STRATEGIES

Le Golfe au bord du gouffre : le détroit d'Hormuz comme levier stratégique et risque global

Par Guiseppe Gagliano, Cestudec


Jacqueline Sala
Lundi 23 Juin 2025


Téhéran, 22 juin 2025 – L'étincelle est allumée. Une attaque – attribuée aux États-Unis ou à Israël – vise un site sensible du programme nucléaire iranien. En réaction, le Conseil suprême de sécurité nationale de la République islamique convoque une réunion d'urgence.
À l'ordre du jour, une décision qui pourrait bouleverser l'ordre énergétique mondial : la fermeture du détroit d'Hormuz.
Une menace ancienne, certes, ...



Le Golfe au bord du gouffre : le détroit d'Hormuz comme levier stratégique et risque global

Une crise qui se dessine : trois scénarios pour un futur incertain

Scénario 1 – Un avertissement symbolique : blocus partiel et négociations

Dans le scénario le plus vraisemblable selon plusieurs sources diplomatiques, Téhéran choisit la démonstration de force sans aller jusqu'à l'affrontement total. Mines maritimes, missiles antinavires et menaces directes : l'Iran rend le détroit dangereux, mais sans l'obstruer complètement. L'objectif est double : envoyer un signal fort à Washington et aux monarchies du Golfe – accusées de complicité – tout en préparant une sortie diplomatique, possiblement médiée par la Chine et la Russie.

Les marchés s'embrasent : le baril de Brent dépasse rapidement les 100 dollars, atteignant des pics à 120 dollars. Les primes d'assurance maritime s'envolent, le trafic ralentit, et l'Europe – encore convalescente de la crise énergétique post-Ukraine – redevient vulnérable. L'Arabie saoudite active l'oléoduc Petroline pour contourner le détroit, mais sa capacité reste insuffisante. La Chine, principal importateur de brut iranien, diversifie ses approvisionnements en se tournant vers la Russie et le Brésil.

Face à la pression, et après une semaine d'escalade, Pékin et Moscou parviennent à imposer une trêve. Mais l'avertissement est clair : Hormuz est une arme à double tranchant. L'économie mondiale enregistre une inflation immédiate de 0,5 %, et les marchés restent instables.


Scénario 2 – La faille s'ouvre : escalade régionale et choc énergétique

Dans un scénario plus dramatique – mais plausible en cas de poursuite des hostilités –, l'Iran opte pour une fermeture complète du détroit. Sous-marins, drones maritimes, missiles de croisière : le blocus est total. Les milices pro-iraniennes (Houthis, Hezbollah) attaquent des infrastructures pétrolières en Arabie saoudite, aux Émirats et à Bahreïn. Israël intensifie ses frappes, les États-Unis répliquent depuis leurs bases dans le Golfe. Le conflit se régionalise rapidement.

Les conséquences sont immédiates : 21 millions de barils par jour disparaissent du marché. Le Brent s'envole à 150 dollars, et Deutsche Bank envisage des sommets à 200 dollars si le blocus se prolonge. Le GNL qatari, crucial pour l'Asie et l'Europe, est suspendu. Le Japon et la Corée du Sud subissent des coupures de courant, l'Allemagne impose des rationnements. En Chine, la croissance ralentit de 1,5 point de PIB. L'inflation mondiale grimpe à 7 %, dans un scénario de stagflation rappelant les années 1970. Les marchés financiers s'effondrent : le FTSE MIB perd 12 % en une semaine.

Sous la pression populaire et économique, Washington tente de monter une coalition militaire pour rouvrir le détroit, mais l'opération prendrait des semaines. Moscou, bénéficiaire indirect de la flambée des prix, soutient diplomatiquement Téhéran sans intervenir militairement. L'Europe plonge dans la récession. L'ONU reste paralysée par les divisions du Conseil de sécurité.

Ce scénario, bien que moins probable, représenterait un tournant historique. L'Iran y jouerait sa survie économique, tout en infligeant un choc mondial dont les répercussions pourraient durer des années.


Scénario 3 – La menace comme arme : désescalade diplomatique

Dans une troisième hypothèse, la plus optimiste, l'Iran choisit la démonstration sans l'action. Il organise des manœuvres navales spectaculaires, intercepte temporairement un pétrolier étranger et intensifie sa rhétorique. Mais en parallèle, il ouvre la voie à la diplomatie. Le ministre des Affaires étrangères Abbas Araghchi propose des négociations à Istanbul, sous médiation turco-qatarie. Donald Trump, peu désireux d'ouvrir un nouveau front en pleine campagne électorale, accepte. Israël proteste, mais retient ses frappes.

Les marchés réagissent modérément : le Brent grimpe à 80 dollars avant de retomber sous les 70 dollars en deux semaines. Le trafic maritime dans le détroit ralentit, mais ne s'interrompt pas. L'Europe évite une crise, la Chine renforce ses achats de pétrole russe par précaution. L'or, refuge traditionnel, perd de la valeur. L'OPEP+, dirigée par Riyad et Moscou, maintient sa production pour apaiser les tensions.

Ce scénario confirme le pragmatisme iranien : fermer Hormuz nuirait autant à Téhéran qu'au reste du monde. Mais il révèle aussi un nouvel acteur central : la Chine, devenue le médiateur incontournable entre les puissances.


Hormuz, miroir d'un monde sous tension

Au-delà de ces trois scénarios, une certitude émerge : le détroit d'Hormuz n'est pas seulement une voie de passage, mais une arme géopolitique redoutable. L'Iran, conscient de sa dépendance à l'exportation de pétrole (3,8 millions de barils/jour), joue une partie complexe, entre intimidation et retenue.

Comme le rappelle Claudio Descalzi, PDG d'ENI, "l'énergie est aujourd'hui le premier levier géopolitique mondial". Et le Golfe Persique, théâtre de ces tensions, reste l'épicentre de la fragilité globale. L'équilibre est précaire, et les tentations bellicistes ne manquent pas.

Reste à savoir si la diplomatie tiendra bon. Ou si, une fois de plus, l'humanité s'apprête à glisser dans une spirale d'instabilité que personne ne pourra arrêter.


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Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE).
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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