Renseignement

La guerre invisible contre la Défense française : enseignements du rapport DRSD 2024

Par Giuseppe Gagliano, Cestudec


Jacqueline Sala
Lundi 11 Août 2025


Le rapport officiel « Panorama des ingérences à l'encontre de la sphère de Défense en 2024 », publié par la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD) en juillet 2025, dresse un état des lieux précis et inquiétant. Comme le souligne l'introduction, « l'année 2024 s'est caractérisée par un nombre élevé et constant d'atteintes à l'encontre des entreprises de notre base industrielle et technologique de Défense (BITD) ». La menace est multiforme et cible à la fois les savoir-faire, les infrastructures, les approvisionnements et la réputation des acteurs clés.



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Le rapport présente un graphique de répartition des atteintes

 Ce schéma résume l'essence de la guerre hybride qui se joue contre la BITD.
 
vecteur humain : 36 %
atteintes physiques : 18 %
cyber : 15 %
prédation capitalistique : 13 %
ingérences juridiques : 9 %
atteintes réputationnelles : 6 %
approvisionnements : 3 %.
 

Le facteur humain : talon d'Achille stratégique

Selon la DRSD, « le vecteur humain demeure prépondérant ». Les compétiteurs recourent au chantage, aux faux entretiens de recrutement ou au débauchage ciblé. La Chine, note le rapport, « privilégie plus particulièrement ces modes d'actions afin de cibler les centres de recherche liés à la sphère de Défense et les marchés des technologies de l'information et de la communication ».
 
Cas concret : début 2024, un ancien collaborateur chinois d'une entreprise aéronautique « a repris attache avec un ancien collègue toujours en poste pour... lui communiquer les noms de spécialistes ». En contrepartie, un poste en Chine avec avantages financiers. L'entreprise, sensibilisée par la DRSD, a pu neutraliser la manœuvre. Exemple typique d'une « captation de savoirs et savoir-faire » à haut risque.

Sabotages et intrusions : la menace physique

Le rapport constate « une augmentation des intrusions, dégradations... et sabotages ». Les mouvances d'ultragauche sont explicitement citées comme auteurs de certaines attaques.
 
Cas concret : au premier trimestre 2024, « un incendie criminel du transformateur électrique situé à proximité immédiate » d'une usine de drones a paralysé la production pendant plusieurs heures. Outre le dommage immédiat, la DRSD alerte sur les « conséquences financières durables ».

Cyberguerre : +50 % d'attaques en un an

Les atteintes cyber, note le rapport, ont augmenté « de moitié par rapport à l'année précédente ». Les groupes criminels conservent leurs vecteurs classiques : « hameçonnage, rançongiciel, attaques par déni de service ». Les cibles : les entreprises fournissant du matériel à l'Ukraine, notamment dans l'aéronautique et les TIC.
 
Cas concret : après l'annonce d'une livraison à Kiev, une société a subi des attaques DDoS qui ont « momentanément paralysé ses systèmes d'information ». Anticipation et mesures préventives ont permis d'éviter un arrêt prolongé.

Prédation capitalistique : le risque invisible

Avec 13 % des cas recensés, la prédation capitalistique est un mode opératoire discret mais dangereux. La France reste « la nation la plus attractive d'Europe en matière d'investissements », mais certains capitaux visent la « captation de savoirs et savoir-faire propres aux capacités industrielles de Défense ».
 
Cas concret : en 2024, lors de la vente d'une société d'optronique, « un investisseur récemment entré au capital et de nationalité étrangère » a soutenu une offre de rachat issue de son pays. Pour la DRSD, ce type d'opération peut entraîner « pertes de savoir-faire voire cession d'actifs stratégiques au détriment des intérêts de la Défense nationale ».

Le droit comme arme : le "lawfare"

La DRSD identifie clairement les États-Unis et la Chine comme « principaux acteurs » de l'utilisation stratégique du droit. Les mesures extraterritoriales américaines, comme l'ITAR, peuvent restreindre l'activité des entreprises françaises. Pékin, de son côté, a déjà provoqué « les premières difficultés d'approvisionnement liées au contrôle de l'exportation du germanium ».
 
Cas concret : en 2024, une société aéronautique française a subi « un audit de l'administration américaine » sur sa conformité aux réglementations de contrôle des exportations. La DRSD a accompagné l'entreprise pour limiter « le risque de fuite ou de captation d'informations sensibles ».

La bataille de l'opinion : guerre réputationnelle

Enfin, la DRSD relève « le durcissement de la menace réputationnelle ». Les mouvements antimilitaristes et pro-palestiniens ont intensifié leurs campagnes. Manifestations, actions juridiques, campagnes numériques : les opérations sont coordonnées et visent à affaiblir l'image de la BITD.
 
Cas concret : un groupe pro-palestinien a manifesté « à plusieurs reprises devant une société... qui livre du matériel militaire à une entreprise israélienne ». Pour la DRSD, ces actions peuvent « nuire à l'activité économique » et s'inscrire dans une stratégie multi-vecteurs.

Un rapport comme arme défensive

Le Panorama 2024 n'est pas qu'un état des lieux : il fournit des recommandations pratiques et démontre que la guerre contre la BITD française est totale. Les fronts sont humains, physiques, cybernétiques, économiques, juridiques et médiatiques.
La souveraineté nationale se joue autant dans la protection des serveurs et des ingénieurs que dans la maîtrise des chaînes d'approvisionnement et des partenariats financiers. Comme le conclut implicitement ce document, il faut « poursuivre nos actions au profit de l'ensemble des acteurs... qui concourent à la Défense nationale » et considérer la sécurité économique comme un pilier central de la défense globale.

A propos de la DRSD

La Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense, plus connue sous le sigle DRSD, est un service de renseignement placé sous l’autorité directe du ministre des Armées.
Spécialisée dans la contre-ingérence, elle joue un rôle clé dans la protection des forces armées et de l’industrie de défense face aux menaces que sont le terrorisme, l’espionnage, le sabotage, la subversion ou encore le crime organisé. Membre du premier cercle de la communauté nationale du renseignement, aux côtés notamment de la DGSE et de la DRM, la DRSD agit dans l’ombre pour garantir la sécurité des intérêts stratégiques français.

 
Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE).
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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