Une rupture assumée avec les doctrines post‑Guerre froide
Cette inflexion, présentée comme un retour au réalisme, s’inscrit dans la continuité de la doctrine « America First ». Elle critique frontalement les décennies précédentes, accusées d’avoir dispersé les ressources américaines dans des engagements coûteux, mal hiérarchisés et parfois déconnectés des priorités nationales.
Si cette volonté de recentrage peut sembler cohérente dans un contexte de compétition systémique, elle traduit aussi un rétrécissement stratégique : en réduisant volontairement leur empreinte internationale, les États‑Unis laissent davantage d’espace à leurs compétiteurs, notamment en Afrique, au Moyen‑Orient et en Europe orientale. Le document assume cette redistribution, mais ne mesure pas toujours les effets de second ordre qu’elle pourrait provoquer.
Une doctrine recentrée : la nouvelle architecture stratégique des États‑Unis
La Stratégie de sécurité nationale s’inscrit pleinement dans la logique de l’« America First ». Le document rompt ouvertement avec les orientations des administrations précédentes, accusées d’avoir dispersé les ressources américaines dans des engagements coûteux et mal définis. Il revendique au contraire une réorientation nette de la politique étrangère autour des seuls intérêts vitaux du pays, présentée comme une rectification nécessaire après des décennies d’ambitions jugées excessives.
Cette stratégie repose sur une combinaison assumée de Paix par la force, de primauté des États‑nations et d’un non‑interventionnisme sélectif, tout en appelant les alliés à assumer une part plus importante du fardeau stratégique. Elle introduit également ce que le texte qualifie de « Corollaire Trump » à la doctrine Monroe, destiné à réaffirmer la prééminence américaine dans l’hémisphère occidental face aux influences extérieures. Enfin, elle fait de la réindustrialisation un pilier central, considérée comme la condition indispensable au maintien durable de la puissance économique et militaire des États‑Unis.
L’Europe reléguée loin derière !
D’un côté, la stratégie affirme vouloir restaurer une forme de stabilité stratégique avec la Russie, en rompant avec la logique d’affrontement systématique qui a dominé depuis 2022. De l’autre, elle décrit le Vieux Continent comme un espace en perte de vitesse, affaibli par ses divisions internes et par un déclin démographique et industriel qui fragilise sa capacité d’influence.
Cette lecture, qu’on la partage ou non, traduit une perception américaine d’une Europe devenue secondaire dans la hiérarchie des priorités globales. Elle acte un déplacement du centre de gravité stratégique vers l’Indo‑Pacifique, où l’Inde apparaît désormais comme le partenaire clé de Washington.
La France face à un allié moins engagé
Paris, qui a longtemps misé sur la relation transatlantique comme pilier de sa sécurité, se retrouve face à un allié qui assume de ne plus considérer l’Europe comme un théâtre prioritaire. La volonté américaine de réduire les risques d’escalade avec Moscou peut certes ouvrir une fenêtre diplomatique, mais elle risque aussi de marginaliser les positions françaises, notamment sur l’Ukraine, où Paris défend une ligne plus exigeante.
La France, qui cherche à promouvoir une autonomie stratégique européenne, voit dans cette stratégie une confirmation brutale : les États‑Unis n’entendent plus porter seuls la sécurité du continent.
Un malaise stratégique transatlantique
Cette asymétrie crée un malaise stratégique, accentué par la perception américaine d’une Europe trop lente, trop divisée et trop dépendante.
La volonté de sanctuariser l’hémisphère occidental risque d’entraîner une confrontation accrue avec Pékin, très présent en Amérique latine via les infrastructures, les ports, les télécoms et les investissements miniers. Le rapport ne dit pas comment Washington compte contrer cette influence autrement que par des injonctions politiques ou des pressions diplomatiques, dont l’efficacité reste incertaine.
L’ère du confort stratégique européen est terminée
La National Security Strategy de 2025 ne ferme aucune porte, mais elle oblige Paris et Bruxelles à regarder en face une réalité longtemps esquivée : l’ère du confort stratégique européen est bel et bien terminée.
L’Amérique latine, laboratoire du “Corollaire Trump”
Washington y considère désormais toute implantation stratégique chinoise comme une atteinte directe à sa sécurité nationale. Le port péruvien de Chancay, contrôlé majoritairement par un groupe chinois, est devenu l’exemple emblématique de cette nouvelle ligne rouge. Les États‑Unis ont multiplié les pressions diplomatiques, les avertissements sécuritaires et les initiatives économiques pour empêcher Pékin de transformer ce port en hub logistique régional.
Cette réaction illustre parfaitement la logique du “Corollaire Trump” : l’hémisphère occidental n’est plus un espace de concurrence ouverte, mais un périmètre à sanctuariser. La doctrine Monroe ressurgit, mais dans un monde où la Chine n’est plus un acteur lointain, et où les États latino‑américains revendiquent leur autonomie. Washington agit pourtant comme si la géopolitique du XIXᵉ siècle pouvait encore s’imposer au XXIᵉ.
L’Indo‑Pacifique, théâtre prioritaire de la compétition systémique
Washington y renforce ses liens avec l’Inde, multiplie les accords de défense, accélère les transferts technologiques et consolide les partenariats du Quad. L’objectif n’est plus de maintenir un ordre libéral régional, mais d’empêcher qu’un acteur unique — la Chine — ne domine l’espace.
Cette stratégie s’exprime par une diplomatie plus directe, moins multilatérale, centrée sur des coalitions d’intérêts plutôt que sur des architectures institutionnelles. L’Indo‑Pacifique devient ainsi le cœur de la compétition stratégique américaine, au détriment d’autres régions qui, jusque‑là, bénéficiaient d’une attention plus soutenue.
Fragilisation de l’ordre international
Pour l’Europe et pour la France, ce rapport n’est pas seulement un document doctrinal : c’est un avertissement. L’ère du parapluie stratégique américain touche à sa fin, et le monde qui se dessine exige une capacité d’initiative que le Vieux Continent n’a pas encore pleinement retrouvée.
Le National Security Strategy, c'est quoi ? c'est qui ?
La NSS apparaît comme un texte présidentiel, mais nourri par un écosystème complexe où se mêlent expertise institutionnelle, arbitrages politiques et influences idéologiques.
La rédaction d’une National Security Strategy est pilotée depuis la Maison-Blanche par le National Security Council, qui orchestre les échanges entre agences, arbitre les divergences et façonne la version finale du document.
Autour du conseiller à la sécurité nationale, ses adjoints et les directeurs thématiques élaborent l’architecture du texte et rédigent les passages les plus sensibles. Leur travail s’appuie sur un ensemble de contributions venues des grands départements fédéraux, de la diplomatie à la défense en passant par la sécurité intérieure, le commerce, le Trésor et les services de renseignement, qui apportent chacun leurs analyses et leurs priorités.
En arrière‑plan, des influences plus discrètes — experts de think tanks proches de l’administration, anciens responsables de la sécurité nationale, conseillers informels ou acteurs industriels liés aux technologies critiques — contribuent à orienter les choix stratégiques.

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