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Le CR451 face à l'enjeu stratégique de la représentation photographique – Panoramax, une réponse française à la dépendance cognitive


David Commarmond
Jeudi 23 Octobre 2025


Issu de l'École de Guerre Économique, le CR451 (Centre de Recherche 451) se positionne comme un centre de recherche appliquée dont l'expertise réside dans l'analyse et la réponse aux risques stratégiques majeurs menaçant la France. Le neuvième numéro de leur podcast DST met en lumière un enjeu qui n'est "absolument pas anodin" : la représentation photographique du territoire national et le risque imminent d'en perdre le contrôle.



La Représentation comme Outil d'Influence et de Guerre Économique

L'analyse du CR451 est claire : la représentation graphique d'un pays est un outil d'influence. Ne pas maîtriser cette représentation du territoire expose la France à des pertes d'activité économique, notamment touristique, et à une mauvaise compréhension de son propre territoire. Le risque est qu'un système non français photographie, par exemple, une station balnéaire un jour de mauvais temps ou lors d'une grève des poubelles, choisissant de montrer "certaines choses et pas d'autres".
 
Les solutions commerciales dominantes, comme Google Street View, servent les objectifs économiques de leurs propriétaires (les GAFAM) et ne visent pas à valoriser les collectivités françaises. La stratégie de ces acteurs est d'abord de créer une dépendance technologique, voire une "addiction à la gratuité", par le biais d'un dumping économique. Ce dumping, supporté pendant des années comme un investissement à fonds perdu, a entraîné la disparition de concurrents français, comme l'entreprise Dido Betin. Une fois la dépendance établie, celle-ci est instrumentalisée pour augmenter la rentabilisation, souvent par la technique du "couteau sous la gorge". L'exemple marquant de Google Maps en 2018, qui a diminué drastiquement les quotas d'utilisation gratuite tout en augmentant ses tarifs, a laissé les utilisateurs dans une situation de "totale dépendance" et forcés de basculer vers d'autres alternatives.
 
L'expertise du CR451 insiste sur le fait que la dépendance est l'axe majeur de la guerre économique actuelle, qu'elle soit technologique, logistique, culturelle ou cognitive.

L'Enjeu de la Sécurité Cognitive et de la Donnée

Au-delà de l'influence économique, la représentation photographique touche à la sécurité cognitive. La donnée est l'élément brut du cycle de la pensée (donnée, information, connaissance, action/sagesse). Si nous ne contrôlons pas la manière dont cette "donnée brute élémentaire est construite et stockée", nous nous exposons à l'incapacité de résister aux constructions narratives de tiers. Panoramax est perçu comme un "outil de sécurité cognitive majeur" pour la France.
 
Le problème est d'autant plus aigu que les conditions d'utilisation des services étrangers interdisent des usages fondamentaux pour les métiers français. Il est impossible d'utiliser ces photos pour mettre à jour une base de données, constater des dégradations, ou s'en servir dans des Systèmes d'Information Géographique (SIG) pour des services d'urgence. Ces restrictions paralysent l'action publique, obligeant les collectivités, par exemple, à attendre le passage du prestataire étranger pour modifier la représentation d'une façade rénovée.

Panoramax : Le Commun Numérique Français pour l'Indépendance

Panoramax, porté par la géographe Sophie Clairé et l'informaticien Christian Kest, est la réponse technologique française à ces défis. C'est un "commun numérique", défini comme une ressource dont le contenu est librement réutilisable. Cette caractéristique est essentielle, car elle permet l'analyse des images, la détection d'éléments, et la mise à jour de bases de données, des usages interdits par les offres commerciales.
 
Structuré en tant que "start-up d'État" portée par l'IGN (Institut Géographique National) et Open Street Map France, Panoramax utilise des méthodes agiles pour un développement rapide et efficace, évitant les lourdeurs administratives. Ce modèle assure également que les outils sont conçus en collaboration étroite avec les utilisateurs-contributeurs, garantissant leur utilité concrète.
Le fonctionnement de Panoramax est collaboratif et ouvert, avec des contributions venant des citoyens, des entreprises, et des services publics. Ce mouvement, qui a notamment pris une avance significative dans le Pays Basque Nord, repose sur des agents géomaticiens et des citoyens qui se sentent "investis de cette idée de défendre correctement leur métier leur collectivité leur paysage". Cette défense du service public est souvent portée par l'agent de base, plus que par la haute hiérarchie, qui peine à intégrer la notion de dépendance dans son vocabulaire.

Stratégie de Pérennisation et Sécurité Nationale

Afin de garantir son autonomie, Panoramax a été conçu dès le départ selon une architecture décentralisée. Face à la volumétrie croissante des données (atteignant 75 millions de photos et se dirigeant vers des pétaoctets de stockage), il n'y a pas un serveur unique Panoramax, mais plusieurs instances autonomes (cinq actuellement opérationnelles, y compris Taïwan). Cette décentralisation permet un "passage à l'échelle" et l'indépendance des échelons locaux, comme en témoignent les discussions avec des régions françaises comme le Grand Est.
 
L'indépendance est assurée par l'utilisation de logiciels libres et le respect de normes et standards. L'interopérabilité, permise par l'adhésion à des protocoles communs, est la clé pour "conserver cette autonomie" et pouvoir déplacer et échanger les données librement. De plus, les licences de réutilisation du contenu imposent que toute amélioration apportée soit repartagée sous la même licence, favorisant le "pot commun" et la convergence.
 
Malgré le caractère essentiel de ce projet pour la sécurité nationale au sens de la sécurité cognitive, sa visibilité politique demeure faible. Le CR451 conclut son analyse par un appel solennel à l'État et à l'IGN pour qu'ils pérennisent Panoramax. Il est impératif que cette solution, qui contrecare une stratégie de mise sous dépendance structurée, soit transformée en un service public permanent avec toutes les structures nécessaires à son développement. L'enjeu est clair : il s'agit d'une question de souveraineté.

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