
Une asymétrie économique de plus en plus marquée
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En 2023, la Chine représentait plus de la moitié des importations russes et près d'un tiers de ses exportations. À l'inverse, la Russie ne comptait que pour une poignée de pourcentages dans le commerce extérieur chinois. Autrement dit : Moscou dépend de Pékin, mais Pékin peut se passer de Moscou. La bascule est historique. Autrefois, l'Union soviétique donnait le ton, forte de son statut de grande puissance industrielle et militaire. Aujourd'hui, c'est la Chine qui dicte les règles, avec un PIB par habitant désormais supérieur à celui de la Russie.
L'exemple énergétique illustre parfaitement ce rapport de forces : en 2023, la Russie est devenue le premier fournisseur de pétrole de la Chine, devant l'Arabie saoudite. Mais dans cette relation, Pékin diversifie ses sources et fixe les prix, tandis que Moscou se trouve en position de demandeur, contraint d'écouler ses hydrocarbures sur un marché limité.
Le rêve contrarié de Moscou
La coopération est donc une nécessité pour Moscou, mais un choix tactique pour Pékin.
Trump et l'effet catalyseur américain
La politique de Donald Trump agit comme un facteur supplémentaire de rapprochement.
Son imprévisibilité vis-à-vis de l'Ukraine et ses mesures commerciales agressives contre Pékin ont contribué à renforcer le réflexe sino-russe. Ni Moscou ni Pékin ne peuvent se permettre de se retrouver isolés face à Washington. Leur alliance, même inconfortable, devient une assurance mutuelle face à un environnement hostile.
Ce calcul géopolitique est renforcé par la géographie : 4 200 kilomètres de frontière commune imposent une gestion pragmatique des relations.
Quelles que soient les tensions ou la méfiance, Pékin et Moscou sont condamnés à coopérer pour des raisons de voisinage stratégique.
L'évolution des perceptions mutuelles
Le rapprochement ne se limite pas aux élites politiques et économiques.
Dans la société russe, la perception de la Chine a radicalement changé. Alors que seuls 20 % des Russes considéraient la Chine comme un pays ami en 2006, ils étaient 65 % en 2024. Les campagnes médiatiques, la propagande d'État et les échanges économiques ont contribué à réduire une méfiance historique.
Côté chinois, la Russie n'est plus perçue comme un modèle ou un grand frère, mais comme un fournisseur fiable de matières premières et un partenaire militaire utile pour équilibrer la pression américaine.
La logique d'intérêts prévaut désormais sur la mémoire des anciennes rivalités.
Une alliance contrainte mais durable
La relation sino-russe reste donc asymétrique, mais elle répond à une logique de survie et de résistance face à l'Occident. Moscou trouve dans Pékin un débouché indispensable pour son énergie et ses exportations, tandis que la Chine consolide son approvisionnement énergétique et renforce son poids stratégique face aux États-Unis.
On est loin d'une alliance idéologique. Il s'agit plutôt d'un mariage de raison, marqué par une hiérarchie implicite où la Russie joue désormais le rôle de partenaire junior. Tant que la confrontation avec l'Occident perdurera, cette alliance restera un pilier du nouvel ordre multipolaire, même au prix d'une dépendance croissante de Moscou vis-à-vis de Pékin.
A propos de l'auteur
Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE).
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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