Prospective

Les Mondes Anticipes, interview d'Olivier Parent Prospectiviste


David Commarmond


Avec la saison 2 des Mondes Anticipés, la pandémie nous a fait passer dans le monde d’après et l’intérêt du grand public pour le futur est bien là !



Pouvez-vous nous parler du festival des Mondes Anticipés ?

Les mondes anticipés
Les mondes anticipés

Nous en sommes à la saison 2 et nous préparons la suivante. Après Paris en novembre, ce sera autour de Marseille en mai 2023, suivie par Papeete en Juin et Lille en octobre. D’autres villes sont en préparation : Grenoble, Pau, Strasbourg… Si les thèmes existent (saison 1 : le vaisseau Terre, saison 2 : le corps dans tous ses états), les programmation ne sont pas encore définies, c'est-à-dire que les prochains événements ne seront pas identiques à ceux passés, cela en fonction de la réalité des villes où le festival atterri et des partenaires contactés, nous développons les thèmes de manière adaptée, en nous appuyant sur un certain nombre de supports communs à toutes ses éditions, comme les catalogues des saisons offerts aux festivaliers.
 

De son côté, la chaîne YouTube des Mondes Anticipés donne une seconde vie à l’événement. Il est ainsi possible de revoir l’ensemble des événements de chaque édition, en se replongeant dans les différentes thématiques abordées. Lors de la dernière édition du festival, en novembre, à la Cité des sciences et de l’industrie, si nous avons touché quelques centaines de personnes sur place, à distance, ce sont plus de 1700 personnes qui ont assisté à l’événement pendant la même période. D’ailleurs, nous pensons, sur le plan de la fréquentation, que la distinction entre présentiel et distanciel n’a plus lieu d’être. 


Le digital est aujourd’hui partout. Que peuvent nous apporter les classiques du cinéma de science-fiction ? Pourquoi s'y intéresser ?

Avant même que le digital ne soit effectivement omniprésent, dans notre quotidien, le monde numérique a été ainsi décrit par de nombreux auteurs et ils nous avertissent de bien des dérives que nous constatons aujourd'hui. D’autres thèmes tels que ceux de la conquête de l’Espace n’ont pas manqué d’inspirer les auteurs de SF, alors même que nous ne faisons qu’envisager de retourner sur la Lune ou, à plus long terme, d’aller sur Mars. Dans les faits, nous sommes toujours à la veille de la conquête spatiale ! Et, à l’heure des enjeux climatiques, il n’est pas inutile de rappeler que, pour le moment, la Terre est le seul vaisseau spatial dont nous disposons : il nous emmène dans le temps et dans l’espace, sans fautes et cela depuis des milliards d’années… S’éveiller à cette conscience est une nécessité d’autant plus urgente que, en dépit des enthousiasmes de certains, l’humanité ne dispose pas de plan B planétaire.
 

L’Homme invente des histoires depuis des millénaires. La science-fiction en est l’une des dernières formes. En plus de l’aventure de la découverte du récit, la SF est aussi une manière d’explorer de nouvelles voies, de nouveaux regards, de nouvelles façons de se questionner et de questionner notre environnement à la lueur de nos nouvelles connaissances. C’est aussi un moyen de diffuser auprès du grand public les conséquences — souhaitables ? En tout cas, à interroger — de nouveaux comportements et d’innovations émergentes.
 

Nourris du quotidien de l’époque où ils ont été conçus, les classiques de la littérature sont une source d’inspiration qui peuvent être déclinés à l’infini, chaque génération se les appropriant, en changeant les codes narratifs ou d’interprétation. Les films quant à eux peuvent avoir plusieurs destinées, en fonction de leurs capacités à entrer ou non dans la culture populaire ou s'ils transcendent ou non les générations. Malheureusement, le cinéma hollywoodien, avec ses blockbusters, domine et formate le genre depuis de nombreuses décennies même si l’arrivée de nouveaux acteurs, comme Netflix et les autres plateformes de streaming, transforment notre « consommation » avec des offres sans cesse renouvelées. 
 

Reste à garder nos esprits ouverts afin de ne pas trop nous attacher aux œuvres originales et, faisant ainsi, de ne pas restreindre les propositions qui nous sont offertes. Frankenstein a connu de multiples adaptations, déclinaisons et vies. Grâce à cette œuvre, pierre fondatrice de la science-fiction moderne, nous nous interrogeons depuis plus de deux siècles sur nos rapport à la vie, à la capacité de création… Quant à l’Iliade, Jean Chalopin, dans les années 80, projetant Ulysse au 31e siècle, nous rappelle la persistance et la pertinence des motifs mythologiques dans les temps modernes. Les supers héros ne sont-ils pas les nouveaux avatars des dieux de la mythologie ? Avec leurs pouvoirs et leurs passions exacerbés pour continuer à explorer l'âme humaine ?



L’influence de la science-fiction devient-elle plus tangible ?

Pour le meilleur et pour le pire : oui ! Par exemple, à propos d’urbanisme, les projets expérimentaux s’enchaînent et deviennent de plus en plus ambitieux. Si en son temps, Le Corbusier a eu sa Cité radieuse, les architectes, les urbanistes, n’ont vraiment eu la possibilité de tester leurs idées à grande échelle, Brasilia étant l'exception qui confirme la règle… Aujourd'hui, des projets comme Néom-The Line, Akon City sont en passe de sortir des cartons à dessin. D’autres projets moins connus, moins ambitieux de villes sur l’eau vont être construits sur le modèle d’Amsterdam. Néom, cette ville créée ex-nihilo au beau milieu du désert saoudien veut accueillir ses premiers habitants dès 2025. Si peu d’éléments transparaissent de l'impact de cette ville sur son écosystème environnant, il n’est pas interdit de s’interroger à son sujet : Qui va y vivre ? Comment ? Comment va-t-on y mourir ? Comment seront gérés les déchets ? La ville sera-t-elle habitée à l’année ? Et on peut tout aussi bien lire Les monades urbaines de Robert Silverberg qui, en 1971, s’interrogeait sur la vie dans des ensembles urbains artificialisés…  


Quelques mots de conclusion ?

Pour résumer : la science-fiction — qu’elle soit littérature, cinéma ou jeux vidéo — est aujourd’hui l’objet de département d’études universitaires. Cet intérêt académique consacre la SF comme une forme d’art, une discipline à part entière : la science-fiction n’est pas un sous-genre, une sous-culture ! Cette affirmation est admise dans le monde anglo-saxon depuis plus longtemps qu’en France, peut-être parce que, en français, le mot anglais science-fiction porte un contresens de sa transposition dans notre langue. En anglais, science-fiction signifie « récits de», alors qu’en français, science-fiction a été compris comme de la « science fictionnelle », ceci donnant lieu à des récits où la dimension scientifique est très et trop rapidement écartée dans toute tentative de discours et d’analyse. Toutefois ce fossé se comble petit à petit, nous veillons a participé ce projet.