Intelligence des risques

La guerre économique. Rapport Assemblée Nationale par Christophe Plassard.


Jacqueline Sala
Samedi 26 Juillet 2025


Machiavel avait démontré qu'il fallait être craints pour ne pas être dominés. Le rapport de Christophe Plassard place la guerre économique comme un enjeu de souveraineté nationale et examine la montée en puissance des cyberattaques, des opérations d’influence et des prises de participation étrangères visant la base industrielle et technologique de défense... Il restera à avancer sur l’analyse des ressources allouées et le besoin de mieux envisager la coordination interministérielle.



Pour y remédier, le rapport propose d’anticiper les désinvestissements, de généraliser les proxy boards et d’alourdir les sanctions, offrant ainsi aux spécialistes de l’information stratégique une feuille de route concrète pour passer d’une posture réactive à une posture proactive et coordonnée.

Ce texte propose une synthèse utile des prochains jalons législatifs en matière de sécurité économique, indispensable pour anticiper les débats parlementaires et ajuster les stratégies de veille.

Si la clarté des échéances facilite la planification de la veille réglementaire, on peut regretter l’absence de mise en perspective critique des moyens alloués et des enjeux de gouvernance. Il restera à avancer sur l’analyse des ressources allouées et le besoin de mieux envisager la coordination interministérielle.

Evaluer la vulnérabilité de la base industrielle et technologique de défense (BITD)

Le rapport d’information n° 1757, déposé à l’Assemblée nationale le 16 juillet 2025, a été rédigé par Christophe Plassard, rapporteur spécial de la commission des Finances, de l’Économie générale et du Contrôle budgétaire. Il s’attache à décrypter les enjeux de la guerre économique, à évaluer la vulnérabilité de la base industrielle et technologique de défense (BITD) et à mesurer l’efficacité des dispositifs étatiques de protection et de soutien des actifs stratégiques.

Menaces pesant sur la BITD Le document recense chaque année entre 500 et 550 atteintes caractérisées à la BITD ou à la recherche de défense, ainsi que plus de 750 alertes de sécurité économique, soit un doublement des signalements par rapport à 2020. Il souligne que 80 % de ces atteintes ciblent des PME, démontrant une stratégie de paralysie des chaînes de valeur par le biais de sous-traitants. 

Renforcement des moyens étatiques

Les menaces sont protéiformes : vols et sabotages physiques, espionnage humain, cyberattaques, actions juridiques qualifiées de « lawfare », prises de participation capitalistique et opérations d’influence informationnelle. La Russie et la Chine sont identifiées comme les principaux auteurs de ces ingérences, mais le rapport note également des interférences significatives émanant d’alliés historiques tels que les États-Unis.

Le rapport met en lumière d’abord la consolidation de l’intelligence économique. En 2024, la Direction générale de l’Armement (DGA) a instauré une direction dédiée à l’industrie de défense, dotée d’une trentaine de postes supplémentaires consacrés au cyber, à l’OSINT et à une posture plus offensive.

Parallèlement, le Service de l’information stratégique et de la Sécurité économiques (SISSÉ) est passé de 24 équivalents temps plein en 2016 à 32 en 2025, complétés par 24 délégués régionaux. Les services de renseignement, notamment la DRSD et la DGSE, ont accru leurs capacités de contre-ingérence économique, mobilisant des moyens désormais comparables à ceux déployés contre le terrorisme.
 
La modernisation des outils juridiques fait l’objet de la deuxième partie du renforcement étatique. Le contrôle des investissements étrangers (IEF) a vu son périmètre élargi aux secteurs et technologies jugés stratégiques et ses sanctions durcies en cas de non-respect. La loi de blocage du 26 juillet 1968 a été remise en ordre de marche via le SISSÉ, entraînant une multiplication par cinq des saisines, même si le rapport déplore que les amendes restent trop faibles pour jouer un rôle dissuasif. Enfin, les capacités de cyberdéfense sont désormais encadrées par un référentiel de maturité : l’ANSSI soutient les grands groupes stratégiques tandis que la DRSD appuie les PME de la BITD.

Principales orientations proposées

Christophe Plassard insiste sur l’anticipation des désengagements de fonds d’investissement afin de garantir la pérennité des actifs stratégiques soumis au régime IEF. Il appelle à généraliser la création de conseils d’administration alternatifs, dits proxy boards, pour assurer un suivi rigoureux des engagements pris par les investisseurs étrangers.

Le rapport préconise également un renforcement significatif des amendes prévues en cas de méconnaissance de la loi de blocage, afin de dissuader les demandes abusives d’informations sensibles.

Financement des PME de la BITD

Le rapport constate un discours politique de plus en plus favorable au financement de la défense, mais déplore la persistance de refus bancaires et l’absence d’engagements tangibles en faveur des PME. Il recommande la constitution de fonds d’investissement dédiés, l’orientation de l’épargne réglementée vers les entreprises stratégiques et le renforcement des dispositifs d’exportation pour limiter les risques de prédation étrangère.

Enjeux pour les professionnels de l’information stratégique

Les orientations présentées invitent les praticiens à développer une veille multidisciplinaire croisant les dimensions technique, juridique et financière. Ils sont encouragés à bâtir des indicateurs de maturité cyber et à mettre en place des tableaux de bord permettant de suivre les engagements des investisseurs.

Le rapport souligne enfin la nécessité d’intensifier la coordination interministérielle et les partenariats public-privé pour anticiper et répondre aux menaces protéiformes. Cette feuille de route vise à optimiser la posture de sécurité économique et à renforcer la résilience de la BITD.

Rendez-vous dès la rentrée

Les prochains rendez-vous parlementaires autour de la sécurité économique se concentrent sur l’automne 2025, dans le cadre de la commission des affaires économiques et de la séance publique de l’Assemblée nationale. Dès la rentrée parlementaire, la Commission examinera la proposition de loi visant à contrôler l’achat de terres agricoles par des investisseurs étrangers, dossier déjà inscrit à son ordre du jour pour septembre–octobre 2025.

Dans le même temps, la première lecture du projet de loi de finances pour 2026, programmée à partir du 29 septembre 2025 en séance publique, sera l’occasion de débattre des crédits additionnels dédiés à la lutte contre l’espionnage industriel et au renforcement des capacités de veille économique.

Parallèlement, une mission d’information commune sur la lutte contre l’espionnage économique doit être installée mi-octobre 2025, avec auditions prévues de représentants de la DGA, de l’ANSSI et des principaux industriels de la BITD. Enfin, la transposition de la directive européenne NIS2, indispensable pour durcir le cadre réglementaire de la cybersécurité des infrastructures critiques, est attendue avant novembre 2025 : son projet de loi sera déposé en commission à la fin de l’année et débattu en séance plénière au plus tard en décembre.

Le projet de loi sur le contrôle des investissements étrangers en France doit être débattu en commission au Sénat dès la fin d’octobre 2025, avant une deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

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