.
Comme le dit un proverbe Zen : « Il y a plusieurs chemins pour aller admirer la lune en haut d’une colline ». Et le sage de répondre : « Le Zen, c’est l’oiseau sur la branche ». Telle est donc la méthode Ben-Israel : quasi-impossible à utiliser dans le renseignement en raison du droit d’en connaitre et pourtant facile à appliquer aux sources ouvertes ; sous réserve de les collecter, etc…
Car vous l’avez reconnue, il s’agit ni plus ni moins que la méthode scientifique appliquée à l’IE.
Notes
1️⃣ https://lnkd.in/enws6RPa
2️⃣ https://lnkd.in/ezWsUynD
3️⃣ https://lnkd.in/eeEM94U2
4️⃣https://lnkd.in/eutBZMRj
5️⃣ "Les signaux faibles : définitions, méthodes et critiques" "Les signaux faibles : définitions, méthodes et critiques
6️⃣ Lafon, T. (2025). "Les cygnes noirs : définitions, méthodes et critiques", Linkedin https://lnkd.in/e__d9uF7
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Auteur
Thierry Lafon Dr PhD 博士 Chercheur associé au laboratoire CeReGe (UR 13564) axe Intelligence Stratégique Internationale chez Université de Poitiers.
La responsabilité de la publication incombe exclusivement aux auteurs individuels.