Santé

Le stress au travail, du burn-out au Karoshi (mort par excès de travail, traduction du japonais) par Carole Serra


Jacqueline Sala
Mercredi 3 Décembre 2025


Dans un contexte où la performance économique repose de plus en plus sur l’intelligence humaine, le stress au travail n’est plus une fatalité ni une médaille d’honneur : c’est un risque stratégique majeur. Du burn-out silencieux au karoshi japonais, il génère chaque année 750.000 décès dans le monde et jusqu’à 17 % de la masse salariale en coûts cachés.
Et si la vraie compétitivité passait dorénavant par la préservation du capital humain plutôt que par son épuisement ?



Le stress au travail, du burn-out au Karoshi (mort par excès de travail, traduction du japonais) par Carole Serra

Le stress : un dopant illusoire qui coûte extrêmement cher

Le stress est parfois valorisé par le travail, sensation de rentabilité, d’efficacité.
Mais est-ce réellement le cas ?

Le stress est souvent mis en relation avec la compétition sous-entendue sportive mais un match a une durée fixe.

Face à une menace, nous sommes en état de stress. Le stress nous prépare à réagir à cette menace mais il n’a pas le même impact s’il est ponctuel ou s’il dure.

Les trois phases physiologiques qui mènent à l’effondrement

Physiologiquement, l’état de stress se caractérise par trois phases : source INRS

L’alarme, durant laquelle l’organisme se prépare au combat ou à la fuite ; parfois s’y associe des troubles du sommeil, et de la concentration.

La résistance, lorsque la situation stressante persiste et durant laquelle l’organisme doit mobiliser d’importantes ressources pour y faire face ; accompagnée parfois de problèmes cardiaques, augmentation de la tension mais aussi de troubles musculosquelettiques.

L’épuisement, lorsque la situation devient chronique ou s’intensifie, dépression, risque d’accouchement prématuré et augmentation des risques d’accident du travail deviennent trop fréquents.

Un surcoût physique mais aussi financier pour les entreprises, les arrêts de travail, les démissions et les accidents de travail se multiplient.
 

750 000 morts par an : le chiffre qui doit faire réagir les comex

Malheureusement 750 000 décès sont à déplorer chaque année. C’est le chiffre publié par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et l’Organisation Internationale du travail (OIT) sur l’impact du surmenage.

L’OMS définit le burnout comme un syndrome « résultant d’un stress professionnel chronique qui n’a pas été géré avec succès ». Le aroshi en serait le stade ultime, menant à la mort du salarié.

Burn-out et karoshi : la face visible d’un désordre neurologique profond

L’imagerie médicale confirme de réels changements neurologiques rendant la régulation émotionnelle et la prise de décisions plus difficiles donc plus de stress et toujours aucune efficacité démontrée !

Le salarié ne sent plus les signaux et surinvestit, en vain, son travail. Faut-il boire la coupe jusqu’au Karoshi ?

Un fléau européen à 50-60 % des journées perdues

Dans son rapport de 2016, Stress au travail : un défi collectif, l’Organisation International du Travail (OIT)  faisait état de quarante millions de personnes affectées par le stress lié au travail au sein de l’Union européenne (au titre des données collectées au cours de la quatrième enquête européenne sur les conditions de travail, EWCS, 2007). « Selon le rapport de l’Observatoire européen des risques publié en 2009, le stress lié au travail représente en Europe entre cinquante et soixante pour cent des journées de travail perdues. » La prévention du stress au travail | Travail-emploi.gouv.fr | Ministère du Travail et des Solidarités.

Le stress n’aide pas au travail et a un coût évident pour l’assurance maladie mais aussi pour l’entreprise.

Risques psychosociaux : évaluer ou transformer ?

Comment inverser cette dynamique infernale ? Les risques psycho-sociaux (RPS) : les évaluer ? Une fausse bonne idée ?

Prendre soin du salarié est déjà trop tard, revoir son management et son organisation de travail serait la seule véritable solution, un vrai choix stratégique.

Mettre fin aux idées reçues : non cela ne touche pas les salariés les plus fragiles ! Non ce ne sont pas des problèmes personnels ou interpersonnels qui nous influent ! Non le stress ne nous rend pas plus efficace ! Non le contexte économique n’est pas le fautif ! S’occuper des RPS, une mode, un luxe ? NON !

6 salariés sur 10 déclarent avoir déjà été confrontés à des situations de RPS.

18% des salariés ayant été en arrêt de travail déclarent que cet arrêt était en lien avec un RPS.

Les six familles de facteurs qui sabotent la performance

Six grandes familles de facteurs de risques psychosociaux sont identifiées : (Source INRS).
 
  • Exigences du travail : surcharge ou sous-charge, pression temporelle, objectifs flous ou inatteignables.
     
  • Exigences émotionnelles : relation à la clientèle, gestion des émotions, exposition à la souffrance.
     
  • Manque d’autonomie : absence de marge de manœuvre, contrôle excessif.
     
  • Rapports sociaux dégradés : conflits, isolement, absence de soutien hiérarchique ou collègue.
     
  • Conflits de valeurs : sentiment d’incohérence entre le travail demandé et ses valeurs professionnelles.
     
  • Insécurité socio-économique : crainte de la perte d’emploi, manque de reconnaissance.
L’interaction de ces facteurs favorise l’apparition du stress.

Les leviers concrets d’une organisation résiliente

En pratique, comment faire ?

Evaluer la charge réelle de travail, donner des objectifs clairs et réalisables et surtout pour donner du sens au travail, expliquer les objectifs.

Faire monter en compétences les collaborateurs pour leur laisser plus d’autonomie. La confiance est essentielle, elle permet une prise de décision rapide et éclairée. Le manque de confiance oblige le cadre à perdre du temps au contrôle.

En cas d’erreur, faire preuve de discernement, dans une démarche d’amélioration de la qualité, comprendre ce qui a amené à l’erreur permet de l’éliminer définitivement, la sanction d’office n’est pas constructive.

Refuser la violence en externe comme en interne, organiser un soutien juridique de vos salariés, former les pour mieux appréhender les situations difficiles et améliorer leur interaction en interne comme en externe.

Des indicateurs qui ne mentent pas (et qui coûtent très cher)

Des indicateurs peuvent vous aider à évaluer la santé de votre entreprise.

Les arrêts maladie, les accidents du travail, les maladies professionnelles, le taux de rotation du personnel, leurs causes, les actes de violences au sein de l’entreprise entre collègues ou avec les clients.

Pourquoi améliorer la prévention ?

Le coût moyen d’un accident du travail est de 4000 euros, une maladie professionnelle environ 24.000 euros et le coût global de l’absentéisme peut représenter jusqu’à 17% de la masse salariale.

Ces chiffres aussi doivent nous donner envie de commencer une prévention primaire. L’organisation de mon entreprise est-elle optimale pour tous ?

Conclusion

Le stress au travail n’est pas une fatalité conjoncturelle : c’est un risque systémique qui révèle la qualité réelle du modèle managérial et organisationnel d’une entreprise.

Dans un monde où la guerre des talents fait rage et où la ressource humaine reste le principal facteur différenciant, laisser perdurer une culture de l’épuisement revient à scier la branche sur laquelle on est assis.

Les organisations qui sauront passer d’une logique de court terme (productivité à tout prix) à une logique de résilience stratégique (confiance, autonomie, sens) transformeront un coût colossal en avantage compétitif décisif.

D’ailleurs, la question n’est plus de savoir si l’on peut se permettre d’investir dans la prévention primaire, mais si l’on peut encore se permettre de ne pas le faire.

L’entreprise de demain ne sera pas celle qui aura travaillé le plus, mais celle qui aura su préserver ses talents (femmes et hommes) pour travailler mieux.
 
Il est temps de choisir : continuer à boire la coupe jusqu’au karoshi… ou poser le verre et repenser l’organisation avant qu’elle ne nous échappe.

A propos de...

Carole Serra, ergothérapeute, Master 2 de Cadre de santé en management des services sanitaires et médico-sociaux, responsable pédagogique à IFE de Berck site de Loos.

Instituts de Formation en
Masso-Kinésithérapie (www.ifmkberck.com)
et Ergothérapie (www.ifergo-berck.com)

En collaboration avec...

Stéphanie HEDDEBAUT, Ergothérapeute, Master 2 Ingénierie Pédagogique des formations de santé,
Cadre de Direction Pédagogique,
Responsable pédagogique
Institut de formation en Ergothérapie de Berck – sur – mer, site de Loos-Eurasanté

et ...

Jean-Marie Carrara. Docteur en Pharmacie et diplômé de Biologie Humaine.
Professeur des Universités Associé
ll est auditeur en Intelligence Economique et Stratégique à l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN)