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New Space et réindustrialisation des territoires : une opportunité réelle ou un mirage économique ? Patrice Schoch


Jacqueline Sala
Mardi 29 Avril 2025


« L'espace est pour tout le monde. Il n'est pas réservé à quelques personnes en sciences ou en mathématiques, ou à un groupe restreint d'astronautes. C'est notre nouvelle frontière, et c'est l'affaire de tous de connaître l'espace ». - Christa McAuliffe



 New Space et réindustrialisation des territoires : une opportunité réelle ou un mirage économique ? Patrice Schoch

Depuis quelques années, l’industrie spatiale connaît une révolution.

Le New Space désigne cette nouvelle ère où l’espace n’est plus réservé aux agences gouvernementales et aux grandes entreprises aérospatiales. L’arrivée d’acteurs privés, la baisse des coûts de lancement et l’innovation technologique transforment en profondeur le secteur. Dans ce contexte, de nombreux territoires voient dans le spatial une opportunité de réindustrialisation. En France, en Europe et ailleurs, les collectivités investissent pour attirer des entreprises du New Space et structurer des écosystèmes locaux. Mais cette ambition repose sur un défi majeur : la temporalité. La dynamique du New Space est rapide, tandis que les politiques industrielles et la montée en compétences locales prennent du temps.
 
Le spatial peut-il vraiment servir de levier de réindustrialisation durable ? Ou risque-t-il d’être une promesse séduisante, mais inadaptée aux réalités économiques et sociales des territoires ?
 
 

Un secteur en pleine révolution

Le New Space marque une rupture avec l’ancien modèle spatial, souvent qualifié d’Old Space. Pendant des décennies, l’exploration et l’exploitation de l’espace étaient dominées par des agences publiques comme la NASA, l’ESA ou Roscosmos. Les lancements étaient rares, coûteux et réservés à quelques grandes puissances. Aujourd’hui, l’écosystème a changé. L’arrivée d’acteurs privés comme SpaceX, Blue Origin ou encore des centaines de startups spécialisées a bouleversé les règles du jeu. La miniaturisation des satellites, l’impression 3D, l’intelligence artificielle et la réutilisation des lanceurs permettent d’envoyer des équipements en orbite à des coûts bien plus bas. Résultat : le nombre de satellites lancés a explosé, tout comme les applications dérivées, qu’il s’agisse d’observation de la Terre, de connectivité Internet ou encore de gestion des infrastructures énergétiques.
 
Ce basculement crée un nouveau marché qui attire des investissements et ouvre des opportunités industrielles pour les territoires. Plusieurs régions en Europe et aux États-Unis se positionnent pour devenir des hubs du New Space, misant sur la fabrication de satellites, le développement de micro-lanceurs ou encore l’exploitation des données spatiales.
Mais cette dynamique peut-elle réellement structurer une base industrielle solide et créer de l’emploi sur le long terme ?
 

Le pari industriel des territoires

La réindustrialisation est un enjeu clé pour de nombreux territoires, en particulier ceux marqués par le déclin des industries traditionnelles. L’espace est souvent perçu comme un secteur d’avenir, capable d’attirer des investissements technologiques et de créer des emplois hautement qualifiés. Plusieurs régions ont déjà investi massivement dans des infrastructures spatiales, espérant bénéficier d’un effet d’entraînement sur l’économie locale.

L’exemple de Toulouse, en France, est souvent cité. La ville bénéficie déjà d’un écosystème aérospatial solide avec Airbus et le CNES. Le développement du New Space pourrait renforcer cette dynamique et stimuler l’innovation dans des domaines connexes comme l’intelligence artificielle ou la cybersécurité. D’autres territoires, moins spécialisés, cherchent à se positionner en créant des incubateurs, en favorisant l’installation d’usines de fabrication de satellites ou en investissant dans des spatioports pour le lancement de micro-satellites.
 
Cependant, un enjeu majeur demeure : le temps nécessaire pour structurer ces écosystèmes. Si les startups du New Space évoluent sur des cycles rapides, la mise en place d’une politique industrielle, le développement de formations adaptées et l’aménagement des infrastructures prennent plusieurs années. Il existe donc un décalage temporel entre les attentes des territoires et la réalité du marché.
 

Un défi temporel et économique

Le développement d’un territoire industriel autour du spatial doit s’inscrire dans une stratégie à long terme. Or, les besoins des territoires et des acteurs du New Space ne sont pas toujours alignés. D’un côté, les collectivités cherchent des résultats rapides. Elles investissent dans des infrastructures, proposent des incitations fiscales et mettent en place des programmes d’accompagnement pour attirer les entreprises du secteur.
Mais les résultats ne sont pas immédiats. Il faut du temps pour former des ingénieurs, développer une chaîne d’approvisionnement locale et structurer un écosystème compétitif.

De l’autre, les entreprises du New Space évoluent sur un rythme beaucoup plus rapide. Elles innovent rapidement, cherchent à capter des financements et s’adaptent à un marché encore instable. Beaucoup de startups restent dépendantes de fonds publics ou de commandes institutionnelles. Certaines échouent faute d’un modèle économique viable, ce qui peut fragiliser les territoires qui ont trop misé sur elles.
 

Quels arbitrages pour réussir ?

Face à ces défis, les décideurs publics et les industriels doivent faire des choix stratégiques. Il ne suffit pas d’attirer une poignée de startups pour structurer une industrie locale pérenne. Il faut penser l’ensemble de la chaîne de valeur.
D’abord, il est essentiel de développer des formations adaptées. Le New Space nécessite des compétences très spécifiques en ingénierie, en data science ou encore en intelligence artificielle. Sans une offre de formation suffisante, les territoires risquent de ne pas bénéficier des retombées économiques du secteur.

Ensuite, les territoires doivent diversifier leur stratégie. Miser exclusivement sur la production de satellites ou sur le lancement spatial est risqué. En revanche, intégrer le spatial à d’autres industries – comme la logistique, la gestion des ressources naturelles ou la cybersécurité – peut créer des effets d’entraînement plus larges.

Enfin, il faut assurer une certaine stabilité réglementaire et financière. Beaucoup de startups du New Space dépendent encore de contrats publics. Si ces financements venaient à diminuer, certaines régions pourraient se retrouver avec des infrastructures sous-utilisées et des projets avortés.
 

Conclusion : un pari à structurer intelligemment

Le New Space représente une formidable opportunité pour la réindustrialisation des territoires, mais ce n’est pas une solution miracle. La dynamique du secteur est prometteuse, mais elle s’inscrit dans un cadre temporel complexe.
Les acteurs publics et privés doivent construire des stratégies adaptées aux réalités locales.

Il est essentiel d’investir dans la formation, de favoriser la complémentarité avec d’autres industries et de sécuriser les modèles économiques pour éviter une dépendance excessive aux financements publics. Le pari du New Space peut être gagnant, à condition de ne pas céder à une vision trop court-termiste.
L’espace n’a jamais été un sprint, mais une course de fond.
 

A propos de l'auteur

Patrice SCHOCH est enseignant-chercheur spécialisé en intelligence économique et stratégique, responsable du département entrepreneuriat et de la Chaire Recherche IMPACT

Les Assises du Newspace. 8 & 9 JUILLET 2025 LA CITÉ DES SCIENCES ET DE L'INDUSTRIE - CENTRE DES CONGRÈS DE LA VILLETTE