Santé

Pourquoi les médicaments ne répondent-ils pas tous à une stratégie unique ? Par Jean-Marie Carrara


Jacqueline Sala
Vendredi 3 Octobre 2025


Les médicaments vendus en officine peuvent être divisés en deux catégories : les médicaments délivrés exclusivement sur ordonnance médicale et ceux accessibles en vente libre, les médicaments OTC (« over the counter »).
Pour augmenter leurs profits, les laboratoires qui les produisent, définissent pour chacune de ces catégories, une stratégie différente.



Pourquoi les médicaments ne répondent-ils pas tous à une stratégie unique ? Par Jean-Marie Carrara
 
Les enjeux pharmaco-économiques et managériaux diffèrent entre médicaments sur ordonnance et médicaments OTC. Selon le modèle de système de santé retenu dans un pays (modèle Bismarck, modèle Beveridge ou mixte) le prix de vente des médicaments résultera de critères différents pouvant aboutir à de fortes divergences des prix au comptoir entre pays.

 

Régulation et prix des médicaments sur ordonnance des médicaments OTC

  • Examinons les médicaments sur ordonnance.
Dans les systèmes Bismarck (France), la régulation, la négociation centrale, et le remboursement massif permettent d’assurer des prix de médicaments décorrélés de la réalité avec des prix relativement bas pour le patient même lorsque le coût réel est élevé pour le système de santé.
Dans ce type de configuration, garantir un accès durable à l’innovation requiert des études pharmaco-économiques fines.
Les États-Unis ayant adopté un modèle mixte, l’absence de contrôle central génère des prix nettement plus élevés que dans le système Bismarck, avec un reste à charge important qui peut limiter l’accès aux traitements pour les personnes mal ou non assurées.
 
  • Examinons les médicaments OTC.
Ce marché échappe largement à la régulation stricte et au remboursement tant par les caisses d’assurance maladie que par les mutuelles complémentaires.
Le prix des médicaments OTC sont donc davantage soumis aux logiques concurrentielles et commerciales, que ce soit en France ou aux USA. Les marges pour les laboratoires comme pour les officines sont, de ce fait, souvent plus importantes.
Le rôle de l’État ou des assureurs est ici limité à la fixation de règles de mise sur le marché, de sécurité et d’information (monographies FDA aux USA, AMM et étiquetage en France), avec très peu d’intervention sur le prix de vente final.

 

Similitudes et divergences des arguments pharmaco-économiques de ces catégories

Pour les médicaments sur ordonnance, l’efficacité, l’utilité médicale (service médical rendu), la sécurité, et surtout le rapport coût-efficacité conditionnent leur remboursement par la sécurité sociale et leur prix dans les systèmes régulés (particulièrement en France).

Pour les OTC, la logique dominante est différente. Elle valorise l’accessibilité au médicament, l’automédication, la rentabilité pour l’officine ou le distributeur, et la sensibilité-prix du consommateur.
L’enjeu pharmaco-économique principal porte ici sur le potentiel de « décompression » du système de santé en favorisant l’autonomie du patient, mais avec le risque, là-aussi, d’une inégalité d’accès, à cette classe de médicaments, dès lors que les prix ne sont pas contrôlés.

 

Particularité du marché français et du marché des États-Unis

En France, le segment OTC croît vite notamment sous l’effet du déremboursement d’un nombre de plus en plus important de spécialités pharmaceutiques. Il reste cependant encore limité en valeur en raison du contrôle indirect via la distribution officinale et des règles strictes d’AMM, d’étiquetage et de communication.
Pour des raisons économiques évidentes et face à la nécessité de trouver des relais de rentabilité à la baisse des remises des produits génériques, le management officinal privilégie l’OTC.

Aux USA, le marché OTC est vaste mais très concurrentiel. Il est soumis essentiellement à la réglementation de la FDA sur la sécurité (monographies, bonnes pratiques de fabrication), avec des marges élevées et une innovation rapide.
Les prix sont libres et, sans restriction des lieux de vente, la grande distribution domine le marché, ce qui renforce son dynamisme, mais crée aussi le risque d’inégalités d’accès par le prix.

 

Conclusion

Les caractéristiques de ces deux catégories très différentes et leur stratégie pour capter leur marché respectif ne peut pas être identique.

Pour les médicaments sur ordonnance, le débat porte sur le « juste remboursement », l’accès équitable à l’innovation, et la soutenabilité collective.
Pour les OTC, le débat porte plutôt sur l’équilibre entre rentabilité de la distribution, sécurité, et accessibilité économique pour le public, le tout avec moins de “freins” règlementaires sur le prix que sur l’innovation.

L’articulation entre ces deux segments interroge la capacité à garantir à la fois autonomie des patients, équité, et maîtrise collective des dépenses selon les systèmes de santé.

Pourquoi les médicaments ne répondent-ils pas tous à une stratégie unique ? Par Jean-Marie Carrara
[1] Taille du marché des médicaments en vente libre (OTC) et ... https://www.databridgemarketresearch.com/fr/reports/global-over-the-counter-otc-drugs-market

[2] Drug Costs: How Out-Of-Pocket Prescription Drugs Are Affecting The Employees? https://www.databridgemarketresearch.com/fr/articles/drug-costs-how-out-of-pocket-prescription-drugs

[3] Déterminants de l'écart de prix entre médicaments ... https://www.irdes.fr/EspaceRecherche/DocumentsDeTravail/DT43DeterminantsPrixMedicamentsClasseTherapeutique.pdf

[4] OTC : quel bilan en 2024 et quelles perspectives en 2025 https://www.pharma365.fr/je-gere-mon-officine/otc-bilan-2024-perspectives-2025/

[5] Les médicaments sont-ils trop chers en France https://dauphine.psl.eu/eclairages/article/les-medicaments-sont-ils-trop-chers
[6] Les produits OTC aux Etats-Unis https://www.coptis.com/fr/ressources/produits-otc-etats-unis/
[7] Enregistrer des produits OTC aux États-Unis https://ecomundo.eu/blog/comment-enregistrer-des-otc-aux-usa

A propos de Jean-Marie Carrara

Né en 1958 à Rabat (Maroc), Jean-Marie CARRARA a effectué toutes ses études à Lille (France). D’abord attiré par la santé de l’Homme, il devient Docteur en Pharmacie et diplômé de Biologie Humaine.
Comme la santé des entreprises et des organisations sont essentielles pour l’Homme, il compléta sa formation par un DESS d’Administration des Entreprises et un DESS de Finance et de Fiscalité Internationales.
Il est auditeur en Intelligence Economique et Stratégique à l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN

En collaboration avec

Dr Jan-Cédric Hansen
Praticien hospitalier, expert en pilotage stratégique de crise, vice-président de GloHSA et de WADEM Europe, Administrateur de StratAdviser Ltd - http://www.stratadviser.com/