
L'affaire commence en mai 2025, à la suite de l'opération militaire indienne Sindoor contre le Pakistan.
Cette opération, déclenchée après un attentat à Pahalgam, voit l'Inde utiliser ses Rafales pour cibler des infrastructures terroristes en territoire pakistanais et dans le Cachemire. Très rapidement, des rumeurs apparaissent : un Rafale indien aurait été abattu par un chasseur J-10C équipé de missiles chinois PL-15.
L'origine de cette information ? Des sources pakistanaises relayées par des canaux chinois, puis amplifiées dans plusieurs langues via les réseaux sociaux. New Delhi comme Paris démentent catégoriquement.
Pourtant, le récit s'installe, précisément parce que le doute, dans la guerre cognitive, vaut autant que la preuve.
L'attaque contre le Rafale ne se limite pas à une polémique technique. Elle s'inscrit dans un rapport de force géoéconomique de grande ampleur. L'Inde, qui a déjà acquis 36 Rafales et en a commandé 26 supplémentaires en version marine, considère cet avion comme un pilier de sa stratégie de dissuasion face à la Chine, tant dans l'Himalaya que dans l'océan Indien. Le Pakistan, allié militaire et diplomatique de Pékin, bénéficie quant à lui d'un appui chinois direct, notamment à travers la fourniture de chasseurs JF-17 et J-10C. Dans ce contexte tendu, la destruction supposée d'un Rafale devient une occasion rêvée pour Pékin : fragiliser l'image d'un concurrent occidental, promouvoir ses propres avions sur les marchés émergents et semer le doute sur la fiabilité d'un fleuron industriel français.
Car le Rafale n'est pas qu'un avion.
C'est l'incarnation d'un modèle industriel autonome, fondé sur une maîtrise complète de la chaîne de production nationale. Développé par Dassault Aviation, avec la participation de Thales, Safran, MBDA et de nombreuses PME françaises, le Rafale concentre les technologies de pointe les plus sensibles de l'aéronautique militaire européenne. Il est le seul chasseur de sa catégorie conçu et fabriqué sans dépendance critique à une puissance étrangère. Il est aussi, et surtout, un vecteur d'influence. Chaque contrat d'exportation signé – en Inde, en Égypte, au Qatar, en Indonésie, en Grèce ou encore aux Émirats arabes unis – renforce non seulement l'industrie française, mais positionne la France comme partenaire stratégique autonome, capable de proposer une alternative aux logiques de blocs dominants.
Dès lors, une campagne de dénigrement ciblée ne relève plus de la simple rivalité commerciale. Elle devient une offensive de guerre économique dans le sens le plus plein du terme, au sens que lui donne Christian Harbulot : un affrontement structurel et permanent pour le contrôle des ressources, des marchés et de l'influence. Dans le cas présent, la Chine a déployé une panoplie complète d'outils informationnels pour nuire à la réputation du Rafale : vidéos satiriques sur Douyin (TikTok chinois), mèmes tournant en dérision les performances de l'appareil, articles publiés dans la presse semi-officielle (tels que Global Times), et un vaste réseau de comptes anonymes diffusant des messages hostiles en arabe, en anglais et en français. Cette stratégie est pensée, organisée, graduée. Elle vise trois objectifs principaux : présenter le Rafale comme un produit coûteux et dépassé, fragiliser la confiance des partenaires actuels et potentiels de la France, et promouvoir les appareils chinois comme une alternative crédible et bon marché.
Face à cette opération, la réaction française a été à la fois timide et désordonnée.
Seul Éric Trappier, président de Dassault Aviation, a pris la parole devant le Sénat pour dénoncer les manipulations à l'œuvre. Le ministère des Armées, lui, est resté muet. Aucune cellule interministérielle n'a été activée, aucun récit coordonné n'a été élaboré pour rétablir la vérité ou valoriser les performances du Rafale en opération. Ce silence n'est pas seulement un défaut de communication : il révèle une absence de doctrine, de stratégie, de préparation. Comme le déplore régulièrement Christian Harbulot, la France est une puissance industrielle dépourvue de bouclier cognitif. Elle agit comme une "nation ouverte et désarmée dans un monde désordonné".
L'École de Guerre Économique analyse le cas du Rafale comme une illustration de la vulnérabilité systémique française. L'attaque chinoise, par son ampleur, sa cohérence et sa finalité, s'apparente à une opération d'affaiblissement stratégique. Ce que cherche Pékin, ce n'est pas tant la perte de quelques contrats que l'affaiblissement global d'un concurrent. En semant le doute, en attaquant la crédibilité, elle cherche à redessiner les rapports de force, à isoler la France, à rendre son offre moins séduisante aux yeux des marchés émergents.
Pour y faire face, l'EGE propose une série de réponses articulées autour de quatre axes.
D'abord, la création d'une agence nationale d'intelligence économique, dotée de pouvoirs réels de veille, d'analyse et de coordination avec les entreprises stratégiques. Ensuite, l'établissement d'une task force de contre-désinformation, capable de réagir rapidement aux narratifs hostiles. Troisièmement, la formation systématique des élites administratives, diplomatiques, militaires et industrielles aux mécanismes de la guerre cognitive. Enfin, une meilleure coordination stratégique entre les ministères, les services de renseignement et les industriels de défense, afin de défendre les actifs nationaux sur tous les fronts, y compris celui de la réputation.
Ces mesures ne relèvent pas d'un réflexe autoritaire ou d'une volonté de censure. Il s'agit, au contraire, de restaurer la capacité de l'État à protéger les intérêts vitaux de la nation dans un monde où la guerre n'a plus besoin d'être déclarée pour être menée. Le cas Alstom, démantelé en 2014 sous la pression américaine, le cas Huawei, isolé en Europe à la suite d'une campagne systématique venue de Washington, ou encore le scandale AUKUS, où la France a été évincée d'un méga-contrat de sous-marins par une alliance anglo-américaine, sont autant de précédents qui montrent que la guerre économique est bien réelle – et que ceux qui ne s'y préparent pas en sont les premières victimes.
Le cas du Rafale est à cet égard emblématique.
Il démontre que la puissance ne suffit pas, que la supériorité technologique ne garantit rien si elle n'est pas accompagnée d'une capacité à imposer son propre récit. Comme le rappelle Christian Harbulot, "celui qui gagne est celui qui impose sa narrative". Et dans cette guerre de récits, la France, faute d'avoir investi dans la souveraineté cognitive, se retrouve à la merci d'attaques qui n'émanent ni d'armées ennemies ni de traités biaisés, mais de flux numériques diffus, viraux, insidieux.
Réagir, c'est maintenant. Non pour sauver un avion, mais pour préserver ce qu'il représente : la capacité d'une nation à maîtriser sa technologie, à définir ses alliances et à exister sur la scène mondiale en tant qu'acteur souverain. Le Rafale n'est qu'un symptôme. La maladie, elle, s'appelle inaction stratégique. Et la seule thérapie possible passe par la reconnaissance de la guerre économique comme fait politique majeur du XXIe siècle.
A propos de Giuseppe Gagliano
Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE).
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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