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Le quantique passe du laboratoire à l’industrie. Cartographie de l'écosystème quantique mondial

Mapping the global quantum ecosystem A comprehensive analysis based on innovation, firm, investment, skills, trade and policy data December 2025


Jacqueline Sala
Lundi 22 Décembre 2025


En réunissant leurs expertises, l’OEB et l’OCDE livrent une lecture structurée de la montée en puissance des technologies quantiques. Leur rapport éclaire la manière dont un champ longtemps cantonné à la recherche fondamentale se transforme en véritable écosystème industriel, porté par des stratégies nationales affirmées et des investissements croissants.



Le quantique passe du laboratoire à l’industrie. Cartographie de l'écosystème quantique mondial
Source

Published and edited by European Patent Office Munich, Germany
Organisation for Economic Co-operation and Development, Paris, France
© EPO/OECD 2025

Une analyse complète basée sur des données relatives à l'innovation, aux entreprises, aux investissements,
aux compétences, au commerce et aux politiques  - Décembre 2025

Panorama

Le rapport conjoint publié par l’Office européen des brevets et l’OCDE dresse un panorama complet de l’évolution du secteur quantique à l’échelle mondiale.

Il explore la manière dont se déploient les technologies de communication, d’informatique et de détection quantiques, en les replaçant dans un paysage où se croisent enjeux scientifiques, stratégies industrielles et politiques publiques. L’étude s’attarde sur les choix opérés par les États, sur les flux d’investissements qui structurent progressivement cette filière et sur les dynamiques d’innovation qui en découlent.

De la recherche fondamentale vers une industrie organisé

Le quantique passe du laboratoire à l’industrie. Cartographie de l'écosystème quantique mondial

En mobilisant des données détaillées sur les dépôts de brevets internationaux et sur les chaînes d’approvisionnement en matériaux critiques, le rapport montre comment le quantique glisse peu à peu du domaine de la recherche fondamentale vers une industrie organisée, dotée de ses propres acteurs, de ses marchés et de ses dépendances.
Cette transition, encore en cours, révèle les fragilités d’un secteur stratégique où la maîtrise technologique s’appuie autant sur la propriété intellectuelle que sur la sécurisation des ressources.

L’ambition affichée est d’offrir aux décideurs une base solide pour appréhender les interdépendances commerciales, anticiper les besoins en compétences et mesurer les enjeux économiques liés à cette technologie de rupture, appelée à redessiner des pans entiers de l’économie mondiale.


Un secteur qui bascule vers l’industrialisation

Les technologies quantiques entrent clairement dans une phase de structuration industrielle.

Le rapport montre que l’innovation ne se limite plus aux laboratoires : elle se déplace vers des entreprises capables de transformer des avancées scientifiques en applications concrètes, qu’il s’agisse de communication sécurisée, de calcul haute performance ou de détection ultra‑précise.
Cette transition s’appuie sur une montée en puissance des dépôts de brevets, signe que les acteurs cherchent désormais à verrouiller des positions technologiques et à sécuriser des avantages compétitifs.

Une compétition mondiale structurée par les brevets et les stratégies nationales

Le quantique passe du laboratoire à l’industrie. Cartographie de l'écosystème quantique mondial
On observe également une forte concentration géographique de l’innovation.

Quelques pôles dominent nettement — États‑Unis, Chine, Europe, Corée, Japon — chacun avec des stratégies nationales affirmées et des investissements publics massifs. Cette compétition crée un paysage fragmenté où les alliances industrielles, les partenariats de recherche et les politiques de souveraineté technologique deviennent déterminants.

Des dépendances critiques qui redessinent les enjeux de souveraineté

Le rapport insiste aussi sur la dépendance aux chaînes d’approvisionnement en matériaux critiques, un point souvent sous‑estimé.
La maîtrise du quantique ne repose pas seulement sur la recherche ou les logiciels, mais aussi sur l’accès à des ressources physiques rares, indispensables à la fabrication des composants. Cette vulnérabilité structurelle pourrait devenir un facteur de tension ou de reconfiguration géopolitique.

Enfin, la question des compétences apparaît comme un enjeu central. Le passage à l’échelle industrielle crée une demande de profils hybrides — physiciens, ingénieurs, informaticiens, spécialistes de la propriété intellectuelle — que les systèmes de formation peinent encore à produire.
Le risque est celui d’un décalage entre l’ambition politique et la capacité réelle à déployer les technologies.


Le paysage mondial du quantique est aujourd’hui dominé par quelques pôles capables de conjuguer puissance scientifique, investissements massifs et stratégie industrielle.

Aux États‑Unis, l’écosystème est porté par la force de frappe des géants technologiques : Google, IBM, Microsoft ou encore Rigetti ont transformé le calcul quantique en terrain de compétition stratégique, chacun avançant ses architectures, ses plateformes cloud et ses feuilles de route technologiques. Cette dynamique est soutenue par un cadre politique structuré, qui fait du quantique un enjeu national autant qu’un marché d’avenir.
 

La Chine s’impose comme un rival de premier plan, notamment dans les communications quantiques où elle a pris une avance spectaculaire grâce à ses réseaux sécurisés et à ses satellites dédiés. Ses grands laboratoires, appuyés par des investissements publics colossaux et par des entreprises comme Alibaba ou Baidu, accélèrent désormais aussi sur le calcul quantique, avec l’ambition affichée de rivaliser avec les leaders américains.
 

L’Europe, de son côté, se distingue par la richesse de sa recherche et par la diversité de ses approches technologiques. Elle ne dispose pas encore d’un champion unique comparable aux géants américains, mais elle peut compter sur des acteurs de pointe comme Pasqal en France, IQM en Finlande ou Quantinuum au Royaume‑Uni, ainsi que sur des centres d’excellence tels que QuTech aux Pays‑Bas ou les instituts Fraunhofer en Allemagne. Cette constellation d’acteurs s’inscrit dans une stratégie coordonnée à l’échelle du continent, portée par le programme Quantum Flagship.
 

D’autres pays complètent ce paysage en pleine effervescence. Le Japon avance avec constance grâce à des groupes comme Toshiba, Fujitsu ou NTT, tandis que le Canada s’est imposé comme un foyer d’innovation, notamment avec D‑Wave et Xanadu. La Corée du Sud, portée par Samsung et plusieurs instituts publics, renforce également sa présence.


Un espace de rivalités industrielles

Dans cet ensemble mouvant, une constante se dessine : le quantique n’est plus un champ réservé aux laboratoires. Il devient un espace de rivalités industrielles, de souveraineté technologique et de stratégies nationales assumées, où chaque acteur cherche à prendre position avant que le marché ne se stabilise.

Méthodologie

Les auteurs du rapport sont des analystes et économistes spécialisés dans l’innovation technologique, issus à la fois de l’Office européen des brevets et de l’OCDE. Leur expertise croise l’étude des dépôts de brevets, l’analyse des chaînes de valeur industrielles et l’évaluation des politiques publiques en matière de technologies émergentes. Ensemble, ils apportent un regard combinant rigueur statistique, connaissance fine des dynamiques d’innovation et compréhension des enjeux économiques liés aux technologies quantiques.