
L’information comme champ de bataille
Au XXIᵉ siècle, l’information n’est plus seulement un flux : elle est un territoire où se jouent la puissance des États, la cohésion sociale, la confiance des citoyens. Désinformation, deepfakes, faux profils, manipulations algorithmiques fragmentent la perception commune et posent la question cruciale : quelle réalité faire exister ?
Dans cette zone grise où la perception devient arme, maîtriser l’information n’est plus un avantage, mais une condition de souveraineté.
Face à la multiplication des canaux d’information, l’enjeu n’est plus l’accès aux données, mais leur interprétation. L’infobésité exige de tenir compte de la viralité des contenus trompeurs, de la perte de hiérarchie entre les sources et de la fragmentation des canaux qui participent à un chaos informationnel généralisé.
Dans cette zone grise où la perception devient arme, maîtriser l’information n’est plus un avantage, mais une condition de souveraineté.
Face à la multiplication des canaux d’information, l’enjeu n’est plus l’accès aux données, mais leur interprétation. L’infobésité exige de tenir compte de la viralité des contenus trompeurs, de la perte de hiérarchie entre les sources et de la fragmentation des canaux qui participent à un chaos informationnel généralisé.
OSINT : la boussole dans la tempête
Dans ce brouillard numérique, l’OSINT (open source intelligence), ou renseignement d’origine sources ouvertes (ROSO), s’impose comme une boussole. Pas un gadget. Pas une mode. Une méthode. Une discipline rigoureuse. Elle consiste à collecter, recouper, contextualiser et analyser des données accessibles au public : registres administratifs, réseaux sociaux, bases de données, archives ouvertes, médias traditionnels ou forums.
« Quand il est conduit avec rigueur, l’OSINT sait s’imposer comme une arme démocratique : il fait la lumière sans détruire, il documente sans manipuler. »
Le secret n’est pas dans la source, mais dans l’exploitation. En effet, la valeur ajoutée de l’OSINT ne réside pas dans la collecte brute, mais dans la capacité à assembler les fragments épars pour produire un renseignement exploitable. Une fois éclairées, les données deviennent des leviers de décision. C’est ce qui fait de l’OSINT une méthode à part entière, structurée et crédible face au chaos informationnel.
Et les preuves sont là. L’ONG Bellingcat, pionnière en la matière, a apporté devant la Cour pénale internationale des éléments probatoires issus exclusivement de sources ouvertes.
Et la pratique se diffuse. Journalistes d’investigation, activistes, chercheurs, experts en intelligence économique, consultants, ONG, magistrats, forces de l’ordre, armées : tous s’en emparent. Ce croisement inédit bouleverse l’ordre établi. Le renseignement n’est plus réservé à un cercle fermé. Il devient collectif, partagé, à la croisée de la sécurité, de l’économie, des médias et de la société civile
Et les preuves sont là. L’ONG Bellingcat, pionnière en la matière, a apporté devant la Cour pénale internationale des éléments probatoires issus exclusivement de sources ouvertes.
Et la pratique se diffuse. Journalistes d’investigation, activistes, chercheurs, experts en intelligence économique, consultants, ONG, magistrats, forces de l’ordre, armées : tous s’en emparent. Ce croisement inédit bouleverse l’ordre établi. Le renseignement n’est plus réservé à un cercle fermé. Il devient collectif, partagé, à la croisée de la sécurité, de l’économie, des médias et de la société civile
Le droit, une ligne de faille
Mais ce potentiel se heurte à une faille. En France, l’OSINT évolue dans un patchwork juridique : code pénal (accès frauduleux, recel, doxxing), code de la propriété intellectuelle (bases de données), RGPD (proportionnalité, finalité), jurisprudence nationale et européenne. Aucun tronc commun. Aucune définition claire.
Résultat : un double effet pervers. Les acteurs de bonne foi s’autocensurent de peur d’être sanctionnés. Ceux qui ignorent ou contournent la loi prospèrent.
Les agents de recherches privées incarnent parfaitement cette contradiction. Profession réglementée depuis 2012 par le Code de la sécurité intérieure, encadrée par une stricte déontologie, ils devraient être protégés. Pourtant, la Cour de cassation, le 30 avril 2024 (n° 23-80.962), a confirmé la condamnation d’un détective privé pour collecte déloyale de données personnelles pourtant disponibles en ligne. Les juges ont tranché : « Le libre accès aux données ne retire rien au caractère déloyal de la collecte dès lors qu’elle est réalisée à l’insu des personnes, à des fins de profilage et sans information préalable. » Traduction : accessible ne veut pas dire exploitable. Même mandaté, même encadré, un professionnel peut être condamné.
Cette insécurité juridique ne protège pas. Elle paralyse. Avocats, magistrats, enquêteurs privés, forces de l’ordre : tous réclament de la clarté.
Résultat : un double effet pervers. Les acteurs de bonne foi s’autocensurent de peur d’être sanctionnés. Ceux qui ignorent ou contournent la loi prospèrent.
Les agents de recherches privées incarnent parfaitement cette contradiction. Profession réglementée depuis 2012 par le Code de la sécurité intérieure, encadrée par une stricte déontologie, ils devraient être protégés. Pourtant, la Cour de cassation, le 30 avril 2024 (n° 23-80.962), a confirmé la condamnation d’un détective privé pour collecte déloyale de données personnelles pourtant disponibles en ligne. Les juges ont tranché : « Le libre accès aux données ne retire rien au caractère déloyal de la collecte dès lors qu’elle est réalisée à l’insu des personnes, à des fins de profilage et sans information préalable. » Traduction : accessible ne veut pas dire exploitable. Même mandaté, même encadré, un professionnel peut être condamné.
Cette insécurité juridique ne protège pas. Elle paralyse. Avocats, magistrats, enquêteurs privés, forces de l’ordre : tous réclament de la clarté.
L’initiative Latombe : clarifier sans brider
Face à ces incertitudes, un consensus politique semble émerger. Le 6 mai 2025, à l’initiative de la CyberTaskForce, un échange réunissant parlementaires, magistrats, industriels et experts de l’OSINT a permis de dégager des convergences inédites. Tous ont reconnu la nécessité d’introduire une exception au recel, pour motifs légitimes, comparable à celle qui encadre les tests d’intrusion en cybersécurité.
Le député Philippe Latombe, très engagé sur ces questions, prévoit de déposer une proposition de loi avant la fin de l’année, possiblement intégrée au projet de loi sur la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité (n°1112). Il propose de clarifier sans brider, en posant plusieurs principes :
Le député Philippe Latombe, très engagé sur ces questions, prévoit de déposer une proposition de loi avant la fin de l’année, possiblement intégrée au projet de loi sur la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité (n°1112). Il propose de clarifier sans brider, en posant plusieurs principes :
- Donner un socle juridique clair aux pratiques OSINT afin de sécuriser les acteurs légitimes, publics comme privés, tout en préservant les libertés fondamentales ;
- Reconnaître la valeur opérationnelle de l’OSINT pour documenter, alerter et soutenir la prise de décision dans les domaines économique, sécuritaire et judiciaire ;
- Établir un équilibre entre encadrement et souplesse, de façon à ne pas entraver l’innovation et l’agilité qu’offre la collecte en sources ouvertes ;
- Encadrer le traitement de données sensibles ou issues de fuites, lorsqu’un intérêt public majeur le justifie, tout en protégeant la vie privée et en garantissant la proportionnalité des moyens.
Le Sénat, qui a alerté à plusieurs reprises sur la nécessité de mieux encadrer l’accès aux données publiques dans ses rapports sur la souveraineté numérique, pourrait jouer un rôle moteur dans la convergence des deux chambres.
L’enjeu sera de demeurer agile pour gagner la guerre informationnelle décrite dans L’Atlas stratégique des armées françaises 2025 qui alerte : sans capacité de discernement, nous naviguons à l’aveugle.
L’enjeu sera de demeurer agile pour gagner la guerre informationnelle décrite dans L’Atlas stratégique des armées françaises 2025 qui alerte : sans capacité de discernement, nous naviguons à l’aveugle.
A propos de Nicole Tortello Duban
Fondatrice d'AleVia Conseil, Nicole Tortello Duban est titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA) et d'un certificat de spécialisation Union Européenne (CNAM).
Elle a suivi le 56e cycle « Intelligence Économique et Stratégique » de l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN).
Membre fondatrice du Cercle K2, elle intervient régulièrement auprès de l'IHEDN et d'EM Normandie sur les sujets de la stratégie d'influence et du lobbying-expert.