La Voix des Acteurs : Lumières et Ombres du Financement Défense

La BITD française ne se résume pas aux neuf grands groupes d'envergure mondiale ; elle est un écosystème complexe regroupant quelque 4 500 entreprises, dont un vaste réseau de sous-traitants et fournisseurs constitué d'environ 4 500 start-up, PME et ETI, parmi lesquelles 800 sont identifiées comme stratégiques ou critiques.
Ces entreprises représentent 220 000 emplois directs et indirects.Cependant, une étude menée par l'Observatoire économique de la défense (OED) et la DG Trésor en 2024 a révélé une structure financière plus fragile pour ces PME et ETI de la BITD, caractérisée par des marges plus faibles, un endettement plus élevé et une potentielle sous-capitalisation.
Benoît Laroche de Roussane, Directeur de l'Industrie de Défense de la DGA, l'a confirmé : "Ces entreprises sont en moyenne un peu plus endettées que leurs équivalents purement public, plus faibles en fonds propres, et ont une rentabilité un peu inférieure. C'est une base relativement fragile et qui a des problématiques de financement".Un enjeu majeur réside dans la trésorerie et les délais de paiement au sein de la chaîne de sous-traitance.
L'expérience de Stephanbastien Mancinine, patron de L'Air, une entreprise de drones en forte croissance, est éloquente : pour un contrat à l'export, il a dû contacter "19 banques avant d'avoir une acceptation" : cela souligne la difficulté, même pour des acteurs prometteurs, d'accéder rapidement au crédit.
Ce recul est concomitant à une clarification au niveau national et européen. Le label ISR en France, revu fin 2023, n'interdit pas le financement de la défense, excluant uniquement les armements dits "controversés" au sens des conventions internationales (armes chimiques, biologiques, mines antipersonnel).
L'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) a également précisé en décembre 2024 cette définition des armes "controversées", la circonscrivant strictement aux interdictions internationales. Marwan Lahoud, partenaire chez Messier Associés, a plaidé pour sortir du débat "stupide" sur les armes "létales" et "non létales", arguant : "ce n'est pas l'arme qui tue, c'est celui qui porte l'arme". Il a insisté sur la nécessité de moraliser l'usage des armements, plutôt que l'objet lui-même.
De plus, la dualité des entreprises de la BITD est une réalité : en moyenne, une entreprise de la BITD ne réalise que moins de 20% de son chiffre d'affaires pour le secteur de la défense. L'Air en est un parfait exemple, ayant commencé dans le civil avant de basculer à 80% dans la défense. Cette dualité rend l'exclusion du secteur de la défense par principe souvent illogique et contre-productive.
Stephanbastien Mancinine a insisté sur ce point : "un investisseur il est attiré par un projet quand il voit que il y a un business plan avec des commandes". Les exemples de succès de levées de fonds pour des entreprises de drones allemandes et portugaises sont directement liés à des commandes massives de leurs gouvernements. Le message est clair : l'argent suit les projets tangibles. Le Président de la République a appelé à "produire plus et plus vite", et la LPM 2024-2030 prévoit un investissement historique, avec 268 milliards d'euros pour les équipements militaires, incluant des commandes emblématiques comme les missiles Mistral, les véhicules Serval, les canons Caesar, et les Rafale.
Cependant, les retards budgétaires de début d'année ont pu créer un "faux plat" frustrant pour les industriels. La DGA travaille activement, notamment via le "Pacte Drone", à adapter les modes de passation de marché pour des cycles plus courts et des achats "sur étagère" pour les équipements à faible coût et à cycle rapide.
FR Financement de la BITD | Paris Air Forum 2025 (Paris Air Forum 2025 | Salle LINDBERGH)
Le Plan d'Action Stratégique de l'État : Une Feuille de Route pour le Financement
La Souveraineté à Prix d'Efforts Collectifs
Comme l'a souligné Marwan Lahoud, il s'agit d'un "jeu collectif" impliquant l'État, les industriels, les banques, les investisseurs et les épargnants. La France est engagée dans une course contre la montre pour garantir son autonomie stratégique, et la mobilisation de son industrie et de son secteur financier est une condition sine qua non à l'atteinte de cet objectif vital.
English Summary: French Defense Financing: A Battle for Sovereignty
In an increasingly tense geopolitical climate, France is prioritizing the strengthening of its Defense Industrial and Technological Base (BITD) to ensure national sovereignty. A pivotal meeting on March 20, 2025, marked a significant step in mobilizing public and private stakeholders to finance this rearmament. With the Military Programming Law (LPM) 2024-2030 allocating €413.3 billion, the goal is clear: increase production to meet current threats.
The BITD comprises 4,500 companies, many of which are SMEs and mid-caps facing financial fragility, lower profitability, and higher debt. Payment delays further strain their cash flow. Historically, ESG criteria have deterred defense investments, but there's a shift as definitions of "controversial weapons" narrow. Investors now seek concrete orders and business plans. Public and private financing is being mobilized, with entities like Caisse des Dépôts and major banks contributing billions.
The action plan includes strengthening public funding, clarifying ESG guidelines, enabling citizen investment through funds like "Bpifrance Défense," and improving industry-financial sector dialogue. Ensuring France's strategic autonomy requires bridging the gap between ambitious plans and execution, fostering confidence through robust financing and concrete orders for the entire BITD ecosystem.