OSINT

OSINT : une navigation entre tempêtes informationnelles, brouillard légal et enjeu de souveraineté 2/2

Par Nicole Tortello Duban et Oscar Lafond-Kervegant, AleVia Conseil


Jacqueline Sala
Lundi 22 Septembre 2025


Dans la continuité de l’article publié précédemment sur l’information comme champ de bataille, ce nouvel éclairage met en avant l’OSINT comme réponse au chaos informationnel. Méthode rigoureuse de collecte et d’analyse de données ouvertes, l’OSINT s’impose déjà comme un outil démocratisé et crédible.



OSINT : une navigation entre tempêtes informationnelles, brouillard légal et enjeu de souveraineté 2/2
Pourtant, en France, l’absence de cadre juridique clair crée une insécurité pour les acteurs légitimes, comme l’a montré la récente condamnation d’un détective privé. Une initiative parlementaire vise désormais à combler ce vide, afin de sécuriser et encadrer l’usage de l’OSINT tout en préservant les libertés fondamentales.

RIED 2025 : l’OSINT entre dans la cour des grands

Cette dynamique politique s’accompagne d’un mouvement institutionnel. Le 10 septembre 2025, l’amphithéâtre Foch de l’École militaire a accueilli la première édition des Rencontres de l’Intelligence Économique de Défense (RIED 2025), organisées par la DGA et l’Académie de défense sur le thème : « Industrie de défense : l’intelligence économique en action ».

Cet événement n’est pas anodin. Il illustre une prise de conscience : l’intelligence économique et, en son cœur, l’OSINT, ne sont plus des pratiques périphériques. Elles deviennent centrales. Cinq commissions (Intelligence économique territoriale, Influence, BITD européenne, Intelligence économique offensive ; Renseignement en source ouverte) vont travailler pendant plusieurs mois, avec une restitution prévue au printemps 2026.

En clair : l’OSINT devient un sujet de gouvernance nationale, articulé avec la souveraineté industrielle et stratégique. Il était temps !
 

Le miroir des autres puissances

Pendant ce temps d’autres pays se mobilisent. Aux États-Unis, l’OSINT fait partie intégrante de la doctrine nationale du renseignement, avec une agence dédiée et des protocoles standardisés. Au Royaume-Uni, le National Security Act et les directives du College of Policing fixent un cadre clair. Aux Pays-Bas, des unités mixtes police-fisc exploitent les sources ouvertes dans des équipes pluridisciplinaires. En Israël, l’OSINT est intégré à des dispositifs hybrides automatisés, fusionné avec d’autres disciplines du renseignement.

Dans ces pays, les praticiens sont protégés, les méthodes encadrées. En France, le flou fragilise les honnêtes et laisse le champ libre aux abus. La comparaison est brutale.
 

L’Europe et le vide

Et à l’échelle européenne ? Rien. Aucun cadre commun alors que la guerre commerciale nous frappe de plein fouet, que les tentatives de déstabilisation se multiplient et que les nations se préparent à un conflit armé.

L’Union européenne a su bâtir le RGPD, qui a structuré la protection des données personnelles sur tout le continent. Elle pourrait bâtir une régulation de l’OSINT sur le même modèle. Transparence, proportionnalité, contrôle : trois principes pour sécuriser une pratique devenue vitale.

Faute d’une telle initiative, le risque est clair : que d’autres puissances fixent les règles à notre place. Ou pire : qu’elles imposent leurs récits.
 

L’OSINT aussi vulnérable que nécessaire

Mais la question ne se limite pas au droit. L’OSINT lui-même n’est pas infaillible. Ses sources peuvent être manipulées. Multipliées, trafiquées, faussées, elles deviennent instables. Fake news, campagnes d’influence, désinformation massive : les sources ouvertes sont des terrains minés.

L’Association des Auditeurs en Intelligence Économique de l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale a recensé 45 outils de vérification de l’information utilisés par les praticiens, mêlant intelligence artificielle, crowdsourcing et expertise humaine.

L’OSINT n’est pas une arme miracle. Mais c’est l’un des rares outils capables d’apporter de la clarté sans détruire, de rétablir de la vérité dans un monde saturé de récits concurrents. La vraie question est celle-ci : voulons-nous en faire un outil maîtrisé, assumé comme bien commun stratégique, ou le laisser, faute de règles, à ceux qui confondent transparence et prédation ?
 

Choisir de maîtriser

On nous dit que les guerres de demain se gagneront dans l’espace ou à l’aide des drones.

Elles se jouent déjà, ici et maintenant, dans les flux invisibles qui construisent nos représentations.
 
L’OSINT n’est pas une arme absolue, mais l’une des rares capables de faire la lumière sans détruire. Reste à savoir si nous voulons qu’il soit un outil maîtrisé, au service d’une information assumée comme un bien commun… ou l’abandonner, faute de règles, à ceux qui confondent transparence et prédation. Car dans un monde saturé de récits concurrents, ne pas fixer les règles, c’est accepter que d’autres écrivent à notre place l’histoire que nous transmettrons à ceux qui viennent après nous.

A suivre : la conférence « OSINT : Quel cadre juridique ? » organisée par l’AAIE-IHEDN le 16 octobre 2025. Nous veillerons à vous informer également de l’évolution des travaux menés par la DGA et le Parlement.

A propos de Nicole Tortello Duban

Fondatrice d'AleVia Conseil, Nicole Tortello Duban est titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA) et d'un certificat de spécialisation Union Européenne (CNAM).
Elle a suivi le 56e cycle « Intelligence Économique et Stratégique » de l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN).

Membre fondatrice du Cercle K2, elle intervient régulièrement auprès de l'IHEDN et d'EM Normandie sur les sujets de la stratégie d'influence et du lobbying-expert.

A propos d'Oscar Lafond-Kervegant

OSINT : une navigation entre tempêtes informationnelles, brouillard légal et enjeu de souveraineté
Passionné par l'intelligence économique, Oscar Lafond-Kervegant est consultant junior en affaires publiques chez AleVia Conseil. Il développe une approche multidisciplinaire tournée vers les relations internationales. Formé à la School of International Service de Washington D.C. et diplômé d'un Bachelor en Arts Libéraux et Sciences de l'University College de Maastricht, il rejoindra prochainement le King's College de Londres.
Il a participé à plusieurs projets stratégiques pour des institutions diplomatiques et des entreprises privées en France et aux Pays-Bas, consolidant une expertise opérationnelle en analyse et en veille, notamment au sein de l'ADIT.