STRATEGIES

Le multipolarisme de Pékin et la crise de l'Occident. Par Giuseppe Gagliano, Cestudec


Jacqueline Sala
Dimanche 7 Septembre 2025


En l'espace de quatre jours, Xi Jinping a donné corps à un changement d'époque : le passage d'un monde centré sur l'hégémonie américaine à un ordre multipolaire où la Chine, la Russie, l'Inde, l'Iran et vingt-deux autres États tentent de bâtir une nouvelle gouvernance. Le sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) a ainsi lancé l'Initiative de Gouvernance mondiale, censée fonder une coopération pacifique et un « avenir partagé pour l'humanité ». Dans le même temps, les BRICS renforcent leur rôle comme contrepoids face aux sanctions et pressions occidentales.



Le multipolarisme de Pékin et la crise de l'Occident. Par Giuseppe Gagliano, Cestudec

La fin des illusions unipolaires

Depuis la fin de la Guerre froide, le monde a traversé trente-cinq années de conflits désastreux menés par l'Occident au nom du régime et de la démocratie exportée : Yougoslavie, Irak, Libye, Afghanistan.

L'élargissement de l'OTAN vers l'Est a fragilisé la sécurité européenne et provoqué la réaction russe. Les tensions avec Pékin ont accentué l'échec du projet unipolaire. La grande parade du 3 septembre à Pékin, marquant la contribution chinoise à la « Résistance mondiale antifasciste », a rappelé le sacrifice de 30 millions de vies et replacé la Chine comme acteur central de l'histoire contemporaine.

Les fondements du nouvel ordre

À Tianjin, les vingt-six États réunis ont réaffirmé une idée simple : l'ordre international ne peut reposer que sur le respect des cultures, l'égalité entre nations et la coopération multilatérale.

La Chine propose son savoir-faire dans les domaines stratégiques – intelligence artificielle, infrastructures, transition énergétique, technologies avancées – pour donner un contenu concret à ce multipolarisme.
Il s'agit d'une économie politique du futur, qui déplace l'axe du pouvoir global vers l'Asie.
 

Le multipolarisme de Pékin et la crise de l'Occident. Par Giuseppe Gagliano, Cestudec

Les errements de Washington et Bruxelles

Tandis qu'à l'Est se tissent de nouvelles alliances, l'Occident se perd dans ses contradictions.

Donald Trump ordonne de couler une embarcation vénézuélienne accusée de narcotrafic, décision douteuse qui masque les convoitises américaines sur les réserves pétrolières de Caracas. L'Union européenne, elle, s'enferme dans des formats réduits comme l'E-3, focalisés sur le rétablissement de sanctions contre l'Iran, tout en préparant ses hôpitaux à recevoir des blessés de guerre comme si le conflit était inévitable.

L'énergie et le basculement géoéconomique

Le partenariat énergétique russo-chinois illustre ce tournant.
Moscou s'engage à fournir à Pékin 106 milliards de mètres cubes de gaz par an, presque l'équivalent des exportations jadis destinées à l'Europe. Résultat : l'Asie devient le centre de gravité énergétique, tandis que l'Europe s'appauvrit en important du gaz liquéfié américain à des prix bien plus élevés. Le transfert du pouvoir économique accompagne ainsi le basculement géopolitique.

L'ignorance qui affaiblit l'Europe

Dans ce contexte, les propos de Kaja Kallas sur la « fausse narration » de la victoire chinoise pendant la Seconde Guerre mondiale ont fait scandale.
Ignorer que Pékin a combattu dès 1937 contre le Japon, puis aux côtés des Alliés à partir de 1941, c'est insulter la mémoire historique. Si la Chine est membre permanent du Conseil de sécurité, c'est précisément en raison de cette contribution décisive. Une telle méconnaissance ne relève pas seulement de la maladresse : elle fragilise la crédibilité des institutions européennes.

L'enjeu du siècle

Aujourd'hui, deux dynamiques s'affrontent.

D'un côté, l'Asie qui construit de nouvelles institutions et affirme sa souveraineté. De l'autre, l'Europe qui reste prisonnière de ses divisions, de sa dépendance énergétique et militaire, et d'une rhétorique occidentale usée.
Le multipolarisme n'est plus une hypothèse : il est déjà réalité.
L'Union européenne, faute de vision stratégique, risque de demeurer simple spectatrice d'une transformation mondiale dont elle sera l'une des grandes perdantes.

A propos de l'auteur

Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE).
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
La responsabilité de la publication incombe exclusivement aux auteurs individuels.