STRATEGIES

La Chine et la nouvelle ruée vers l'or noir : énergie, autonomie et puissance

Tribune libre Par Giuseppe Gagliano, Cestudec


Jacqueline Sala
Vendredi 7 Novembre 2025


Avec 470 milliards de dollars investis en cinq ans, Pékin a décidé de blinder sa sécurité énergétique et de redéfinir les équilibres du marché mondial du pétrole. Derrière l’ambition affichée d’« indépendance énergétique à tout prix » se profile une stratégie géopolitique offensive, destinée à réduire la vulnérabilité du pays face aux sanctions, aux tensions commerciales et aux rivalités maritimes. Une mutation qui pourrait bouleverser l’équilibre énergétique international et repositionner la Chine comme acteur incontournable de la sécurité mondiale.



La Chine et la nouvelle ruée vers l'or noir : énergie, autonomie et puissance

Un plan titanesque pour l'indépendance énergétique

PetroChina, Sinopec et CNOOC ont dépensé davantage que des géants mondiaux comme Aramco et Shell. Depuis le début de la guerre commerciale avec les États-Unis, la production pétrolière chinoise a augmenté de 13 % et celle de gaz de 50 %. Le cœur de cette expansion est la baie de Bohai, aujourd'hui le plus grand pôle extractif du pays, avec plus de deux cents plates-formes qui fournissent un dixième de la production nationale.
 
Le nouveau plan quinquennal, déjà en préparation, consolide cette orientation : « indépendance énergétique à tout prix » est la devise qui résume la priorité absolue du Parti communiste chinois dans un monde marqué par les droits de douane punitifs, les tensions stratégiques et les guerres de sanctions.

De l'économie à la stratégie

Derrière le langage technique des plans industriels se cache une logique géopolitique précise.

La Chine sait que l'énergie est le talon d'Achille des puissances modernes : les routes maritimes sont vulnérables, le dollar domine les marchés et les sanctions peuvent étouffer des secteurs entiers. L'autonomie énergétique n'est donc pas seulement un objectif économique, mais une défense nationale.
 
L'investissement massif de l'État vise à réduire la dépendance vis-à-vis des importations de brut en provenance du Golfe et d'Afrique, à diversifier les sources et à renforcer la capacité de raffinage interne. Une stratégie qui, dans l'esprit de Pékin, doit rendre la Chine capable de résister à toute pression occidentale, surtout si Donald Trump devait rétablir des droits de douane ou des mesures restrictives.
 

L'effet domino sur les marchés mondiaux

Le boom du pétrole et du gaz chinois intervient alors même que la demande mondiale ralentit. Cette dynamique risque d'éroder la position dominante des producteurs occidentaux, traditionnellement soutenus par la consommation chinoise. Si la Chine atteignait l'autosuffisance d'ici la fin de la décennie, les flux mondiaux de gaz naturel liquéfié (GNL) et de brut seraient profondément bouleversés : moins d'importations du Moyen-Orient et d'Afrique, davantage d'exportations régionales vers l'Asie orientale.
 
Les analystes estiment que, d'ici 2030, la production de gaz naturel chinoise pourrait même dépasser la demande intérieure. Cela signifierait non seulement une moindre dépendance vis-à-vis des livraisons russes et du Golfe, mais aussi la naissance d'un nouveau pôle énergétique asiatique, capable d'influencer les prix mondiaux.
 

L'énergie comme arme géopolitique

« La sécurité énergétique reste la priorité numéro un », a déclaré Erica Downs de l'Université Columbia. Mais cette phrase apparemment neutre révèle la véritable nature de la politique énergétique chinoise : une arme géopolitique défensive, conçue pour résister à un monde où le commerce est redevenu un instrument de guerre.
 
Face à la menace de nouveaux tarifs américains, à la fragilité de l'OPEP et aux tensions en mer de Chine méridionale, Pékin vise à ne dépendre de personne. Sa course à l'autonomie énergétique n'est pas un geste de fermeture, mais de puissance : une façon d'assurer au pays la liberté d'agir — et de décider — dans un ordre mondial en pleine recomposition.

A propos de ...

Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE).
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
La responsabilité de la publication incombe exclusivement aux auteurs individuels.

Sources